(
@Myumi Hatamoto , en espérant que cette ouverture te plaise. )
Arriver sur Terre n'avait pas été une difficulté en soi. Les connaissances et expertises d'Ayatvili avaient permis à la troupe de trouver un moyen efficace de s'y glisser sans trop de problèmes, tandis que le besoin de logement avait rapidement été comblé au travers d'une réservation d'une chambre d'hôtel de fort bonne qualité, laissant l'ensemble de ces dames trouver un repos juste dans un milieu somme toute réconfortant. Rapidement, des avantages sérieux avaient été trouvés quant à la vie sur cette autre planète : Encore inconnue au bataillon, Tojeï pouvait se promener et découvrir ce monde de ses propres yeux sans avoir à craindre pour sa vie, permettant par la même occasion à ce que Fuka reste un maximum de temps à l'hôtel, cette dernière ne supportant pas la quantité avilissante de maquillage nécessaire pour dissimuler son faciès couleur de sang aux populations locales. La barrière du langage n'était clairement pas un problème, par chance, et seule la nature plus caucasienne des traits de l'artiste provoquait de temps à autres quelques difficultés, cette dernière attirant quand même la curiosité des habitants. Toutefois, bon gré mal gré, elle parvenait toujours à se dépêtrer des quelques formes de racisme ambiant par des réponses généralistes et polies, profitant dès lors pour prendre le large avant que les choses ne tournent au vinaigre.
Et pendant ce temps-là, Ayatvili travaillait. La divinité ayant depuis quelques temps conscience de ce qu'était la Terre, elle avait aussi eut le temps de prendre connaissance des us et coutumes de ce domaine, du fonctionnement relatif du Japon et de l'art du divertissement qui prédominait dans cet univers. Pour l'instant, elle était parvenue à engager quelques menus contrats dans des théâtres huppés, s'était permise de louer ouvrages et enregistrements de pièces d'opéra, de concerts aussi, pour alors pouvoir préparer sa protégée à faire face au monde qui se révélait désormais à ses yeux. La faire agir en tant qu'artiste indépendante était un premier point qui permettait nombre de premier contact, tandis que la déesse une fois revêtue d'une apparence terrienne s'affairait à trouver des salles capable d'accueillir la Compagnie des Miracles. Toutefois, elle commençait sérieusement à se rendre à l'évidence, leur affaire ne décollait pas. Dans un milieu très fermé, quelques voix commençaient tout juste à transmettre l'existence de Tojeï et son travail merveilleux une fois sur scène, mais pour le reste, cela tenait quasiment du fiasco. La déesse n'eut de choix de chercher de plus amples possibilités, des moyens de se faire connaître, de parvenir à mettre Tojeï un peu plus en avant. Autant de désirs qui trouvèrent, un jour, une potentielle réponse sous la forme de magazine que Fuka lisait ostensiblement sur l'un des lits de l'hôtel : Les revues populaires et la publicité.
Réunion d'urgence oblige, l'ensemble de la troupe fut rassemblé pour une réunion du soir, Tojeï se retrouvant avec ses deux camarades prêtent à lui coller le magazine sur le visage tout en lui expliquant les détails de leur plan. Autant dire, des considérations financières qu'elle savait bien être des plus importantes, mais qui n'avait en soi rien à faire avec elle. Si Ayatvili choisissait de procéder ainsi, elle lui ferait bien entendu confiance, mais voilà bien le hic, exprimé alors par une déesse qui se posa devant sa pupille avec un air sévère :
"
Si on agit ainsi, va falloir que tu procèdes à ce qu'ils appellent une interview. -
Vas-y, explique-moi ? -
En gros... Il va falloir que je définisse, avec ceux qui accepteront de parler de nous dans leur journal, un jour et une heure où tu trouvera en tête à tête avec un membre de leur bureau pour parler. -
Ça ne devrait pas être un problème en soi. Après tout, je rencontre du monde dans la rue en permanence, ce n'est rien de si peu commun. -
Non, mais ... Enfin, on va forcément nous demander d'où nous venons, quels sont tes objectifs, comment tu as finis dans le monde de la musique, et j'en passe des bonnes et des meilleures. Autant de réponses où, bien entendu, pour ne pas paraître pour une illuminée, il va falloir que tu prépares un peu tes réponses et ne parle en aucuns cas de Terra. "
Le sous-entendu commençait à passer. Se redressant lentement de sa posture plus détendue, Tojeï entama d'observer la divinité avec un air désapprobateur, refermant le magazine pour le poser alors sur le petit meuble à côté d'elle. Puis de reprendre, d'un ton un peu sec pour le coup, afin de s'assurer des intentions de sa patronne et amie :
"
Tu es en train de me demander de m'occuper de la communication de la Compagnie, c'est ça ? -
