Master of Shadows [Yamagashi-sensei]

C'est qu'il vient d'arriver sur Terre... Au Japon, plus précisément. Le Japon, oui. Un hasard ? De mon oeil omniscient, je sais que ce n'est pas un hasard si le portail qu'il a traversé mène à la ville de la Terre où se trouvent la grande majorité des êtres anormaux vivant dans le monde. Mais la raison s'expliquera un autre jour. Toujours est-il que l'ancien personnage Ember, PNJ de son état, est en ville en se demandant ce qu'il fait ici. Il est le maître de lui-même pour la première fois dans son existence.

Il s'est rendu compte assez vite qu'il avait maintenant à prendre responsabilité de ses actes. Il semble avoir 17 ans, mais il n'a pour parler que deux heures d'existence. A peine était-il arrivé qu'il avait essayé ses pouvoirs. La conséquence fut qu'il se retrouva à poil dans une rue bondée de personnes, puis un instant plus tard avait retrouvé son skin préféré, un foulard noir troué et un pantalon violet. Puis il avait tenté le coup de l'argent. Une pluie de pièces d'or, d'argent et de platine tomba du ciel, bien inutile en ce monde de yens. Enfin, il avait tenté d'invoquer une épée. Résultat, il avait dû se défendre contre un type étrange, habillé en bleu et affublé d'un étrange chapeau bleu, en tissu et à visière. Ce type-là disait un truc du genre "Police ! Vous êtes en état d'arrestation !"

Police... Ember ne savait pas ce que c'était. Ce fut après avoir regardé ce que portait l'homme qu'il comprit. C'étaient, en quelque sorte, les gardes de ce jeu. Il était devenu l'équivalent d'un Player Killer. Il avait ensuite remarqué qu'il s'était blessé pendant la phase de combat. Contrairement au liquide rouge que l'homme sécrétait, lui remarqua que de sa blessure s'échappait une sorte de brume verte, composée de minuscules 1 et 0. Son instinct le commandait. C'était sa forme première, ses données. C'est pourquoi il s'était empressé de remettre cette brume dans son corps et de réajuster son skin afin de ne pas la laisser s'échapper. C'est pourquoi, en plus de son foulard et de son pantalon, il portait deux longs gants noirs avec deux boucles violettes pour les resserrer, ainsi que des bottes évoquant un peu des rangers.

-Ca fait mal... J'ai pris des dommages, on dirait.

Il continuait à marcher, pensant être impossible à repérer parmi la foule. Avait-il seulement conscience que sa chevelure couleur de feu ardent et ses yeux dorés se démarquaient grandement du reste de la population, pour la plupart ayant les cheveux et les yeux noirs ? Avait-il conscience que ses vêtements paraissaient extrêmement étrangers, comparés aux éternels tailleurs et costumes ? Non. Tout simplement parce qu'il avait repéré une jeune femme à la chevelure orangée. Un skin étrange, par rapport à la chevelure noire habituelle qu'il rencontrait dans ce jeu...

J'aurais peut-être du passer me changer après les cours. Mais j'avais trop envie de m'éloigner du lycée. Entre mon travail et mes aventures j'ai l'impression que toute ma vie se passe là-bas. J'ai besoin d'air. Tout le quartier est étudiant. Des élèves en uniforme, au travaille ou bullant simplement, certains de mes collègues. Partout, tout le temps. Je suis donc allé un peu plus loin. Dans les rues bondées de gens qui profite du grand soleil, les uniformes se sont fait de plus en plus rares. J'ai juste oublié un peu trop longtemps les talons de mes chaussures. Je ne veux plus que trouver un point de chute. Un salon de thé ou la terrasse d'un café. Un endroit nouveau.

J'ai beau avoir vingt-six ans mes cheveux roux attirent toujours l'attention. Heureusement mon tailleur bleu marine sur mon chemisier blanc et mon chignon montrent bien que je suis une jeune femme sérieuse. En tous cas j'espère que c'est ce que pensent les gens que je croise. Mais que ne donnerais-je pas pour un bon trio jeans/T-shirt/baskets. D'ailleurs ils faudra que je prévois une sortie shopping, sortie des tailleurs ma garde-robe est dramatiquement mince.

En débouchant au coin d'une rue je me retrouve à contre-courant d'une foule impressionnante. C'est à peine si on me remarque, ce qui est rare. Tout le monde est pendu à son portable et marche rapidement. Il y a de l'électricité dans l'air. Alors que la curiosité me pousse à remonter le courant, j'entends des bribes de conversations.

