Un changement de direction (PV Eric Carter)

Cela faisait bien quatre mois que la magicienne était revenue sur Terre, laissant de côté Terra et son île. Depuis son histoire avec Kamui, elle avait ressenti le besoin de quitter un peu l’autre monde comme un besoin de changer d’air après une rupture ce qui d’ailleurs était stupide puisqu’elle avait tout fait pour que le seigneur de Meisa la haïsse. Sans vouloir se l’admettre, cette histoire l’avait touchée plus qu’elle ne l’aurait dû.

Mélisende s’était donc exilée sur Terre et plus particulièrement dans la ville de Seikusu. Sa fortune lui avait permit d’acquérir une belle demeure proche du parc de la ville. Bien sûr cette habitation n’avait rien à voir avec son palais antique mais elle l’appréciait cependant. C’était une sorte de manoir enserré dans un écrin de verdure. Un endroit calme où le luxe était quand même bien présent. Elle avait engagé plusieurs domestiques totalement humains et elle faisait en sorte de se comporter de manière correct avec eux. Cela sous entendait qu’elle ne les travaillait pas au corps comme ses serviteurs sur Terra. Là, il s’agissait de domestiques lambda.

De toute façon, elle avait bien assez de proies dans les rues de la ville. Les hommes étaient toujours ravis de trouver une femme magnifique qui ne demande pas mieux que de les mettre dans son lit. Son quotidien était donc assez semblable à celui qu’elle avait sur son île. La seule différence était qu’elle ne pratiquait plus la magie. Du moins, plus comme avant. Si elle souhaitait vraiment en faire, elle repartait sur son île, histoire d’être bien tranquille.

Quoiqu’il en soit, Mélisende semblait tout à fait humaine et normale quand elle sortait. Elle s’habillait à la mode terrienne appréciant les grands couturiers et les beaux bijoux. Le luxe était toujours aussi important pour elle que se soit sur Terre ou sur Terra.

La nuit venait de tomber et Mélisende s’ennuyait un peu. Elle avait besoin de distraction et ce qu’elle entendait par distraction, c’était un homme ou une femme, enfin quelqu’un avec qui passer la nuit et qui saurait la satisfaire. Elle s’habilla avec soin d’une robe pinceau en soie noir avec un haut légèrement transparent en mousseline qui laissait voir ses épaules et sa gorge. Elle compléta le tout avec des bas noirs et des escarpins italiens assortis à l’ensemble. Pour une fois, elle releva ses cheveux. Elle en fit d’abord une très longue tresse qu’elle ramena en un lourd chignon sur le bas de sa nuque. Elle se para de boucles d’oreilles en diamant assez simples et d’un bracelet composé des mêmes pierres. Un maquillage léger vint habiller ses traits délicats. Une fois prête, elle prit un taxi pour se rendre au cœur de la ville où les proies étaient légion.

Une quinzaine de minutes plus tard, le taxi la déposa devant un bar assez chic. Celui-ci n’arborait pas un luxe tapageur mais un luxe feutré. La sorcière préférait ça. Elle entra dans l’établissement qui présentait au fond de la salle un bar en bois précieux devant lequel de hauts tabourets recouverts de velours rouge attendaient les clients. Le reste de la pièce était occupée par de petites table autour desquelles des fauteuils confortables, eux aussi en velours rouge, recevaient des couples ou des petits groupes d’amis. Le décor se composait de lourdes tentures, de bois sculpté, de moquette épaisse et accueillante. Mélisende avança jusqu’au bar et s’assit sur l’un des tabourets hauts.

« Vous désirez madame ? »

La magicienne réfléchit une fraction de seconde. Elle avait l’habitude de l’alcool. Non pas qu’elle en consommait tous les jours mais on ne vit pas trois millénaires sans en consommer.

« Un whisky, merci »

Le barman lui prépara sa commande et le déposa devant elle. La jeune femme contempla un moment les glaçons qui y flottaient. Elle se demandait qui elle allait ramener avec elle ce soir là. Elle sourit en y réfléchissant.

