«Mona du coup ?»
Perdue. Je suis perdue. Cela fait quelques semaines, mois peut-être ? Que tout ça s’est produit. Je ne suis plus en danger, mais je vis encore les scènes. En boucle. Comme dans un mauvais film, avec la putain d’héroïne qui s’est faite tant et si bien chier dessus par Dieu qu’elle en est devenue une sorte de boule de haine et de vengeance. Sauf que moi, je ne suis que frayeur nocturne, sueur et...je fais même parfois pipi au lit. Chose que j’avais arrêté de faire à l’âge de cinq ans. Tout ça parce qu’un soir, j’ai encore décidé de trop boire. Tout ça parce qu’un soir, j’ai fait la débile et suis passée par le métro alors que je suis une femme, seule, ivre, à moitié nue. Je sais bien que l’on ne devrait pas partir du principe où toutes les femmes sont en danger, mais la société nous le rappelle quand même sans cesse dans les faits divers.
«Mona ? Allô...la Terre appelle Mona...»
«QUOI ! Putain.»
Danny ne mérite pas ma colère. Ni ma haine. Pourtant, c’est sur lui que j’élève la voix et mon regard de panda. Ces temps je dors si peu que ma ressemblance avec un bouffeur de bambou se fait ressentir. Et toutes les crèmes anticerne du monde n’y pourront rien. Et je vois Danny qui recule tout à coup, me regarde comme si j’avais perdu la tête, ce que j’ai eu peur de faire les premières nuits.
«Pardon Mona. Je te demandais ce que tu comptais faire.»
«J’en sais rien. Rien du tout Danny. J’ai surtout l’impression que plus rien n’a de sens.»
Là, son visage prend ses airs d’inquiétudes. Ces airs que je ne voulais pas voir chez mes amis, mes proches, mes collègues. Avec le visage de la pitié, il n’y aurait rien de pire. Rien de plus dégoûtant. Et c’est pour ça que je n’en ai pas parlé à d’autres que Danny et Aemi et que ce cher Dan à dû faire montre de beaucoup de patience et graisser une tonne de patte pour pouvoir en arriver à un silence radio de la part des flics, mais aussi et surtout de la presse. Je n’avais pas besoin de ça juste après un tel évènement.
«Tu veux reprendre le travail ?»
«J’écris déjà beaucoup et tu le sais.»
«Revenir à l’agence je veux dire.»
«Ah.»
Ah. Je n’ai pas envie non. Je n’ai pas envie de devoir répondre à des questions de politesse. Même si la réponse importe peux aux gens qui les posent. Comment vas-tu? Tu as passé de bonnes vacances ? Car oui. Danny à dit que j’étais en vacance. Un besoin de retrouver la muse, de me remettre à l’écriture avec un cerveau tranquille. Danny sait toujours trouver les mots pour que plus personne ne se préoccupe de rien. Il est parfait dans son travail et c’est pourquoi je suis heureuse de l’avoir à mes côtés.
«Tu sais, je ne peux pas continuer de faire comme si...»
«Non. Je sais. Ce n’est pas facile pour toi de devoir dire aux gens que tout va bien, que je suis juste une petite diva qui a besoin de se reposer.»
«Arrête Mona. Ce n’est pas ce que je voulais dire...je sais que c’est difficile pour toi en ce moment.»
«Difficile ?»
«Mona...»
Je sais Danny. Même moi je ne sais pas vraiment ce que je ressens. Je suis passée par différent stade après l’agression et j’essaie encore de composer avec. Les scénarios remplis de «et si» se battent dans mon cerveau avec le reste de mes pensées et c’est un bordel tel que j’ai la sensation que mourir aurait été plus simple. Mais je n’ai pas envie de mourir. Au contraire, j’ai envie de vivre. J’ai juste l’impression que tout m’échappe, surtout mes propres désirs en ce moment. Que veut Mona ? Veut-elle continuer de s’apitoyer ? Écrire un livre sur ce qu’elle a vécu ? Faire comme si rien de tout ça n’était réel ? N’était arrivé ? Oublié cet enfoiré de psychopathe ? Se venger ? Le tuer ? Aider la police dans son enquête ? Si nous étions dans un livre ou un film, je dirais qu’elle se vengerait et finirait par le tuer. Mais la réalité n’est pas la fiction. Sinon tout serait beaucoup plus simple.
«J’ai besoin d’être seule Danny. Je t’appel demain.»
«Tu es sûr ?»