" Une tronçonneuse ! Sans déconner elle était aussi grosse que lui !
- Je sais pas, peut-être en seconde. je l'ai jamais vu.
- Trop craquant ! Il faisait des tours de magie !
- Non, le flic il était paniqué. Le coup est parti tout seul, après c'est le flic qui est parti.
- Attend, t'es pas malade ? Je t'envoie la vidéo, tu vas piger et tu la postes direct !
- Mais non, c'était bidon. Vu comme il était sapé je parie que c'est Square qui se fait de la pub. "

Les unes m'inquiètent, les autres m'intriguent. Il est tout de même question d'un coup de feu tiré par un policier. Mais personne ne coure, ne crie ni ne fait de malaise. Un jeune homme déguisé en héros de jeux vidéos. Peut-être un de mes élèves ? Je continue de remonter la foule, puis je finis par l'apercevoir. Si ce n'est pas lui je ne vois pas qui ça peut être d'autre. Jeune, craquant, les cheveux rouges, un costume digne d'un manga. Je m'approche mais je n'arrive pas à le reconnaître. Mais ainsi maquillé et accoutré je ne vois pas qui pourrait. Est-ce qu'il porte des lentilles ? Ses yeux sont ambrés, je n'en ai jamais vu de pareil.

L'action est passée et il marche tranquillement. Sans doute rentre-t-il chez lui après s'être donné en spectacle. Les gens gardent leurs distances mais ne semblent pas effrayés. Dommage, Hitomi, tu arrives cinq minutes trop tard. Avec des baskets je serais peut-être arrivée à temps ? Dans tous les cas ça risque fort de faire le tour du lycée, de la ville et du net. Je finirais par tout savoir.

Il marchait tranquillement, mais avait réalisé son erreur. Player Killer. Il avait tué un garde. C'est pourquoi il jetait des coups d'oeil dans tous les sens. Les gens parlaient d'une "tronçonneuse"... Qu'était-ce ? Il n'en savait rien. Sans doute parlaient-ils de l'arme qu'il avait invoqué ? Si c'était le cas, il était tenté de répondre que c'était une arme nommée Broadsword, une épée à deux mains, pour Swordsman de niveau 95. Quant à Square... Puisque l'on parlait de son style vestimentaire, cela devait être une boutique de vêtements.

Un maître des ombres aurait su se camoufler. Mais lui, Ember, PNJ de son état, avec ses cheveux rouges et ses yeux dorés, ne savait pas se camoufler. Il avait bien une solution pour avoir les cheveux bleu marine et les yeux rouges, mais il voulait éviter de l'utiliser. Data OverDrive Mode : Scarlet Demon. Le problème de cette solution était son manque total de discrétion quant aux deux cornes qui poussaient sur sa tête, ainsi que l'activation du mode, qui créerait une grande aura rouge et orange. Non, il ne valait mieux pas utiliser le mode PK des PNJ.

Car oui, les PNJ sont parfois programmés pour répondre aux assauts des joueurs voulant se défouler. Ember en faisait partie. Quand il passait en Scarlet Demon, Ses cheveux devenaient bleu marine, ses yeux rouge, et son style vestimentaire changeait du tout au tout. Il pouvait aussi manier deux Broadswords à la fois. Bref... Rien de bien discret en ville.

-C'est lui ! Le tueur !

Ember tourna la tête, un regard mauvais. Derrière lui se trouvaient quatre gardes. Ils braquaient sur lui d'étranges choses, avec des canons... Enfin, il pensait. On dirait les armes de base des Steam Gunners, nommées Colt. Arme de niveau 5, dégâts faibles, grande rapidité. Spécialité : Tir à distance. Il devait réfléchir, et vite. Ainsi il invoqua une Broadsword, la lança en l'air pour feinter, la désinvoqua et disparut dans une ruelle sombre. Les gardes ne l'avaient pas suivi. Il s'autorisa un soupir de soulagement.

-Merde... C'est quoi, ce jeu ?

-C'est lui ! Le tueur !

Soudain c'est la panique dans la rue. La foule se disperse avec force cris alors que quatre policiers arrivent l'arme au poing. D'instinct je cherche un abris. Une ruelle à droite, juste à côté. J'arrive à m'y faufiler avant d'être emportée par masse de gens qui courent et se piétinent presque. j'ai eu chaud, pour un peu je finissais en paillasson. Au moins, cette fois, je suis aux première loges. Et je n'en crois pas mes yeux.

