Ville de Seikusu, Kyoto, Japon, Terre > Complexe d'études secondaires et supérieures

Fin de journée [PV Shylee Tsumo]

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Saïl Ursoë:
Nous sommes à Seikusu, vers la fin du mois de mai, et les dernières heures de l’après-midi approchent avant que le soir ne s’annonce, l’astre solaire commençant tout juste à entamer sa lente descente vers l’horizon pour laisser la place à sa sœur lunaire. Plus précisément, il est dix-sept heures, heure bénie pour la population du lycée local, laquelle peut entendre retentir une sonnerie libératrice, annonciatrice de la fin d’une pénible journée de labeur. Tous et toutes peuvent enfin se libérer des salles de classe trop souvent surchauffées en ce printemps qui est déjà presque un été ; et s’égaillant comme les habitants d’une fourmilière pleins d’alacrité, chacun se voit accordé un salutaire répit pour aller vaquer à ses occupations  en attendant un trop studieux lendemain.

Les cours prenant fin à seize heures trente ont libéré toute une marée d’enfants d’âges divers, et en un éclair, avec cette célérité propre aux prisonniers délaissés par leurs geôliers qui peuvent enfin crier à la liberté, les élèves se sont rués vers la sortie, laissant le silence retomber dans les couloirs après le tumulte d’une foule bruyante et exubérante. Les corridors auparavant noirs de monde ne sont désormais plus arpentés que par quelques personnes s’affairant à remplir leurs derniers devoirs avant de s’en aller goûter à un repos bien mérité, et Saïl est de ceux-là.
Explication de sa présence : il se trouve que le professeur de biologie ordinaire ayant été victime de vilains troubles de santé suite à une allergie impromptue, la place a été momentanément laissée vacante. Ainsi donc, notre bon Ursoë n’étant pas homme à laisser passer une occasion de faire profiter les autres de sa science ni de mettre du beurre dans les épinards, il ne manqua pas de présenter sa candidature, qui fut acceptée.
Ainsi donc, le voilà enseignant, et de temps à autre durant la journée, on peut ainsi le voir présent à un endroit où à un autre de l’établissement scolaire, toujours aussi aisément reconnaissable à sa forte stature qui est a contrariori de son allure un peu gauche et de son aspect réservé, le tout enveloppé dans des vêtements qui ne respirent ni luxe, ni élégance particuliers. Chemise de lin blanc, pantalon de coton beige et chaussures marron, sans compter à la main un sac qui tient étrangement plus de la sacoche de médecin que du cartable d’instituteur ; rien en soi que de plutôt banal pour ce grand homme doux aux cheveux bruns désordonnés et aux yeux noisette.

En ce moment même, la démarche relaxée et l’air assez détendu, on peut le voir remonter un couloir peuplé d’à peine quelques élèves fuyards retardataires, prenant la direction de la salle des professeurs. Juste quelques copies à faire pour le prochain cours, et à son tour, il pourra rejoindre son chez-lui pour le reste de la soirée.
En entrant, son regard embrassant distraitement l’espace relativement réduit du local n’aperçut personne, aussi se dirigea-t-il directement vers la photocopieuse, passant d’un pas rapide entre la grande table centrale et la rangée d’armoires laissées à la discrétion du personnel enseignant pour entreposer ses affaires…

« Oh ! »

Coup d’œil salutaire qui, au dernier moment, le fit apercevoir une petite silhouette en position accroupie, occupée à chercher quelque chose dans son casier, et que l’œil distrait de Saïl ne lui avait pas permis d’apercevoir au premier abord. Manquant de la télescoper comme un malpropre, il ne dut son salut qu’à un écart rapide qui tint plus du dérapage incontrôlé que de l’esquive, manquant de s’étaler à terre avant de reprendre précairement son équilibre, une main agrippée à une chaise, une autre brandissant son bagage en une espèce de parodie croquignole de funambule, une jambe brandie maladroitement et l’autre ancrée presque désespérément à terre.

« Excusez moi. Je suis désolé. » Parvint-il à articuler en ne se sentant pas l’audace de regarder le visage de la demoiselle aux cheveux bleus qu’il avait manqué de culbuter.

Ne sachant où se mettre, il se remit en toute hâte dans une posture plus sérieuse, puis exécuta une sorte de salut fantoche d’une inclinaison du buste faite avec une précipitation gênée avant de battre ensuite timidement en retraite en direction de la photocopieuse. Là, il s’empressa de faire ce qu’il était venu faire histoire de se donner une contenance, n’osant pas se retourner de peur d’affronter le regard de la jeune femme et de se rendre encore plus ridicule et inconvenant qu’il ne l’avait déjà été.
La lumière extérieure commençait à se teinter de reflets mordorés, semblant baigner la petite pièce d’intangibles vaguelettes colorées, alors que le silence ambiant ne se trouvait peuplé que par le ronronnement bruyant de la machinerie sur laquelle Saïl s’activait.

