J’adorais me balader dans la ville et surtout les mauvais quartiers. C’est là qu’on trouvait les plus grands pécheurs et les meilleures âmes à sauver. J’essayai surtout de protéger ceux qui se perdaient dans le coin et finissaient dans des embrouilles non recherchées. Je ne cherchais pas forcément à protéger les gens du commun de leurs petites faiblesses. Les hommes allant chercher un peu de réconfort dans les bras de demoiselles qui monnayent leur aide. Les humains avaient leur faiblesse et bien que la prostitution soit mal vue, ces filles devaient bien vivre. Je ne leur jetais pas la pierre, loin de moi cette idée. Je m’en prenais plus aux dealers, souteneurs, violeurs et autres criminels qui posaient davantage de problèmes.
Ces derniers temps, j’avais dans mon collimateur angélique une boite de strip-tease. Elle attirait beaucoup de monde, du bon comme du mauvais. Je sentais certaines personnes mal attentionnées venir en ce lieu. Certains qui aimeraient s’en prendre aux jeunes filles travaillant là. Ces types rentraient, mataient et se mettaient à guetter les filles dehors. Je n’aimais pas ça du tout. Ayant la capacité de lire dans les esprits et de ressentir les émotions, deux ou trois types étaient à surveiller.
Depuis plusieurs soirs, je faisais donc le pied de grue à quelques mètres de la boite, sur un pont. De là, je pouvais bien voir la bâtisse et surtout ceux qui trainaient aux alentours. Le souci était que moi aussi, on me voyait bien. L’avantage c’est que les types préféraient ne pas rester quand je me trouvais là. Même humain, je possédais une stature non négligeable et vu mon allure dégelasse, les hommes ne se sentaient pas de rester dans le coin. L’effet pervers était que les « bons » clients avaient peur aussi et ne venaient plus mais là, c’était un problème moindre pour moi.
Le cul vissé au sol glacé, je fumais une clope en observant le lieu. Ce pont était battu par les vents. Je me gelais. Même si j’étais un archange, sous ma forme humaine, j’étais plus sensible au milieu extérieur. C’est alors que je vis un type sortir de la boite et se diriger vers moi. Celui-là je ne l’avais jamais vu. Je plissais les yeux pour mieux l’observer. Il avait une certaine allure et une bonne assurance. Ce n’était pas un client. Ceux-là avançaient plutôt la tête basse avec un pseudo air coupable. Ce n’était pas son cas. Il s’approchait de moi. Je compris qu’il devait bosser là. Peut-être était-il même le propriétaire. Putain ! J’avais du me faire un peu trop remarquer. Mais bon, je ne comptais pas m’enfuir. Manquerait plus que ça ! J’attendais donc tranquillement assis que l’homme n’arrive devant moi. Tout comme moi, il fumait. Par contre, lui, il était niquel. Des fringues propres et bien coupés, rasé de près, une belle gueule. Il fallait bien lui reconnaitre ça. A côté de lui, je faisais encore plus miteux. Mes fringues étaient plus qu’en fin de vie, ils étaient troués, élimés. Mon jean, bleu au départ, était désormais marron, taché et déchiré en de nombreux endroits. Idem pour mon T-shirt noir qui avait connu des jours meilleurs. Quand à mon manteau, il était bon pour être mis à la poubelle depuis longtemps. A cela, il fallait ajouter mon odeur déplaisante au possible. Cela devait bien faire 15 ou 20 jours que je n’avais pas pris de douche. Je devais embaumer autant qu’un plateau de fruits de mer pas frais. Idyllique n’est-ce pas ? Mais bon, je vivais dans la rue, je faisais avec ce que j’avais ou plutôt avec ce que je n’avais pas.
« Belle soirée, n’est-ce pas ? »
Je levais les yeux vers lui et je hochais la tête en souriant. Je savais bien qu’il était venu me faire dégager mais, à moins qu’il fasse quelque chose pour protéger davantage ses employées, je ne bougerai pas une plume de là !
Je me mis à farfouiller dans une des poches de mon manteau, la seule qui n’était pas trouée, pour en sortir un bloc-notes. Je ne m’en séparais jamais. J’avais fait le choix de ne plus parler, ou de parler le moins possible. Le blabla, je n’aimais pas ça. J’optais pour la télépathie avec mes congénères mais j’évitais avec les humains en général. Avec un vieux stylo que j’avais eu gratos, je griffonnais quelques mots sur le calepin avant de le tendre à mon visiteur.
+Oui une très belle soirée. Pardonnez-moi, mais je ne parle pas. Vous êtes qui ?+
Même si je me doutais bien qu’il devait être le propriétaire de la boite, mieux valait m’en assurer. Et puis, j’étais curieux. J’avais hâte de savoir ce qu’il allait me dire le jeune homme !