- Qu'est-ce que...

Le jeune homme aux cheveux rouges fait face aux quatre policiers. Soudain une espèce d'énorme épée-tronçonneuse, ou je ne sais pas quoi, apparaît dans sa main. Il la lance en l'air, les quatre flics la suivent du regard. Je fais bien de rester fixée sur le jeune homme parce qu'il fonce droit dans ma direction !

- Ho merde...

Je file plus loin dans la ruelle pour me tasser derrière une poubelle. Alors quoi ? Ce type n'est pas la pour faire de la pub ? Il a vraiment tué ce policiers ? Il ne va certainement pas faire demi-tour. Je suis entre lui et sa seule échappatoire. Dans quel pétrin je me suis fourrée ? Alors que je me penche pour essayer d'apercevoir le jeune homme, je renverse la poubelle par mégarde. Je me relève d'un bond, complètement paniquée. Il est là, il me regarde.

- Je... Pitié, me faites pas de mal.

Pendant qu'il se remettait de ses émotions, Ember pensait à toute vitesse. Que faire si les gardes revenaient le voir ? Que faire si jamais il avait à les combattre ? Les tuerait-il ? Non, il ne pouvait s'y résoudre. Il était déjà classé Player Killer, apparemment. Il n'avait guère le choix... Il devait fuir, fuir encore. Pourquoi ? Il n'en savait rien.

Le bruit d'une poubelle. Ember tourna la tête pour voir ce qui se passait. C'était elle. La femme aux cheveux oranges. Il posa son regard sur elle. Les bras croisés, adossé au mur, il avait de quoi paraître terrifiant si il n'avait pas ce regard pensif. Puis la femme se relève. Elle panique. Elle articule quelques mots.

-Je... pitié, ne me faites pas de mal.

Ember détourna la tête vers la ruelle. Faire du mal à une femme ? Quel intérêt ? Où est la morale ? Surpris par ses propres pensées, il en négligea la voix de la raison qui lui ordonnait de rester calme, de surveiller ses arrières et de rester méfiant. Non, il se contenta de regarder fixement à l'opposé de cette femme.

-Te faire du mal ? Pourquoi donc ? Quel intérêt aurais-je à te faire du mal ?

Il posa son regard sur cette femme de nouveau. Il ne put pas la regarder très longtemps. Dès qu'il tourna ses yeux vers elle, il entendit une voix derrière lui. Et des bruits de pas aussi. Il eut tout juste le temps d'invoquer une Broadsword et se placer devant cette femme. La voix ? Il n'aurait pas pu en être sûr, mais elle semblait dire quelque chose du genre "Feu à volonté".

Détonations. Combien ? Une douzaine. Ember força la femme à se coucher tandis qu'il s'agenouillait derrière sa Broadsword afin d'esquiver et de bloquer les balles. Il sentit trois brûlures ardentes au niveau de son épaule droite. De rage, il lança sa Broadsword sur les gardes. Tous esquivèrent et prirent la fuite. Il regarda ensuite l'état de son épaule.

-Merde... Merde, merde, merde, merde...

La brume verte. Elle ressortait de son corps. Et il ne maîtrisait plus son skin. Il lui fallait remettre cette brume dans son corps au plus vite. Il mit sa main sur la brume, et la força à rentrer à l'intérieur des plaies. Son corps entier grésilla, il fut parcouru de secousses... Enfin, pour lui cela se manifestait par des secousses. Pour n'importe quelle autre personne, c'était très clairement le genre de bugs qui pouvaient arriver à une télévision, avec de fines distorsions à tous les niveaux. Retenant un hurlement de douleur, qui se mua en plainte muette, il finit par rentrer toutes les données dans son corps. Il changea à nouveau de skin. Cette fois-ci, il avait choisi une sorte de costume blanc. Rien à faire, le costume se tâchait de vert. Il lui fallait faire une chose en vitesse...

-Data OverDrive. Scarlet Demon !

L'aura rouge-orangée se déploya, tandis que ses cheveux passaient progressivement du rouge au noir. Les cornes poussaient, et il commençait à voir rouge, au sens littéral du terme. Le temps que la transformation se finisse, la plaie avait guéri. Il repassa donc en forme normale, puis s'effondra, épuisé.

-Est-ce... la fin ?

La dernière perception qu'il eut fut le orange flamboyant de la chevelure de la femme. Puis son esprit le quitta. C'était, pour ainsi dire, son mode veille.