Shylee Tsumo:
La journée touchait progressivement à sa fin, ou du moins, la journée de travail. Et encore une ! Sa première semaine dans le lycée de Seikusu s'était déroulée comme du papier à lettre. Quant à la seconde, et bien, disons qu'elle avait eu quelques petits problèmes incongrus mais bon, rien d'insurmontable après tout. Tant que ça s'ébruitait pas, c'était le principal, non ? Elle ne voulait pas non plus perdre son premier poste après seulement deux petites semaines, surtout à cause d'actes qui n'étaient pas vraiment de son fait. M'enfin, n'en parlons plus. Shylee voulait oublier ce qui s'était passé seulement, difficile de perdre la mémoire ou bien d'effacer des souvenirs en un claquement de doigt. Mais le travail aidait à cela.

La dernière sonnerie de la journée venait de retentir. En effet, Shylee, depuis la salle des professeurs, écoutait le bruyant brouhaha des élèves qui se levaient, faisant ainsi grincer leurs chaises sur le sol, qui bavardaient tandis qu'ils rangeaient leurs affaires. Les portes des différentes salles de cours s'ouvrirent, lâchant ainsi les fauves dans la nature, jusqu'au jour suivant. Certains allaient rejoindre leurs pénates, afin de passer un moment en famille avant de faire les devoirs qu'on leur avait donnés. D'autres se rendraient au gymnase, histoire de faire un peu de sport et de bien se fatiguer avant qu'ils n'aillent se coucher. D'autres ne feraient rien de tout cela et préféreraient très certainement des activités ... comment dire ... plus secrètes, dans des recoins bien sombres, ou des endroits très loin de la vue des autres. Enfin, chacun faisait bien ce qu'il voulait non ?

Revenons à nos moutons. Pourquoi Shylee était dans la salle des professeurs ? Déjà, parce qu'elle y était bien mieux que dans sa salle de classe, à son bureau. De deux, parce que les élèves n'avaient pas le droit d'y venir sans une raison bien particulière et que de ce fait, Shylee était bien tranquille pour corriger la fin des copies qu'elle avait. Et de trois ? Bin, la décoration était un peu meilleure que dans sa salle de cours. Ce qui pouvait y avoir en plus ? Elle avait appris que chaque professeur pouvait, s'il le désirait, décorer un pan de mur selon ses envies. Il y avait donc un peu de tout : des affiches de cinéma, des célébrités, des tableaux, des photographies, des dessins d'enfant, des feuilles avec quelques mots inscrits dessus, comme les "perles" des élèves, ces phrases complètement fausses et sorties de leur contexte qui faisaient si bien marrer les profs quand ils corrigeaient la copie. Enfin, y'avait un peu de tout quoi. Les murs n'étaient pas totalement remplis. Il en restait encore trois à quatre de vide. Ils étaient encore nus, mais pour combien de temps ?

Shylee se leva et s'approcha des casiers réservés aux professeurs. Elle dût s'agenouiller du fait que son casier était plus bas que terre. Oui, pas facile de récupérer ses affaires ou bien pour en ranger. Bien évidemment, il avait fallu qu'on lui donne un casier trop bas pour elle mais que pouvait-elle y faire ? Faire des histoires pour un simple casier n'était pas vraiment de son genre. Et puis, aller voir l'administration juste pour cela ... Si jamais elle avait un autre problème, là, à ce moment, elle irait les voir et parlerait de cela mais sinon, elle ferait bien avec. Et puis, après tout, n'était-elle pas jeune et en bonne santé ? Ne pouvait-elle pas se baisser tous les jours, épargnant ainsi cet exercice à des professeurs plus âgés qui pourraient se faire mal ? Hein ? Fallait pas penser qu'à soi non plus !

Enfin, tandis qu'elle était à quatre pattes près de son casier, fouillant même dans ce dernier pour chercher un truc qu'elle pensait avoir mis là, Shylee entendit la porte s'ouvrir, ainsi que des bruits de pas. Elle n'y prêta pas plus attention, du moins, pour le moment. Elle avait perdu ce fichu dossier et ça l'embêtait, à moins qu'elle ne l'avait laissé chez elle. Elle ne savait plus. Ca, c'était les tracas de la vie qui vous faisaient perdre un peu la mémoire. Rien de grave mais bon ... Elle poussa un léger soupir, se disant qu'elle verrait bien quand elle rentrerait chez elle.