Des yeux verts lumineux, iridescents, qui se braquent sur une montre capturent l’heure, la renvoyant comme une information, sous forme d’impulsions électriques que le cerveau traduira. Sensation désagréable. De l’agacement. Il était encore tôt. Trop tôt. Eric en avait marre de ces déjeuners d’affaires qui s’étiraient en longueur pour arriver au même but que celui qu’ils avaient convenu en entrant le restaurant au chic tapageur. La différence, c’est qu’en y entrant, ses associés et autres financiers étaient énervés, affamés. En sortant, ils avaient bien mangé, bien bu, la peau du ventre bien tendue et leurs mains aux doigts boudinés qui se flattaient mutuellement, en se consacrant les maîtres de la terre. Relative bonne humeur donc. Et Eric aurait pu être comme eux, avec quelques années en moins, s’il ne passait pas tant de temps à prendre soin de lui et de sa silhouette. Lui courait au moins une fois par jour, allait au moins deux fois par semaine à la piscine et cumulait bien d’autres activités sportives en dehors du travail, sexe mis à part évidemment. Aussi n’avait-il juste rien à voir avec ses hommes. Lui était grand, bien bâtit, indéniablement sportif. Et sa qualité d’ancien militaire et de pilote de réserve lui assurait une musculature authentique qui n’avait rien de gonflette superficielle. Il n’en était pas encore à la carrure du videur, plutôt anticharismatique du reste, mais c’était un homme jeune et robuste, dans la pleine force de l’âge. A la jonction entre le jeune adulte et l’adulte ferme. Il avait l’expérience de son vécu qui n’était plus négligeable désormais et encore la fougue de la jeunesse. Doux âge charnière…

Les cendres des cigares cubains hors de prix et les tasses des cafés vides s’empilaient, dans les cendriers pour les unes, sur la longue table pour les autres. Et au milieu de tout ça, Eric se montrait combatif, commercial, avenant mais aussi convaincant. Il avait été technique et persévérant. Et finalement, ils purent signer les contrats. Il avait eu ce qu’il voulait, comme toujours. Batailler pendant des heures n’avaient servi à rien, puisqu’en le voyant les financiers avaient tout de suite su ce qui se passerait, mais ils pouvaient se targuer d’avoir gagné un repas aux frais de la princesse. Et pas des moindres. Un repas gastronomique dans un grand restaurant. Mais maintenant, il était plus de quatre heures de l’après-midi et Eric avait besoin de changer d’air. Aussi, une petite demi heure, histoire de faire bonne figure, après la ratification de leur accord avait-il invoqué l’heure tardive comme prétexte et des milliers de choses à faire pour s’éclipser en toute discrétion. On lui avait serré la main et frappé un peu dans le dos, avant de le laisser partir. Il laisserait le soin à son assistant de s’occuper des contrats, lui enfilait son casque, son blouson de cuir inconditionnel tout simplement parce qu’il était prudent et que le cuir restait encore la meilleur protection en cas de chute, et le moteur de sa grosse cylindrée avait retentit. Pour l’emporter ailleurs. Chez lui d’ailleurs.

Il avait jeté ses clefs dans le pot, sur le petit meuble en verre de l’entrée, et son blouson sur son canapé noir aux coussins blancs. Se déshabillant au fur et à mesure qu’il gagnait sa chambre, c’est nu comme un vers qu’il y entra. Il enfila un maillot de bain, un peignoir, prit une serviette et quitta son logis pour gagner le centre de l’immeuble, où une piscine était réservée aux résidents. Il n’y avait personne, comme d’habitude. Beaucoup se réservaient le luxe d’avoir leur propre piscine, lui n’en voyait pas l’utilité. Celle-ci était très bien, et faire étalage de sa richesse pour rien n’était pas dans ses habitudes. Après avoir ôté son peignoir et posé sa serviette, il plongea. L’eau fraîche lui fit du bien. Il nagea plusieurs heures. Personne ne vint. Quand il commença à fatiguer, la peau du bout de ses doigts s’étant déjà flétrie depuis un long moment, il sortit du bassin, renfila son peignoir et retourna chez lui, serviette sur les épaules. Quitter de l’eau pour de l’eau. Il fila sous la douche, histoire d’enlever tout le chlore de sa peau. Nul besoin de se raser, il l’avait déjà fait le matin pour son rendez-vous d’affaires.

Alors, du déodorant, un peu de parfum. Une chemise verte, un pantalon, des tennis, une veste et une ceinture noire. Seule la boucle était argentée. Un coup de peigne dans sa tignasse diaphane, et le voilà prêt à sortir.