«Oui. Certaine. Et arrête de me parler comme si j’avais une maladie.»
Lorsque la porte claque, je reste à fixer l’écran éteint. Je ne vis plus dans mon appartement, mais squatte en ce moment chez Aemi. Je n’avais pas la force de retourner là-bas. Les flics ont foutu plus de bazar encore et je crois que je ne suis pas assez courageuse pour nettoyer et être confronter aux images de mon échec. D’ailleurs, je n’ai pas remis les pieds dans le quartier. Après que la police soit arrivée sur place, j’ai un trou noir. Je ne sais plus vraiment ce qu’il s’est passé. Je vis ces souvenirs comme des flashback. Je suis menottée sous la pluie, je tremble de froid. L’instant d’après, je réponds à des questions depuis un lit d’hôpital. Puis je suis dans les bras d’Aemi, chez Aemi. Danny vient me voir de temps en temps. Je pense que j’étais dans une sorte de dépression plus que sombre les semaines qui ont suivi l’agression. Mes humeurs faisaient des bonds, à tel point que j’ai craint l’hospitalisation. Mais Aemi m’a supportée et permis de me remettre les idées en place. Elle a été si bonne avec moi que lorsque j’y pense, me prend l’envie de pleurer. Mais j’ai déjà bien trop pleurer en fait. A force, je n’aurai plus de larmes en moi.
Je bois beaucoup (d’eau), mange peu et ne sors pas beaucoup de la maison. Aemi fait tout pour que je me sente bien et ça fonctionne. Alors évidemment, pas au début. Au début, elle était perdue, autant que moi. Elle pleurait avec moi, essayait maladroitement de trouver les mots, me proposait des activités et faisait face à mes silences avec douceur. Moi-même, quand j’y pense, je n’aurais pas eu cette patience d’ange. Mais Aemi est si maternante que cela semblait ne pas lui demander d’effort et c’est ce qui me faisait le plus de bien. Elle n’a, à aucun moment, parlé avec moi comme si j’étais «la pauvre Mona», mais comme si c’était une mauvaise passe et que ça allait finir par changer. Et en vérité, Aemi, à force de sourire, de blagues, même nulles et de bonté, à fini par avoir à l’usure ma détresse.
C’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai accepté de me remettre à écrire. C’est grâce à elle surtout que j’ai accepté de me remettre à vivre, malgré ma colère de ce soir.
[Quelques heures plus tard]
Aemi vient de rentrer. Nous avons discuté longuement et à nouveau, elle a recollé quelques morceaux au passage. Non sans me faire culpabiliser au passage du traitement subit par Danny alors que lui aussi, finalement, ne fait qu’essayer de me changer les idées. Mais il faut croire que les hommes, pour le moment, me donnent envie de leur casser les dents plus qu’autre chose.
«Il faut que tu ailles voir ton psychiatre Mona...»
«...Tu crois ?»
«Non. Je le sais.»
Tout en douceur, Aemi m’a conduit à prendre contact avec le psy dont je repousse les appels depuis quelques semaines déjà. Bien évidemment mis au courant de ce qu’il m’est arrivé par Danny, encore lui, qui s’inquiète pour moi plus encore que moi-même. Je n’ai pas osé en parler à mes mères, de peur qu’elles ne fassent une attaque et réclament à ce que je retourne vivre avec elles. Je les aime, mais je n’ai pas pris mon envol pour retourner au nid aussi sec. J’ai rendez-vous demain à la première heure et je sais que je n’ai pas le choix d’y aller. Sinon il risque bien de se pointer et je supporterais pas ça. Il faut que je me bouge, me dépoussière de toute façon. Alors je sais bien que la plupart me dirait que c’est totalement mon droit d’être au plus mal. Et je serais la première à le dire à une victime d’agression aussi violente, mais nous sommes toujours plus dur envers soi-même que les autres. Et je dois avouer que l’auto-apitoiement ce n’est pas dans ma nature. Enfant déjà, alors que je n’étais pas appréciée par mes camarades, je faisais avec. Je sais bien que c’est stupide de comparer les tracas lier à l’enfance à une tentative de viol et peut-être même de meurtre par un psychopathe qui m’a traquée alors que j’étais totalement en position de faiblesse, pourtant c’est ce que je fais en cet instant…
«Je suis tombée de haut...je me pensais en sécurité et aujourd’hui ce n’est plus le cas.»
«Vous avez la sensation qu’il pourrait vous retrouver Mona ?»