L'intérêt ? Mais qu'est-ce que j'en sais, moi ? Où est l'intérêt de sortir son espèce de gros machin dentelé devant les flics ? À part se prendre une balle, bien entendu. retourne-toi et coure, Hitomi ! Plus tu seras loin de ce gars mieux tu te porteras ! mais le temps d'y penser c'est trop tard. Les quatre policiers sont au bout de la rue, en joue.

L'étrange jeune homme se rue vers moi, faisant apparaître son arme terrifiante. Il me jette au sol pour la planter juste devant ma tête. Je reste pétrifiée alors que la fusillade éclate. J'entends les coups de feu, les balles qui sifflent autour de nous. Allongée sur le dos, je vois l'étrange jeune homme jouer les boucliers humains. Je ne pensais pas pouvoir être plus surprise, pourtant je ne rêve pas. De petits nuages verts éclatent autour de son épaule.

Il se relève pour balancer son arme sur les policiers, qui ne se font pas prier pour détaler. Je me redresse sur mes genoux, abasourdie. Dans quel espèce de cauchemar surréaliste j'ai atterri ? À l'entendre jurer le jeune homme est blessé. Soudain il se met à... Je ne sais même pas ce qui lui arrive. On dirait une image de télévision complètement parasitée, genre "Au-delà du réel", mais aucune voix ne vient me rassurer sur ce qui se passe. il serre les dents en retenant la brume verte qui s'échappe de son épaule.

Tout à coup ses vêtements changent. Ses gants, son foulard et son pantalon laissent place à un costume blanc. Mais à peine arrivé le tissu se tâche de vert au niveau de l'épaule.

-Data OverDrive. Scarlet Demon !

Cette fois je frôle vraiment la crise cardiaque. Tout son corps se tord et se distend sous mes yeux. Il change de couleur, des cornes lui poussent. cela ne prend que quelques secondes. Puis soudain il s'effondre, redevenu le jeune homme svelte aux cheveux rouges.

-Est-ce... la fin ?

Puis plus rien. Je rassemble assez de courage pour venir me pencher sur lui. Ses yeux se ferment. J'ai le cerveau en ébullition, je ne sais ni à quoi je pense ni si je suis vraiment en train de penser. Est-ce qu'il est mort ? Soudain je me dit que les policiers ne vont pas tarder à revenir. Qu'est-ce que je peux faire ? Le laisser là et m'enfuir le plus vite possible est la première idée qui me vient. Mais sans lui les flics m'auraient transformée en passoire. Remarque : sans lui ils n'auraient pas eu de raison de tirer. Dans tous les cas je dois vite me décider.

- Et merde...

Je passe un bras sous ses jambes, un autre sous ses épaules. Il n'est pas bien lourd, mais je ne suis pas non plus très musclée. En plus, avec ces foutus talons aux pieds. Mais j'arrive tant bien que mal à le ramener chez moi. Faut-il que je sois conne pour faire une chose pareille ! Mais je ne voyais pas d'autre solution. Heureusement que les coups de feu avaient fait fuir tout le monde à des rues à la ronde.

Me voilà à faire les cent pas au pied de mon lit, à attendre qu'il se réveille.

L'endroit est étrange. Toutes les couleurs de l'arc-en-ciel sont présentes, et ce dans le ciel comme sur le feuillage des arbres. Il a beau courir, il ne peut s'approcher des arbres. Habillé d'un costume une pièce faisant penser aux vêtements d'un cardinal, en violet, il ne peut changer sa tenue. Mais à quoi bon ? Il aime cet habit. Il ressemble à un empereur comme ça. Là-bas. C'est un lac ? Non... Ca y ressemble, mais on dirait une des maisons de ce monde bizarre où il est arrivé. Il en avait entendu parler... Ça s'appelle une piscine, si il a bien compris. L'eau est rouge orangée, et deux caractères se reflètent avec une couleur argentée dans cette eau. Yume. Rêve.

C'est donc ça, ces fameux rêves dont de nombreux joueurs parlaient. Ils disaient rêver de devenir ceci ou cela, la plupart étant des professions apparemment. Dans le jeu on ne pouvait pas être grand chose. Les professions dites devaient donc faire partie de ce monde étrange... Le rêve est donc un poème adressé aux âmes de chacun, selon leurs désirs. Son propre rêve est donc son désir de liberté ? Dans ce cas pourquoi en est-il conscient ?