Et puis, d'un seul coup, elle entendit un boucan pas possible provenant dans son dos. Quand elle se retourna, elle vit un homme qui avait presque failli se retrouver à terre. Il semblait plutôt grand mais elle ne pouvait pas en être sûre, à cause de sa position. Ses cheveux bruns semblaient être en bataille : était-ce du à la pseudo chute qu'il avait pu éviter de justesse ? Ou bien un style de coiffure propre à lui ? Allez savoir. Aussitôt, il s'excusa. De quoi ? D'avoir failli se retrouver au sol ? C'était pas de sa faute ... Sûrement qu'elle avait dû laisser traîner un de ses pieds, ou un truc dans le genre. Peut-être était-ce elle la cause de ce boucan. Rapidement, il se remit dans une position correcte, enfin, debout, et s'éloigna de Shylee, après l'avoir rapidement salué.

Tandis qu'il était près de la photocopieuse, Shylee referma son casier et se releva, l'air un peu déçue. Elle n'avait pas trouvé ce qu'elle cherchait, tant pis. Peut-être qu'elle l'avait laissée chez elle. Elle jeta un coup d'oeil vers le prof. Il lui semblait nouveau. Deux semaines qu'elle était là et elle ne l'avait encore jamais vu ... Peut-être était-il là depuis longtemps mais qu'ils n'avaient pas encore eu l'occasion de se croiser. Lentement, elle se rapprocha de lui.

"Euh ... J'espère que vous ne vous êtes pas fait mal ... Vous êtes nouveau, non ?" demanda-t-elle en passant du coq à l'âne.


Saïl Ursoë:
Plus les secondes s’écoulaient, et plus il semblait au jeune homme qu’il faisait chaud, la faute en revenant non pas à la température ambiante plutôt douce, pas plus qu’à la photocopieuse bruyante et crachotante, mais bien à l’embarras de Saïl qui sentait distinctement le rouge proverbial lui monter aux joues. Un moment, il s’avisa que présenter ses excuses plus distinctement et plus poliment aurait été de meilleur aloi que la piètre prestation qu’il avait offerte, mais il se fit ensuite la réflexion que le faire à retardement n’aurait probablement fait que le rendre plus inconvenant encore, aussi ne broncha-t-il finalement pas, absorbant sa gêne dans la contemplation du mécanisme machinal qu’il avait en face de lui.
Ainsi, ce fut à cause du bruit considérable de cet engin scolaire, mais aussi –il faut bien l’avouer- à cause de sa distraction naturelle, qu’il ne se rendit pas compte que la jeune femme s’était approchée de lui, ne la remarquant qu’au moment où elle prit la parole, manquant de le faire sursauter.

Précipitamment, il se retourna, devant baisser un peu la tête pour se retrouver face à un minois que l’on pouvait facilement qualifier d’angélique avec sa légère rondeur juvénile qui se combinait à une blancheur digne d’une poupée de porcelaine. Autour de cela, à la manière une grande traîne aux allures d’ailes de coloris océans, une masse considérable de cheveux d’un doux bleu s’épanouissait en cascade, faisant ton sur ton avec des yeux d’une teinte turquoise semblant émettre d’eux-mêmes une douce luminescence. En accord avec un si délicat faciès, on pouvait découvrir un gabarit fort menu fait de membres fins et de courbes souples qui ne faisait que renforcer le sentiment d’amabilité que dégageait la demoiselle. De plus, cela était sans compter l’écrin dont cette perle marine azurée s’était enveloppée, fait de vêtements qui alliaient sobriété et élégance en une combinaison du meilleur goût, surtout en comparaison de Saïl dont le sens de la mode avait toujours été à peu près au niveau de celui d’un néanderthalien.

Il est gênant de s’avérer fautif en face de quelqu’un ; il l’est davantage de l’être devant une femme ; et il l’est encore plus de l’être en présence d’une jolie femme. Le sieur Ursoë étant quelqu’un de fondamentalement peu à l’aise en matière de relations sociales, on concevra donc l’embarras qu’il ressentit lorsqu’en faisant volte-face, son visage se retrouva si proche de cette belle donzelle. La faute lui en revenait, car s’il avait pris la peine de l’observer plus attentivement au premier coup d’œil, il aurait pu d’office la trouver ravissante, et ainsi s’éviter le trouble de ne s’en rendre compte qu’au moment même où elle lui adressait la parole. En vérité, elle paraissait aussi redoutable qu’un bouquet de plumes, mais cela n’empêcha pas le biologiste de se sentir des plus humble à la pensée qu’il avait manqué de piétiner une personne d’apparence aussi adorable.
Le temps pour son esprit enchevêtré de reprendre un peu d’air, et il put répondre quelque chose en bafouillant quelque peu d’une manière malheureusement assez disgracieuse :