On récupère le blouson de cuir sur le canapé, les clés dans le pot et on s’en va. Le moteur tourne à nouveau, il emmène Eric vers un bar sympa, et se gare devant. Le casque est enlevé, Eric secoue la tête sèchement pour remettre ses cheveux en place. Pas à la L’Oréal, ses mouvements à lui n’ont rien de ceux des mannequins. Lui ils sont secs, brutaux. Il abandonna ses affaires au vestiaire et pu, alors qu’il poussait les doubles portes de la salle, se dire qu’il allait boire un petit verre tranquille pour finir correctement cette journée. Il ne chercha pas de femme dès son arrivée, ça n’était pas son genre et c’était bien trop voyant. Plus discret, plus patient, il gagna l’une des tables, s’assit dans l’un des fauteuils et cette fois pu à loisir détailler la clientèle déjà présente à loisir. Tous, hommes comme femmes, étaient sur leur 31. Eric était en tous les jours. Amusant de constater comme certaines notions peuvent différer selon le point de vue. Une serveuse vint s’enquérir de sa commande.

Un scotch s’il vous plaît.

Petit apéritif, avant d’aller dîner. Parfait.

La belle sorcière, son verre intact devant elle, jeta un coup d’œil dans la salle du bar pour voir ceux qui s’y trouvaient. Il y avait un certain nombre d’hommes d’affaires tirés à quatre épingles qui se congratulaient en buvant un verre et certainement plus d’un. Quelques couples, récents ou plus anciens, conversaient devant une coupe. Un ou deux hommes tentaient d’approcher des jeunes femmes seules mais elles étaient en nombre plus que limités.

Si les hommes pouvaient venir seuls dans de tels endroits, la bienséance voulait que ce ne soit pas le cas pour les femmes. Une jeune femme venant seule dans un bar le soir sans rejoindre quelqu’un passait pour une aventurière ou un équivalent bien moins sympathique.

Pour l’instant, Mélisende avait déjà repéré une ou deux hommes qui seraient très bien mais son regard fut attiré par un homme seul qui détonnait par rapport aux autres. A l’inverse de la majorité des individus présents, elle y comprit, il n’était pas sur son trente et un mais en tenue de tous les jours. Il était d’une magnifique allure, grand, bien bâti, bel homme. Il avait du charme et ses cheveux, en complet opposition avec les siens, étaient d’un blanc immaculé. Elle réussit à capter la couleur de ses yeux en une seconde alors qu’il tournait la tête. Il semblait doté d’un certain charisme en plus.

La magicienne eut un sourire satisfait pour ne pas dire carnassier. Elle avait repéré sa proie pour la soirée et pour la nuit. Elle se leva, attrapa son verre et se dirigea, féline, vers la table de son futur amant car elle savait qu’il allait le devenir d’une manière ou d’une autre. Elle s’arrêta juste devant lui et afficha un magnifique sourire.

« Bonsoir ! Veuillez excuser mon impudence mais je m’ennuyais au bar, seule. Je vois que vous êtes seul également. Puis-je me joindre un vous pour quelques minutes ? »

L’entrée en matière était assez directe mais elle n’aimait pas y aller par quatre chemins surtout pour l’histoire d’une nuit.

Peut-être qu’Eric était seul pour la simple et bonne raison qu’il attendait quelqu’un ? Une conquête même peut-être ? Bien sûr, ça n’était pas le cas mais Melisende ne pouvait pas le savoir. Lui le savait, puisqu’il ne fréquentait jamais la même jeune femme, mais elle, quels moyens avait-elle de le deviner ? Aucun, à moins de lire dans l’avenir, le passé ou ce genre de choses. De le faire suivre depuis un temps considérable même. Ce que ne faisait pas la sorcière, n’est-ce pas ?

Toujours est-il qu’à son arrivée, Eric prit la peine de se redresser sur son séant et désigna la chaise qui lui faisait face d’un geste de la main.

Je vous en prie.

