Cela devenait une obsession malsaine. Non, pas le fait qu’elle n’écoute plus qu’Alice Cooper en boucle, osant même accrocher des posters de lui dans quelques pièces de sa demeure. Pas le fait qu’elle ne boive plus que du thé pomme-cannelle qui offrait à un goût sucré à tout sa bouche, et même tout son corps, parfumant ses cheveux d’un nuage délicieux.
Elle n’en dormait plus. Elle rêvait trop des Enfers. C’était devenu maladif. Elle passait ses nuits, les yeux grands ouverts, craintives de retourner en un Enfer affreux, Hadès oubliant sa promesse, et elle imaginait déjà toutes les créatures infernales lui ronger les chevilles et les poignets, lui tirer les cheveux, lui hurler des insanités aux oreilles …
Il était minuit et, pour ne pas changer, Edge ne dormait pas, enveloppée dans ses angoisses.
Elle devait agir, elle le sentait.
Elle se leva, nue, et enfila un kimono aux couleurs crème et caramel, brodé de doré. Puis, elle changea. Un slim noir, des talons aiguilles, top blanc simple, débardeur à résilles et perfecto en cuir. Elle était presque contemporaine. Cela lui faisait mal, parfois. Mais elle ignora cette sensation, et prit son flacon. Elle en glissa un autre dans sa poche, et d’un geste violent, but le premier. Aussitôt, un tourbillon l’emporta et, cramponnée à sa douleur comme à chaque téléportassions là-bas, elle sentit son corps craquer de part et d’autres.
Dans un hurlement de douleur, elle atterrit donc aux Enfers. Depuis qu’Hades avait fait d’elle une de ses alliées, elle venait lui rendre visite, de temps en temps. Elle vérifia si elle avait son second flacon, et, rassurée, avança d’un bon pas. Enfin, bon pas … Le voyage l’avait remuée, elle marchait à la manière d’une ivrogne. Elle fut étonnée de voir les Enfers si calmes, et continua sa route. Un des palais d’Hades n’était pas loin, elle reconnaissait le chemin. Mais son ventre se serrait toujours autant … Elle ne pensait plus qu’à ça. Les Enfers. Et le fait qu’elle soit une fugitive …
- Edge ?
Elle sursauta, et se retourna. Il était là. Hadès. Elle prit son inspiration, le cœur battant, s’inclinant devant lui.
- Que me vaut … ?
- Je n’en peux plus, Hadès, coupa-t-elle.
Il prit un air étonné, et la conduisit, sans répondre, jusqu’à son palais. Qu’il était beau … Elle repensa, honteuse, à leurs ébats, la dernière fois qu’il était venu sur Terre. Il perçut, ce rougissement, l’accueillant en souriant. Il la fit asseoir sur un siège confortable.
- Que se passe t’il ?
- Je n’ai de cesse de rêver des Enfers. Je n'en peux plus.
- Je ne vois pas pourquoi.
- Je me dis que je suis seule, voilà tout. Seule à avoir connu ce genre de lieux. Personne avec qui partager mes sentiments.
Il l’embrassa sur la joue, elle eut un sourire, et un rougissement délicat.
- Tu devrais te sentir avantagée ... dit-il.
- Ce n'est plus le cas.
Il soupira longuement.
- Tu te penses seule ? Tu te trompes.
Elle se releva violemment de son siège, les yeux écarquillés.
- Que dis-tu là ? s’écria-t-elle.
- Un autre homme … Enfin, il ne vient pas des Enfers, mais … il est comme toi. Il me fait penser à toi.
- Pourquoi cela ?
- C’est un ancien ange, si je me souviens bien. J’en avais parlé avec une déesse.
Elle ouvrit de grands yeux - plus grands encore qu’avant - et lui sauta au cou.
- Qui est-ce ?
Il lui sourit.
- Curieuse, va, lança Hadès. Je vais inculquer son visage dans tes pensées, d’accord ? Mais tu te débrouilleras pour le retrouver.
Il appuya son doigt sur sa tempe, et elle prit aussitôt en mémoire cet homme. Son visage, ses traits, ses tenues, son attitude … Tout. Mais elle ignorait son nom. Elle voulut le demander au dieu des Enfers, mais il la fit taire.
- Tu te débrouilles, maintenant, dit-il simplement.
- Mais …
- J’ai dit.
Il glissa sa main dans sa poche, attrapa le flacon, et lui offrit de le boire.
- A toi de jouer, Edge.
Elle le but à contrecœur, et revint sur Terre en un clin d’œil. Le visage, là, dans son esprit. Pas de nom, rien. Elle devrait faire preuve de débrouillardise profonde. Dans un soupir rageur, elle entama des recherches … Qui s’avérèrent fort longues. Quelques invocations de démons lui permirent de les soudoyer, et d’obtenir un nom : Lamento. Mais ils lui annoncèrent que cet être ne se souvenait pas de son ancien statut d’ange. Et, après avoir maudit Hadès, et remercié les entités, elle le chercha, sans réellement savoir où aller.
Cela mit, au moins, deux semaines. Elle put un peu dormir, et finit par savoir une chose. Elle le trouverait sur Terre. Et dans un parc, non loin de la ville, où on l’avait souvent croisé. Elle était décidée ; elle devait le rencontrer. Ne serait-ce que le voir, pour ne pas se sentir seule. Elle glissa dans une sacoche quelques philtres, et enfila une tenue correcte.
Enfin, correcte … collants résilles, Dr Martens à talons, jupons en dentelle court-mais-pas-trop, débardeur noir, veste cintrée. Elle ne ressemblait qu’à une adolescente défoncée. « Oh, merde, hein. » Elle prit une longue inspiration, deux redbullls, et partis dans le parc, se posant sur un des bancs, avec la ferme intention de découvrir qui il était. Ou, au moins, de le voir.
Elle se le répétait. Elle ne supportait plus de se savoir la seule à être marquée par cet autre monde sur lequel tout le monde fantasmait.
Elle se sentait proche de lui, sans le connaître.
Alors, oui, elle était une adolescente défoncée, à l’âge inconnu.