«Oui...»
Je l’ai dit d’une toute petite voix. Mon psychiatre me regarde avec gentillesse, mais je ne vois dans son regard pas l’ombre de la pitié que je redoute tant. Et c’est pour ça que je ne suis pas sortie de son bureau.
«Vous ne désirez pas porter plainte ?»
«C’est...je ne sais pas. Oui. Mais j’ai comme l’impression que ça ne changerait pas grand-chose.»
«Comment ça ?»
«Je crois que ce n’était pas son premier coup d’essai. Pourtant il est libre. Vous en concluez quoi vous ?»
«...»
Son silence me pèse tout à coup. Parce que j’aurais aimé l’entendre me dire que ce n’était pas vrai. Que probablement ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne soit attrapé. Que ce n’était pas la première fois qu’une victime avait l’impression que...qu’il...qu’il me rassure, quitte à me mentir. Haha. Je suis conne. Évidemment que je n’aurais pas aimé qu’il me mente comme à une enfant. Comme à une fille naïve. Si je l’ai assez été pour croire que je pouvais rentrer en sécurité un soir de beuverie, je ne le suis pas réellement en règle général. Je suis plutôt consciente même des dangers qui peuvent sévir dans une ville comme Seikusu.
«Vous comprenez alors que je n’aie pas eu envie de...»
«Justifier de votre tenue, de vos activités et de vos écrits ?»
«...»
C’est à moi de lui imposer un silence pesant. Il n’a pas tord. Je n’avais pas envie de dire que j’étais court vêtue et de prendre en pleine gueule le patriarcat du «finalement, vous l’avez un peu cherché». Entendre des phallocrates me sortir qu’une jeune femme de mon âge ne devrait pas sortir seule et encore moins boire autant d’alcool. Que sûrement que cela ne me serait pas arrivé si j’avais pris un taxi, appelé un ami. Si j’étais sagement resté à la maison sous un plaid avec un gros pyjama et un pilou. Et pire, je ne voulais pas entendre de rires gras sur mes écrits. Non. Je crois que je n’avais pas la force. Heureusement, le soir de l’agression, je n’ai pas eu à faire tout ça, car j’étais si abrutie par ce qu’il s’était passé que je n’étais pas en état de dire autre chose que «je ne me souviens plus trop...». Je crois. Je n’ai pas beaucoup de souvenir de tout ça. Ou alors je préfère garder enfoui au plus profond de moi tout ce qui m’a fait hurler les premières nuits suivant l’agression.
«Vous savez Mona. Le but est que nous avancions et que ce traumatisme ne vienne pas s’ajouter à d’autres qui vous avez enfoui avec le temps.»
«Mais...»
«Je sais. Vous n’avez pas eu une vie emplie de douleur et de terreur, mais vous avez votre lot de difficulté qui découlent de certaines choses qui se sont produites de votre petite enfance à aujourd’hui.»
«Oui...mais.»
«Mona. Vous savez très bien qu’autrement vous n’auriez pas vraiment besoin de moi.»
«J’ai besoin de vous pour mes médicaments.»
«Seulement pour ça ?»
Fais chier. Je déteste quand ils font ça les psys. Qu’ils nous mettent sous le nez qu’ils sont plus importants que ce qu’on aimerait croire. Que sans eux, finalement, on serait seul avec nos pensées et des bouquins sur le bien être, la résilience ou je ne sais quelle connerie de bobo buveur de camomille qui se réfère aux pierres et aux énergies. J’ai envie de me casser et de l’envoyer chier. Mais j’ai aussi envie qu’il trouve les mots qui me feront mal et réfléchir. Qui me feront remonter. Sortir la tête de ce marécage d’horreur et de terreur dans lequel je me suis enfoncé depuis qu’Il m’a souillé.
«Mona ? Vous êtes avec moi ?»
«Oui. Un peu. J’ai envie de me casser et de vous envoyer chier.»
«Faites-le si ça peut vous faire du bien.»
«...je ne crois même pas.»