Il lui aurait bien demandé la raison pour laquelle son choix s’était porté sur lui et pas sur un autre mais c’aurait été de la fausse modestie. Eric savait que de tous les hommes présents, il était celui qui présentait le mieux. Peut-être à cause des cheveux, il y avait droit souvent à ça. Ca n’était pas un secret du reste, mais ça agaçait profondément Eric de devoir en parler. Ses cheveux étaient blancs à cause des soucis. Se faire des cheveux blancs, vous connaissez ? On dit que des cheveux peuvent blanchir d’un coup. Peut-être pas d’un coup, c’est progressif, mais c’est très rapide. Et si chez lui ça avait prit toute sa chevelure, chez une autre membre de sa famille, une cousine lointaine, elle s’étaient deux mèches blanches qui encadraient son visage, à la suite d’un accident de voiture où elle avait eu très peur. On est en droit de se demander, de ce fait, ce qui avait bien pu effrayer Eric au point de faire blanchir intégralement et durablement ses cheveux avant trente ans. Mais ça c’est une autre histoire.

La femme qui venait de se joindre à lui était magnifique. Ses traits étaient fins, doux et délicats. Sa plastique, qu’il jaugea rapidement sans en avoir l’air, était à l’image de son visage. Ses proportions étaient harmonieuses, vraiment c’était une belle femme. Eric aurait dû se sentir flatté qu’elle se montre entreprenante vis à vis de lui, sauf que ça n’était pas le cas. En fait, il était pas loin de trouver ça normal. De toutes façons, il n’aimait pas les timides.

La serveuse amena son verre au trentenaire qui, puisque Melisende en avait déjà un, ne trouva pas utile de lui en commander un pour elle. Elle était venue le voir la première, avait fait le premier pas. En toute logique, il devait faire le second, aussi hésitant soit-il ? Ou devait-il la laisser marcher encore un peu jusqu’à lui ? Mi figue mi raisin.

J’ai bien peur de ne pas vous apporter beaucoup de distraction ce soir Mademoiselle. Tout ce que je peux faire pour vous, c’est vous tenir la conversation si elle ne m’ennuie pas et vous offrir un autre verre quand vous aurez terminé le votre.

Il lui sourit d’un air aimable avant de prendre son verre et de le porter à sa bouche pour en laisser une gorgée corsée couler le long de son œsophage. Après cela, il rentrerait chez lui. Non pas que Mélisende n’était pas ravissante, bien au contraire. Mais elle était trop bien habillée pour se laisser toucher dès le premier soir et Eric n’avait pas la moindre envie de faire des efforts sur le long terme pour avoir une femme. Soit il l’avait, soit il ne l’avait pas. Mais dans tous les cas, lui n’avait pas l’intention ni de se battre ni de lutter. Autant dire qu’il fallait qu’elle lui tombe du ciel toute crue dans le bec sur un plateau d’argent. Ce qui était le cas, sauf qu’il l’ignorait encore.

L’ensorceleuse sourit de plus belle et s’assit sur le fauteuil indiqué par la main de l’homme. Elle déposa son verre sur la table avant de se laisser aller contre le dossier du fauteuil, croisant les jambes avec élégance.

« Mais votre compagnie me semble tout-à-fait intéressante quand à la conversation, on verra bien si elle convient à nos deux personnes. Si elle devenait ennuyeuse ou inintéressante, nous pourrions toujours trouver de quoi nous distraire autrement monsieur… Puis je connaître votre nom ? Je me nomme Mélisende et je suis en ville depuis quelques mois seulement »

D’emblée et sans sous-entendu, ou presque, elle disait à l’homme en face d’elle qu’elle voulait passer la nuit avec lui. La magicienne attendait de voir sa réaction. Au mieux, il serait partant, au pire il la trouverait trop entreprenante et ne voudrait pas d’elle mais là elle avait une parade. S’il ne voulait pas d’elle, ce qui lui semblait presque aberrant vu sa plastique, elle n’hésiterait pas à se servir de ses pouvoirs pour le convaincre.
 
Elle attrapa son verre et en bu une gorgée. Tous ses gestes étaient soigneusement calculés. Ils étaient empreints de grâce et de sensualité. Mélisende était la tentation faite femme. Tout en elle transpirait la séduction mais pas une séduction vulgaire, sauf si elle le souhaitait, une séduction qui se voulait tout en grâce et en féminité. Tout ce qui pouvait séduire un homme et le rendre fou de désir pour elle.