« Heu, non, non, je vais bien… ne vous inquiétez pas pour moi… »

Arrivé à ce stade, lui-même finit par se rendre compte qu’il frisait le ridicule, et donc, s’efforçant de faire meilleure figure, il s’éclaircit la voix d’un toussotement, se passa machinalement les doigts dans ses cheveux en bataille, et, affichant un sourire un peu crispé, toujours maladroit mais sincère, répondit :

« En quelque sorte : je remplace M. Shizutsu. » Puis, faisant l’effort de poursuivre sur sa lancée, il enchaîna en tendant une de ses grandes mains « Je m’appelle Saïl. A… à qui ai-je l’honneur ? »

A ce moment, avec pour finir un long chuintement prolongé, la photocopieuse régurgita le dernier polycopié que Saïl avait programmé, son vacarme mécanique s’achevant enfin pour laisser un silence nettement plus reposant prendre place dans la salle.

Shylee Tsumo:
Il sembla à Shylee qu'elle avait surpris son interlocuteur. En effet, il semblait décontenancé par son approche ... Peut-être s'était-il attendu à ce qu'elle marmonne quelques mots dans son coin parce qu'elle n'aurait pas trouvé ce qu'elle cherchait ... Peut-être pensait-il qu'elle aurait pris la poudre d'escampette après cet incident, sans demander son reste. Mais Shylee n'était pas du genre à s'enfuir pour un simple incident. Elle le faisait seulement si elle se sentait en danger ou qu'elle avait une trouille pas possible. Or, ce n'était pas le cas. Non, elle se sentait en sécurité, capitonné dans cette salle de prof où peu de personne avait le droit d'en franchir le pas.

Enfin ... Shylee se doutait bien qu'elle avait en face d'elle un professeur. D'une, parce qu'il n'aurait pas pénétré comme ça dans la salle des profs. De deux, parce qu'il était en train de faire des copies d'une autre feuille. Et ce n'était très certainement pas un élève qui viendrait faire ses copies ici, l'accès lui étant interdit. Un membre de l'administration ? Impossible, ils avaient leur propre photocopieuse, alors, pourquoi venir ici. Non, il n'y avait pas de doute. Il était forcément un nouveau prof, d'où le fait qu'elle ne l'avait jamais vu. Etait-ce son premier jour ? Etait-il la veille mais elle n'avait pas eu l'occasion de le croiser ? Plusieurs questions trottaient dans la tête de Shy, mais ce n'était pas pour autant qu'elle allait les lui poser. Non, elle préférait laisser faire et qui sait, sans le vouloir, il répondrait peut-être à des questions qu'elle se posait.

Finalement, lorsqu'elle prit la parole, son interlocuteur se retourna, baissant la tête par la même occasion. Car oui, il faisait bien au moins une tête de plus qu'elle, si ce n'était plus. Shylee sentait que ses petits yeux noisettes l'observaient mais bon, quoi de plus normal. Après tout, elle faisait de même. Elle voulait essayer de se faire une idée sur sa personne, sur le comment du pourquoi de sa présence ici, quelle matière il pouvait enseigner. Des questions qui, tôt ou tard, trouveraient une réponse. Finalement, il prit la parole, lui répondant qu'il allait bien et qu'il ne fallait pas s'inquiéter pour lui. Bin si, elle s'était quand même inquiétée. Imaginez-vous s'il était réellement tombé ! Il aurait pu se faire mal, se cogner contre le pied d'une chaise, avoir une vertèbre déplacée ... Que des trucs pas cools quoi. Mais elle était contente d'apprendre que tout allait bien pour lui.

Après s'être passé les doigts dans les cheveux, il lui annonça qu'il remplaçait M. Shizutsu ... Oh ... Fort bien mais il était prof de quoi ? Cela ne faisait que deux semaines qu'elle était là et elle ne connaissait pas encore tous ses collègues. Il lui tendit alors la main, afin de la saluer, et lui annonça qu'il s'appelait Saïl.

"Shylee Tsumo, professeur de mathématiques." répondit-elle en lui serrant la main avec un sourire.