Après un rendez-vous de deux heures, une heure de plus à bavasser, à tel point que j’ai besoin de vider une bouteille d’eau pour retrouver de la salive, je me sens un peu plus légère. On a beau dire, les psychiatres savent quand même trouver les mots. Bien évidemment, certains ne méritent pas le titre de docteur, mais lui, oui. Il mérite son salaire et son bureau avec vue sur la ville. Il mérite ses costumes à trois milles balles. Il mérite tout ça. Quand je rentre ce midi, Aemi ne me reconnaît pas. Elle me trouve souriante et cela faisait longtemps que je n’avais pas été si...sereine. Je ne lui dit pas que j’ai pris un Benzo avant de rentrer et que ma prescription de médoc s’est allongée de quelques molécules chimiques en plus. Elle ne serait pas très heureuse. Et ce qui compte, c’est que je suis prête à sortir de là. Adieu, le kipu de la dépression. Ce vieux jogging que je porte depuis Mathusalem et que je gardais pour me sentir confortable et protégée. Mais l’odeur de ce morceau de tissu me rebute et c’est une bonne chose. Cela signifie que je suis entrain de remonter ou alors que je suis en pleine montée maniaque. Peu importe le pourquoi, le comment ou même le quoi. Ce qui importe, c’est que je me décrasse et rappelle Danny. De un, pour m’excuser encore une fois et de deux, pour lui dire que je vais revenir à l’agence, comme il dit.
[Plusieurs jours passent]
Il m’a fallu un moment tout de même pour reprendre mes réflexes d’écrivaine. J’ai du pleurer, nier, crier, pleurer encore et faire des tas de cauchemars pour enfin enfiler une tenue descente, me faire jolie et repartir pour le bureau. Avant d’entrer, j’avais peur que tout le monde me dévisage, mais finalement, ça s’est fait en douceur et les gens étaient plutôt contents de me revoir. Certains plus que d’autre d’ailleurs. Les premiers temps, j’ai été plus que fatiguée. Je rentrais et dormais directement. Trop stimulée par tout ce qu’il y avait à l’extérieur, à l’agence et tous ces mails auxquels je devais répondre. La dose de travail était gargantuesque, mais cela m’a permis en même temps de pouvoir mettre de côté ce qu’il m’est arrivé. De refréner les angoisses et écarter les pensées sombres. Évidemment, dans un mauvais livre, je me serais remise, aurait trouver l’amour de ma vie, aurait une petite maison, une belle voiture et un golden dans le jardin qui n’aboie pour ainsi dire jamais, mais ce n’est pas le cas dans la vie de Mona. Au contraire, je me retrouve à tout essayer pour ne pas trop y penser, pour me faire à l’idée que la vie est courte et que je dois apprendre à vivre avec tout ça. Il est clair que je vis encore dans la crainte qu’Il ne revienne un jour, mais mon psychiatre a dit juste. Si je continue d’avoir peur, qu’Il continue d’avoir de l’emprise sur moi, alors quelque part, ce jour là, quand il est venu chez moi, il a gagné. Et c’est quelque chose qui me dégoûte.
C’est vrai que je suis un peu entrer dans une phase de métro, boulot, dodo, mais ça me convient pour le moment. C’est une façon de guérir comme une autre. Je pleure de moins en moins et ai de moins en moins de cauchemar. Je ne vois plus son visage dans chaque homme que je croise et je n’ai plus ce dégoût pour le sexe désormais. Certains trouveraient cela rapides, d’autres, longs. Moi je sais simplement que c’est le temps qu’il me fallait. Et puis...comme dise les gens «ça aurait put être pire.» Mais ça aurait aussi put être mieux...enfin…
[Plusieurs mois ont passés depuis l’agression, la reconstruction de Mona.]
Je crois que j’ai guéri de Lui. Je le pense sincèrement. Mes humeurs sont toujours chamboulées, mais la bipolarité, il faut vivre avec. Lui, je l’ai sorti de mon placard, de mon esprit et bien que parfois je sursaute encore lorsque quelqu’un arrive de derrière et que je ne prends plus jamais le métro, j’ai recommencé à vivre sans une impression d’épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Pour le moment, je ne suis pas prête à sortir à nouveau seule comme je le faisais avant. Je ne suis pas prête non plus à m’enivrer au point où je ne retrouve plus le chemin de la maison. Mais j’ai refusé d’être suivie par un garde du corps et j’ai accepté d’écrire d’autres choses que des horreurs. D’ailleurs, j’ai eu une soirée il y a peu. C’était sympa. Vraiment sympa. Bien que je n’aie pas bien supporter la foule qui s’y pressait et l’attention que l’on me portait, cela m’a fait du bien. Je crois que je peu dire qu’un jour, ce ne sera plus qu’une petite tâche sombre, un insecte écrasé malencontreusement entre les pages d’un des chapitre de ma vie. C’est ok…