Mélisende était une femme magnifique, c’était la moindre des choses à lui reconnaître. Mais aurait-elle été Aphrodite en personne que ça n’aurait rien changé. Eric était peut-être un homme léger, il avait tout de même des principes ancrés en lui bien plus profondément que sa libido. C’était un anglais, ne l’oublions pas. Si Melisende s’attendait à ce qu’il se lève et lui propose d’emblée d’aller la sauter dans un des couloirs de l’hôtel, non. Il aimait la séduction et ses jeux, il aimait donner du fil à retordre aux femmes et qu’elles lui en donnent. Mélisende s’offrait bien trop facilement à son goût, elle en perdait l’intérêt de la convoitise, l’excitation de la chasse et venait de faire s’écrouler, à l’aide d’un simple sous-entendu qu’Eric avait nettement perçu, tout le plaisir qu’il aurait eu à tenter de la faire céder. Sans perdre une once de sa beauté aux yeux d’Eric, Melisende perdait son mysticisme, une chose importante aux yeux d’un homme aussi exigeant que lui. Si la conversation l’ennuyait, Eric ne coucherait pas avec elle. Il la laisserait plantée là, tout simplement. Quant à sa magie, elle serait libre de l’utiliser à sa guise, mais elle avait plus qu’intérêt à être prudente avec ces choses, aussi puissante soit-elle.

Eric avait, en plus de cela, l’esprit de contradiction. Plus une femme serait à ses basques, moins il la trouverait intéressante. C’est le dicton « Fuis, on te suit, suis on te fuit » personnifié. Il avait cependant un certain talent d’acteur, indispensable dans le métier qu’il faisait. Aussi, avant l’instant fatidique, rien ne le trahirait dans sa façon d’agir quant à ce qui se tramait réellement dans sa tête. A moins d’être télépathe et vu l’éclat de ses yeux vert d’eau, Melisende ne pourrait jamais se douter qu’il envisageait très sérieusement de lui donner une bonne leçon d’humilité en s’en allant tout simplement, crachant sur la nuit qui s’offrait à lui. Eric aimait provoquer, marquer les esprits. Une femme aussi belle ne devait pas se voir refusée souvent, voire jamais. Mais elle faisait l’erreur de prendre Eric pour le premier pécore venu. Il n’en était pas arrivé là où il en était en laissant sa braguette ouverte et parler sa libido. Il avait des priorités, et aucune femme, aussi belle ou tentatrice soit-elle, ne parviendrait à casser ses idées reçues, préjugés ou prérogatives. Il était tel quel, un point c’est tout.

Une jeune femme ravissante envisage déjà de dépasser le stade de la simple discussion, alors qu’elle ignore mon nom, et espère que je le lui donne ? Vous êtes contradictoire et m’avez fait espérer en vain. Moi qui pensais que nous pourrions nous occuper différemment en toute inconscience, en me demandant mon nom, vous avez démoli tous les fantasmes que je nourrissais vis à vis de la femme magnifique et désintéressée que vous sembliez être

Il sourit, d’un air amusé avant de reprendre.

N’espérez plus que je vous donne mon nom, vous êtes trop belle pour que je renonce à mes fantasmes au profit de votre curiosité.

Nonchalant et au sourire impeccable assuré, il porta son verre à sa bouche et en prit une nouvelle gorgée. Il était sincère et ironique à la fois, subtile mélange. Tellement subtile qu’il était difficile d’en discerner le vrai du faux. Il considérait vraiment Mélisende comme une belle femme, mais son refus de lui donner son nom n’était absolument pas dû à un quelconque soucis de conservation de fantasmes, puisque ceux-ci n’existaient pas. Eric était anglais, il ne fantasmait pas comme ça, aussi facilement. Mais ça, Melisende ne pouvait pas vraiment le savoir.

Mélisende aurait pu s’offusquer de la remarque de l’homme mais elle réagit en souriant simplement. Pour l’instant, la magie n’était pas encore de mise. Elle aimait les challenges et cet homme en était un et un de taille.

La magie était si aisée pour elle qu’au bout de trois milles ans ont fini par s’en lasser. On préfère les relations brutes. La magicienne privilégiait le contact et les rapports humains depuis quelques temps. Le recours à la magie ne se faisait qu’en dernier recours et c’était déjà une sorte de défaite pour la jeune femme qui n’avait de jeune que son apparence.

« Soit, je me suis montrée trop directe, veuillez m’excusez et navrée également d’avoir démolit vos fantasmes mais au moins cela signifie que je ne vous étais pas indifférente. C’est déjà ça ! – elle but une gorgée du liquide doré – Très bien ne me donnez pas votre nom non plus, c’est de bonne guerre si j’ose dire »

Elle reposa son verre sur la table et reprit sa pause première. Son regard sombre essayait de sonder son « adversaire » et futur amant. Il était infiniment plus intéressant que ce qu’elle imaginait.

