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Sous la pluie [PV Elsa]

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Saïl Ursoë

Créature

Sous la pluie [PV Elsa]

lundi 16 août 2010, 17:59:09

Dans le parc de Seikusu, humble refuge arboricole au sein d’une imposante agglomération urbaine, une humide fraîcheur vespérale régnait, teintée du parfum des multiples espèces végétales qui y avaient été installées pour y prospérer en toute tranquillité, aussi loin que possible des relents toussés par les divers véhicules et bâtiments qui peuplaient la métropole.
En cette heure où le soleil achève de disparaître à l’horizon, l’entièreté de ce lieu paraissait être pris dans quelque magie lui donnant l’aspect d’un incommensurable bois propice aux enchantements et aux rencontres fantastiques. Sous une petite brise doucette, les frondaisons s’agitaient paisiblement, pareilles à de paresseux dormeurs invitant au repos et à la relaxation. La ramure des arbres frottait dans un bruit de délicat froissement, ce son chuintant et légèrement craquelant ressemblant au complice murmure protecteur de quelque dryade gardienne de cet endroit.

Mais malgré un cadre qui appelait à ce point l’imagination à se débrider, on aurait été bien en peine de trouver quoi que ce fût de fantastique chez un certain visiteur. Arpentant sans but précis cette enceinte de verdure, son pas n’avait rien de celui léger et aérien d’un faune, pas plus qu’il ne pouvait s’assimiler à la démarche hardie et confiante d’un centaure.
Observez Saïl : depuis qu’à la suite de ses diverses expérimentations, il est passé plusieurs fois de la forme d’homme-loup à celle d’humain et vice-versa, son physique s’est quelque peu altéré, mais l’on peut tout de même retrouver chez lui les caractéristiques qui lui ont été déterminantes tout au long de sa vie. Un abord placide et quelque peu renfermé peint sur son visage, une allure affable et réservée, le tout fagoté dans des vêtements au goût sobre plutôt qu’élégant, au diapason de ses cheveux courts et ébouriffés. Chaussé de grolles à l’origine indéfinissable, vêtu d’un pantalon et d’une chemise en coton, le tout recouvert d’un manteau d’une couleur brune passée, on peut dire qu’il est fidèle à lui-même.
En vérité, il ne serait aucunement différent du jeune homme qu’il était il y a encore quelques mois de cela à peine si ce n’était sa carrure qui a changé de manière stupéfiante : plafonnant auparavant à un mètre soixante-dix maigrelet, il a involontairement poussé d’une bonne dizaine de centimètres, et ses muscles se sont raffermis de manière visible, si bien qu’il pourrait paraître imposant si ce n’était son aspect résolument inoffensif.

En ce moment, le voilà loin de toute idée de préoccupations inter-planaires ou de cogitations biologiques, le savant goûtant tranquillement aux charmes que peut offrir la nature environnante, s’adonnant avec assiduité à la tâche de s’aérer le cerveau après l’avoir fait bouillonner toute la journée à force de réfléchir sans cesse à son éternel projet de métamorphose contrôlée par injection.
Mais tout cela importait peu à l’heure actuelle, le bonhomme brun le prouvant par un soupir relaxé après avoir inhalé une bonne bouffée d’air agréablement surchargé de senteurs florales. Retranché de l’agitation, des angoisses et des préoccupations diverses, il profitait de cette promenade nocturne, s’étonnant au passage de n’apercevoir personne d’autre alentours alors que l’atmosphère était si plaisamment propice aux balades. Il faut dire que si l’intelligence de Saïl était indubitable, sa vigilance lui faisait trop souvent défaut, et en l’occurrence, il était loin de se douter que le parc dans lequel il était rentré en fin d’après-midi était désormais fermé au public à cette heure avancée de la soirée.

L’humeur sereine, il déambulait donc sans destination précise, l’esprit perdu dans quelque vague rêverie de noctambule, se plaisant à discerner ça et là dans les formes et les sons environnants le passage de l’une ou l’autre bestiole dont ce lieu devait foisonner, particulièrement à cette heure où les visiteurs ont disparu et où le règne animal peut reprendre un peu de poil de la bête. Paisible, les yeux mi-clos, les mains dans les poches, il enchaînait machinalement un pas après l’autre, jusqu’à qu’un choc très léger mais soudain sur son front le fît sursauter. Portant deux doigts à sa tête pour discerner ce qui l’avait touché, il ne lui fut pas difficile de comprendre ce dont il s’agissait alors même que les alentours s’emplissaient d’un bruissement qui n’était pour le moment qu’un simple murmure mais qui ne ferait certainement qu’aller en s’intensifiant :

« Zut. » Maugréa-t-il alors qu’instinctivement, il se mettait à chercher des yeux un abri.

Tâche plutôt malaisée, car entre le manque quasi-total de lumière et le crachin soudain qui menaçait de se transformer en hallebardes, il n’était qu’à peine exagéré de dire qu’il ne voyait pas plus loin que le bout de son nez, lequel commençait déjà à laisser goutter de l’eau de pluie. Accélérant le pas et remontant le col de son manteau sans cesser de pester contre son étourderie qui l’avait fait omettre de s’équiper d’un parapluie, il commença à se dire au bout de plusieurs minutes qu’il aurait mieux fait de se rabattre directement sous le premier arbre venu, quand sa bonne étoile finit enfin par lui sourire.
A quelques mètres, s’affichant à peine en relief au sein de l’immense paysage d’ombres, un petit kiosque de métal sur lequel l’ondée tambourinait joyeusement lui apparut, et sans tergiverser, il le rejoignit, son parcours accompagné du *Shloc shloc* de ses chaussures sur le sol détrempé. Une fois à couvert, avec un grognement de soulagement, il se secoua dans un effort peu concluant pour chasser la chape liquide qui le recouvrait,  tout en se passant une main de haut en bas du visage afin de rabattre ses cheveux plus qu’humides en arrière.

Ce fut en ce faisant qu’il lui apparut qu’il n’était pas seul.

Presque à portée de main, il discerna une silhouette de moindre taille, laquelle, à en juger par sa forme, était celle d’une femme, probablement assez jeune, et qui s’était tournée dans sa direction sans rien dire, manifestement interdite sous l’irruption soudaine du gaillard. Celui-ci, n’étant pas beaucoup plus à l’aise, resta silencieux durant quelques secondes avant de finir par se décider à dire avec un sourire maladroit, troublant momentanément le vrombissement pluvial ambiant :

« Heu, bonsoir. »

Volubilité, Saïl n’est pas ton nom.
Dites, en me voyant, que voyez-vous ?                             En vérité, je suis partagé
Est-ce un monstre, un cauchemar, un loup fou ?                  Entre Khral, ce fougueux loup emporté
Est-ce un fort centaure qui brame et mord ?                       Et Saïl ce timide humain gêné,
Est-ce une bête de poils au coeur d'or ?                            Mais ça, jamais mal intentionné !
Est-ce Elephant Man qui crie, mis à mal :                          Certes, je grogne, je bondis je rue,
« Non, je ne suis pas un animal ! » ?                               Mais jamais je ne griffe ni ne tue.
                                                                               Aussi, approchez donc, n'ayez pas peur.
                                                                               C'est promis, je vous recevrai sans heurt.




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