Elle avait eu l'occasion de croiser d'autres professeurs mais jusqu'à présent, elle n'avait pas vraiment pris le temps de sympathiser avec eux. Un manque flagrant de temps, pour les uns comme pour les autres mais qu'y pouvait-elle ? Les emplois du temps n'étaient pas fabriqués sur mesure pour chaque d'entre eux. Certains en avaient des biens, et d'autres pas. La photocopieuse cessa son boucan d'enfer. Les copies étaient terminées, du moins, pour l'instant. Possible que Saïl ait d'autres copies à faire.

"Je ne connaissais pas M. Shizutsu. Cela fait à peine deux semaines que je suis ici. Quelle matière enseignez-vous ?"

Non pas qu'elle était curieuse mais elle avait envie d'en savoir un peu plus sur lui.

Saïl Ursoë:
Il est bien connu que la bonne humeur est souvent communicative, aussi fut-ce bien logiquement que face au sourire de la dénommée Shylee, celui de Saïl se retrouva tout de suite plus détendu tandis qu’ils se serraient la main, celle de la jolie demoiselle disparaissant presque entièrement au creux de celle de son interlocuteur. Non pas que ce dernier fût particulièrement colossal, mais le fait était qu’il avait de grandes pognes, et la demoiselle étant facilement plus menue que lui, il n’était pas étonnant que la différence fût aussi marquée. Fraîche, soignée et douce, la menotte de la jeune femme aux cheveux bleus contribua encore à le mettre à l’aise, et l’on pourrait presque dire que ce fut à regret que le grand garçon la laissa partir, s’occupant ensuite de ranger les copies qu’il venait de faire sans pour autant détourner son attention de sa collègue qui n’avait manifestement pas l’intention de laisser là la conversation.

Habituée à ces gestes, ce fut presque d’elle-même qu’une de ses paluches se saisit de la liasse de feuilles, angoisse à venir de bien des élèves, tandis que l’autre sortait de sa sacoche une chemise dans laquelle les contrôles disparurent vite fait bien fait. Pendant ce temps, la donzelle avouait n’être elle-même pas beaucoup plus expérimentée en matière de professorat à Seikusu puisqu’elle ne faisait partie du personnel que depuis une quinzaine de jours.
Non pas qu’il se fût figuré qu’il avait en face de lui une véritable professionnelle de longue date qui n’aurait pas manqué de repérer chez lui jusqu’à la moindre incartade, mais il s’avéra tout de même que savoir qu’ils étaient à peu près au même niveau contribua encore à retirer un peu du malaise qu’il avait ressenti jusqu’ici.

« La biologie. » Répondit-il avec quelque chose dans la voix et le regard qui semblait indiquer qu’il ne s’agissait pas là d’une simple occupation professionnelle, mais bien d’une vocation. « J’avoue qu’au départ, je savais pas trop comment je m’en sortirais, mais en fin de compte, je suis pas déçu. Bien sûr, ils sont pas toujours très concentrés, mais la plupart du temps, ça les intéresse vraiment. Ça fait plaisir à voir. »

De fait, certains élèves avaient été quelque peu surpris de voir arriver Saïl en lieu et place de M. Shiztsu, un quinquagénaire grisonnant bien peu entraînant dont la fonction consistait principalement à ânonner son cours sans réel dynamisme, de quoi résultait des séjours en classe peu motivants dont même les plus assidus n’étaient pas fâchés de sortir. Par contraste, M. Ursoë était animé d’une passion sincère et profonde, et n’épargnait ni son expérience, ni son énergie pour la partager, si motivé qu’il en oubliait même d’être timide, ce à quoi bien des étudiants étaient réceptifs, donnant ainsi une atmosphère à la fois studieuse et animée.
Bien sûr, il aurait été exagéré de dire que tout se déroulait comme un charme, la bonne ambiance n’excluant évidemment pas les incidents de cours, les bavardages de classe et les sourdes oreilles ; mais dans l’ensemble, pour quelqu’un qui débutait encore tout juste en matière d’enseignement, le docteur s’en sortait avec les honneurs.

Mais pour en revenir à la situation présente, il ne se rendit compte qu’après coup qu’il s’était quelque peu laissé entraîner, et avait donné un avis qui ne lui avait même pas été demandé. De là, notre bonhomme rougit un peu, mais heureusement, ne fut pas pris d’une telle confusion qu’il en aurait perdu l’usage de la parole, ce qui avait hélas tendance à lui arriver un peu trop souvent. Au lieu de cela, une expression de léger embarras peinte sur les traits, il se reprit humblement :

« Hum, excusez moi, je me suis un peu laissé entraîner. » Fit-il avec un mince sourire gêné. « Et vous, comment ça se passe de votre côté ? »

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