« Quel thème abordé qui pourrait vous donner une meilleure opinion de ma personne ? Aucun peut-être »

La magicienne cherchait un moyen de renouer le contact mais connaissant trop peu l’homme sa tâche était ardue.

« Je pourrais mettre mes connaissances en avant mais se serait encore me mettre en valeur. Aussi que faisons-nous ? Souhaitez-vous que je me retire et vous laisse à votre…scotch ? »

Elle le laissait choisir sa compagnie et son alcool ou juste son alcool. Libre à lui de décider. Mélisende ajusterait le tir en temps utiles.

Peut-être la magicienne pensait-elle qu’il s’empresserait de répondre qu’il ne voulait pas qu’elle parte, à grands coups de discours larmoyants et pathétiques, la suppliant de tout son être de rester et de ne pas priver sa vue de sa si merveilleuse beauté, mais… Eric n’était pas du genre à s’abaisser aussi bas pour une femme. Jamais. Il avait beaucoup trop de fierté, beaucoup trop d’orgueil. Il était misogyne sur les bords qui plus est, Melisende n’aurait donc malheureusement pas le droit à des tirades enflammées d’amoureux transit. Trop forte tête.

Aussi c’est après avoir sourit d’un air amusé, mais aussi désabusé qu’il lui répondit.

Je ne sais pas comment interpréter votre doute quant à l’attirance sexuelle que vous pouvez susciter chez moi. Vous êtes une femme magnifique, je suis sûre que vous le savez à la façon dont vous m’avez abordé, si pleine d’assurance, mais aussi à votre façon de croiser et décroiser les jambes. Alors partant de cela, je ne vois que deux options. Soit vous êtes venue à supposer que j’étais homosexuel, soit vous êtes faussement modeste. Curieusement, j’opterai d’avantage pour la seconde solution, vous cherchiez des compliments. Partant de là, permettez-moi de vous suggérer un sujet qui ne vous fasse pas passer pour un bout de viande. Vous gagnerez quelques points dans mon estime. Quant à rester avec moi ou à me laisser, je suis certain que vous êtes une femme tout à fait indépendante qui n’a pas besoin de ma bénédiction pour faire ce dont elle a envie. Et comme vous ne m’êtes pas particulièrement désagréable, une option comme l’autre me convient. A vous de voir.

Se sentant malin, Eric haussa les sourcils rapidement, d’un air de dire « je t’ai bien eue », avec un air de suffisance insupportable. Il faisait beaucoup marcher sa tête pour un militaire, c’était impressionnant. Mais bon, il n’était pas seulement militaire. Il était aussi ingénieur. Ca compensait un peu donc.

Un homme, propre sur lui, élégant, qui fait marcher sa tête et ne pense pas qu’avec son entrejambe… ? Il y avait des raisons effectivement qui aurait pu pousser à croire qu’il était gay. Peut-être était-il juste… Coincé… ? Ahahahah et puis quoi encore ?

Tchin tchin.

Avec un large sourire, Eric leva son verre à la santé de la magicienne et la gratifia d’un clin d’œil, avant de prendre une nouvelle gorgée d’alcool. Décidément, il était vraiment très irritant.

Mélisende sourit de plus belle. Décidemment cet homme l’intriguait énormément et dans le bon sens. Il était rare, voir très rare, qu’un homme ne se laisse pas prendre à ses charmes. Et là le défi ne faisait que s’accentuer. La victoire sera bien douce.

« Non, vous n’êtes pas homosexuel »

Elle ne précisa pas qu’elle l’aurait su grâce à sa magie.

« Et une femme apprécie toujours les compliments même si elle sait qu’elle est belle. Quand à m’en aller, j’avoue que je préfère rester, monsieur l’inconnu. Vous m’intriguez, je dois bien l’avouer »

Elle attrapa son verre et trinqua à sa suite. La magicienne cherchait à cerner son « adversaire ». Il était bel homme et bien loin d’être bête. Du moins, pour ce qu’il laissait voir. La sorcière plongea son regard inquisiteur dans celui de l’inconnu.