Oui bah écoutes, j'ai pas mieux, ici les gens s'intéressent aux stars, pas aux chefs d'entreprise. J't'avais dis que j'avais piqué notre modèle d'entreprise dans un autre monde, non ? Bah c'est celui-ci ! Et ici, les gens ne voudront pas de mon avis, de mes mots, ils voudront LES TIENS ! -
Et donc quoi ? Va falloir que je révise leurs us et coutumes ? Tu veux que je lâche les représentations pour ... Pour faire TON travail ? -
Exactement ! "
Un silence tendu s'installa. Fuka, spectatrice de tout ces événements, resta un temps interdite, puis entama une retraite stratégique de l'autre côté d'une porte pour ne pas se retrouver dans un feu croisé entre ses deux patronnes. C'est qu'elle sentait les coups venir, surtout entre les deux premières membres de la Compagnie des Miracles, et grand bien mal lui en prendrait de chercher à les arrêter dans leurs élans de disputes. Elle s'y essaya une fois, ne comptait jamais réitérer l'expérience. Pourtant, elle n'entendit pas plus d'éclats de voix de l'autre coté de son bouclier improvisé. Tout au plus, elle perçue un sifflement strident, qu'elle attribua tout naturellement à Tojeï qui devait être en train de fulminer, laissant l'air se glisser entre ses lèvres pincées. Enfin, une injure traversa l'espace de la chambre d'hôtel, abandon de la vedette de l'entreprise qui alla s'écrouler sur un des matelas en pestant allègrement :
"
Merde ! C'est bon, j'vais le faire, file moi les informations que je dois retenir, j'm'occupe de préparer tout ça le temps que tu nous trouve quelqu'un pour m'interviewer. "
*
* *
Tandis que Tojeï entama de se créer une identité convenable pour la future personne qui viendra la questionner, les jours qui suivirent furent l'occasion pour Ayatvili de découvrir l'infini plaisir des appels téléphoniques. Une catastrophe, point d'autres mots pouvait décrire ce qui fut le constat de ces trois femmes, tandis que la déesse se trouva très rapidement et de manière répétitive mise de côtés par des politesses creuses, voire même parfois des propos bien plus directs et crus. Une pleine semaine plus tard, alors que Tojeï avait enfin en main l'ensemble des aspects de son rôle, se rappelait même sur le bout des doigts des moindres détails, la déesse en était encore à patauger dans le marasme administratif des standards téléphoniques des journaux nippons. Une mise au claire de la situation plus tard, et voilà l'artiste qui quitte l'hôtel, mains dans les poches, pour aller trouver un endroit où elle saurait passer par l'alcool pour libérer sa frustration. Ce n'était pas une habitude particulièrement commune chez elle, mais si ça pouvait lui permettre d'une manière ou d'une autre de relâcher la pression, comme pouvait le faire Fuka en d'autres occasions, alors pourquoi se priverait-elle ? Un trajet de bus plus tard, histoire d'atteindre le centre-ville, une petite marche en prime pour atteindre le lieu le plus coloré qu'elle ait déjà trouvé, et la voilà à boire un coup aux heures même où l'ensemble des bureaux se vident pour alors fêter la fin de journée à grand renfort de boissons alcoolisés.
C'est un instant curieux, mais au moins, la femme au style européen a la chance de pouvoir parler la langue sans grande difficulté. Ainsi, la curiosité du serveur se meut naturellement en action respectueuse quand elle lui offre une commande dans un japonais impeccable, tandis que les employés qui arrivent pour s'installer et boire leurs verres lui servent un regard en biais tantôt curieux tantôt intéressé. Pas besoin de se prendre la tête, elle se contente d'acheter, de consommer, de se faire resservir, de régler une première partie, de recommander. Une méthode qui laisse entendre progressivement la nature aigrie de sa présence ici, mais elle ne fait pas attention à qui pourrait, d'une manière ou d'une autre, chercher à profiter du fait qu'elle s'enivre ostensiblement sans autre forme d'accompagnement que ses ronchonnements. Puis, l'alcool déliant sa langue et sa frustration, elle commence à se parler à elle-même, tournant gentiment en rond dans ses dialogues, prêtant ainsi à qui tendrait l'oreille ses élucubrations acides.
"
Toutes façons, Maaadame n'est pas en capacité de s'en charger. Nulle, elle est nulle. Nulle nulle nulle. J'prévois tout, j'suis dispo en tout temps, mais non ! Même pas capable de trouver un bon dieu de journal, un bon dieu de magazine prêt à faire une interview ! Et j'dois m'en charger, trouver du monde ... Mais bon dieu j'ai rien d'une cheffe en communication moi. J'fais dans l'art, pas dans le blabla. Fais chier ! Juste un putain de rendez-vous, une publicité pour la Compagnie et tout serais réglé, je retrouve le théâtre, les opéras... Marre de pourrir à ne rien faire. "
Décidément, elle avait un peu l'alcool triste.