Les caractères dans l'eau ont changé. Ils sont six. Lushido Durimu. Lucid Dream. Donc un rêve où on est lucide. Il suffit de le savoir... Le PNJ est maintenant partagé entre rester ici, dans ce paradis, pour toujours, et repartir vers l'autre monde, investi de sa soi-disant mission divine. Le choix, ce n'est pas lui qui le fait. Ce qu'il voit maintenant est un plafond et des murs. Ce qu'il sent sous lui est... un matelas. Ce qu'il ressent au ventre, c'est une douleur ainsi que des cris déchirants exprimés par des grondements atroces. Est-ce une sorte de malédiction de ce monde ? Ember comprend bien vite qu'il est atteint de la maladie que les joueurs nommaient "faim". Il faut la soigner, mais comment ? Et surtout...

-Bref, où suis-je ?

Il ne reconnaît pas l'endroit. Il se parlait à lui-même mais reconnaît bien vite la femme qui le regarde. C'est la femme de la ruelle. Elle l'a porté jusqu'ici ? Il faut dire qu'il ne pesait en tout, fichiers compilés, que 5,68 kilo-octets. Repérant dans ses options un convertisseur en "kilogrammes", il compare donc son poids dans ce monde. Ici, un bit pèse un gramme. Selon le logiciel, il pèse donc près de 45 "kilogrammes", ventre vide. Il faut qu'il mange, et vite. Non seulement les grondements l'agacent, mais en plus il se sent bien faible.

Le jeune inconnu ne se réveille toujours pas. Je vois ses yeux qui bougent sous ses paupières. Il rêve. C'est bon signe, non ? Ça veut dire qu'il n'est pas dans le coma, que son cerveau fonctionne toujours d'une manière ou d'une autre. Ça me rassure. Mais qu'en est-il du reste ? Je m'approche du lit à pas de loup pour ne pas le réveiller. Je pose délicatement le main sur son front. Ni brûlant ni glacé. Je prends ça comme une autre bonne nouvelle. Après tout ça, j'en ai autant besoin que lui.

Puis il se réveille, et son ventre se met à gargouiller. J'aurais du me douter de ça, après tout il s'est bien dépensé. Il regarde autour de lui mais ne paraît pas inquiet.

-Bref, où suis-je ?
-Vous vous êtes évanoui. Je ne savais pas quoi faire alors je vous ai ramené chez moi.

J'espère que ça ne va pas le mettre de travers. Après ce que j'ai vu dans cette ruelle, je dois avouer qu'il me fait un peu froid dans le dos. Mais il n'a jamais eu l'air de vouloir s'en prendre à moi, et il est si faible en ce moment. Je pose une main que j'espère rassurante sur son épaule.

- Ne bougez pas, je vais vous chercher à manger.

Je lui sourie avant de quitter la chambre. Heureusement que j'ai fait le ménage hier, sinon il aurait atterri dans un chaos de tailleurs, de culottes et de lingerie agonisant un peu partout dans l'espoir d'une lessive. La table fer fer qui me sert de bureau est à peu près en ordre. Pas de vêtements qui traînent. Même le miroir de ma grande armoire, en face du lit, est nickel. Et avec le rideau de la porte-fenêtre du balcon entrouvert, il doit y voir assez sans être gêné par la lumière du jour qui décline lentement.

 Je passe dans le living, puis la cuisine et... Une seconde. Ce gars a saigné vert. Et encore, si on peut appeler ça saigner. Qu'est-ce qu'il peut bien manger ? j'en ai pas la moindre idée. En même temps, si son ventre gargouille il doit être au moins un peu humain, et vraiment affamé. Je commence à fouiller la cuisine. Quelque chose de digeste, mais qui lui un peu de forces. J'ouvre le frigo. Tiens, un reste nouilles au...

- Whoua !

Ça sent pas la fraîcheur ! Depuis combien de temps ça traîne là ? Poubelle, je ne vais pas empoisonner cet étrange inconnu après l'avoir sauvé. Par contre il va falloir que je fasse les courses, c'est pas Byzance dans le frigo. J'ai bien une tomate et un peu de salade encore en bonne forme. Je les sors pour les poser sur le plan de travail. C'est léger, peut-être un peu trop. Un petit tour dans les placards... Du thon ? Ça devrait le faire. Par contre, pour avoir plus consistant il faudra que je commande quelque chose. En attendant je lui prépare sa petite salade. Pas très japonais comme présentation mais ça ira bien.

Je reviens dans la chambre avec ma petite assiette de crudités.

- Désolée, je n'ai pas mieux. Mais si vous voulez je peux sortir chercher autre chose, ou commander.