« Qu’est-ce qui pourrait bien vous intéresser, monsieur Doe ? Les sciences, l’histoire, la cuisine, les arts… Je pourrais bien vous proposer de parler de moi mais vous allez me trouver égocentrique et ce n’est pas le cas. Quand à vous, vous ne souhaitez pas me donner votre nom mais accepteriez-vous de parler de vous ? »

Melisende ne pouvait le deviner, mais Eric était extrêmement avare de compliments injustifiés. Il appréciait les belles choses, en toute discrétion, et aimait se repaître les yeux comme bon lui semblait sans avoir besoin de flatter quoi ou qui que ce soit. C’était une obligation qu’il avait parfois, et chaque fois ça lui donnait des hauts le cœur. Surtout pour les femmes en fait. Parce que leur façon de réagir à une flatterie lui disait tout de suite à quel genre de femme il avait affaire. Soit elle rougissait, elles étaient alors timides ou intimidées donc inintéressantes, soit elles s’enorgueillissaient et dans ce cas elles étaient imbuvables. Les seules à trouver grâce à ses yeux étaient celles qui n’en réclamaient point et s’agaçaient même qu’on leur en fasse. Avec celles-ci il pourrait peut-être s’entendre, car lui ne serait pas obligé de feindre ou de témoigner de son admiration et elles n’auraient pas à être embarrassées par elle. Chacun y trouverait son compte. Néanmoins, rien qu’à sa remarque à ce sujet, Eric pu d’ores et déjà établir que Melisende n’était pas de celles à s’agacer pour une flatterie. Il était forcé de reconnaître qu’elle n’avait rien d’une timorée, ne restait que l’imbuvable. Dans ce sens, Eric malgré ses paroles ne fondait aucun projet de partager son lit, à moins d’un revirement de situation inattendue, ce qui était possible.

Ainsi il l’intriguait ? C’était le but de la manœuvre, c’était sympathique de la part de la magicienne de lui signifier qu’il avait atteint son objectif. Mais même s’il était arrivé au point qu’il s’était fixé, Eric ne comptait pas s’arrêter là, bien au contraire. Il avait l’esprit de compétition. Il aimait le défi. Le défi, ça serait de tenir cette charmante créature en haleine jusqu’à ce qu’elle s’agace ou bien que lui se lasse, en en disant le moins possible à son sujet et en découvrant un maximum concernant la jeune femme. A vos marques ? Prêt ? Partez.
Ce que sait Melisende ? Qu’il n’est pas homosexuel. Le reste ne sont que des observations.
Ce que sait Eric ? Que Melisende aime les compliments, a un caractère de prédatrice, sans doute nymphomane vu les avances qu’elle lui avait fait, qu’elle se prétend non égocentrique ce qui est peut-être le témoin d’une absence de modestie, impression renforcée par le fait qu’elle ait précisé qu’une femme aimait les compliments même si elle sait qu’elle est belle, qu’elle s’appelle Melisende, qu’elle a débarquée à Seikusu il y a peu et à ses vêtements, qu’elle est à l’abris du besoin. Il ne connaît rien de son histoire, mais il pouvait déjà cerner une bonne partie de la psychologie du personnage. C’était déjà bien. Il se demandait combien de ses amants avaient déjà pris le temps de connaître ne serait-ce qu’une partie des informations que lui avait glanées. Peu ? Beaucoup ? Difficile à dire.

Le regard inquisiteur qu’elle darda sur lui ne lui fit ni chaud ni froid, il l’amusa juste un peu plus. Pas question pour lui de se  laisser intimider comme ça. Il avait affronté la mort, ça ne serait pas une femme qui le ferait reculer aussi facilement.

Vous esquivez la difficulté Miss. Partez du principe que je ne veux rien vous dire franchement, ça dénaturerait l’échange. Prenez un risque et tâtonnez. C’est comme cela que les gens normaux apprennent à se connaître. Parlez moi un peu de vous si cela vous amuse, et peut-être rebondirais-je sur un sujet ou une remarque que vous aurez abordé ou faite. N’essayez pas l’échange de bons procédés, ça ne vous mènerait nulle part.

Satisfait de sa réponse, il se laissa aller contre son fauteuil et attendit la suite des évènements. Allait-elle s’outrer et s’en aller ? Ou tenter encore ? Le savoir était tout l’intérêt de continuer le jeu.