Ville de Seikusu, Kyoto, Japon, Terre > Le parc et son sous-bois

Si je vous dis « maquis » ? [PV Marmelade]

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Eugene Erik:
Il arrive que vous vous trouviez parfois au mauvais endroit au mauvais moment. Lorsque ce « parfois » vire au « tout le temps », vous êtes le mauvais endroit et le mauvais moment ; l'élément renégat de chaque instant. Eugene, à ce titre, n'était pas malchanceux. Il ne l'était pas en ce sens où ses déboires n'étaient guère que la juste conséquence de ses actes. Des actes incohérents, peut-être inadmissibles, en tout cas franchement dommageables. Il n'avait en effet pas attendu qu'on lui maudisse les boyaux crâniens pour agir en ce sens ; car bien avant qu'il n'oublia tous ses acquis du jour et ce, à chaque cycle de vingt-quatre heures qui venait, son sort, il ne l'avait jamais dû qu'à lui-même. En somme, il était sa propre malédiction.

Tout ça pour dire qu'on ne finissait jamais engeôlé par erreur. Car il avait, Eugene, débarqué un beau matin dans un sous-bois. Une mémoire régressive telle que la sienne l'y conduisait parfois. Ici ou ailleurs ; sa vie, il la passait à déambuler comme un chien fou dans un champ de mine.
Aussi était-il tombé sur des braconniers, du genre mauvais - y'avait rarement de braconniers sympas dans les sous-bois - à qui il était allé demandé, la gueule enfariné, s'il savait où il pouvait « la » trouver. Car son amnésie répétitive était couplée à un tatouage sur son bras droit où il y fut intitulé « Retrouve-la », message vaporeux s'il en était, lui faisait office de seule boussole à même de guider son existence.

- La trouver ? Qui ça ? Avait demandé un braconnier encore occupé à se demander d'où avait débaroulé l'importun.

- « La », avait aussitôt répliqué Eugene en pointant le tatouage sur son avant-bras.

La petite assemblée de chasseurs clandestins, à force que ce drôle de bonhomme s'évertua à les faire tourner en bourrique, convinrent qu'Eugene, sans doute, devait être un de ces militants écologistes qui ne manqueraient à personne. Un de ceux qui aimaient à vous compliquer l'existence. Toujours est-il que ce garçon, rendu irritant à force de vouloir sans cesse combler les trous de ses souvenirs abandonnés, les braconniers l'avaient finalement jeté dans un cachot. Un joli petit repaire qu'ils avaient aménagé eux-mêmes dans le sous-bois où il traquaient les espèces surnaturelle qui y traînaient parfois.

Il s'agissait ni plus ni moins qu'un trou. Un qui n'était humide que par temps de pluie alors que l'ouverture se faisait en amont, au travers de larges barreaux de métal. L'endroit, du reste, était relativement vaste et cossu pour un captif. Il y avait même un canapé. Il n'y avait en réalité que cela, ce qui, au regard du contexte, n'était finalement pas si mal.
Oui, pour s'en satisfaire de ce trou profond de bien dix mètres et creusé au milieu de la forêt, il fallait un contexte. Eugene, ainsi rendu captif, serait vendu en esclave d'ici à ce que ses ravisseurs attrapèrent suffisamment de « gibier » rare afin de vendre sur le marché noir toute une fournée de créatures rares. Eugene, au milieu de la tambouille à venir, serait un « extra ». Un extra qui se réveilla au lendemain de sa capture sans trop savoir ce qu'il faisait dans ce trou, s'imaginant - son absence de mémoire aidant - qu'il y avait vécu une vie entière bien qu'il s'y trouva depuis moins de quarante-huit heures.
Jamais esclave ne fut si docile que lui alors qu'il se contentait déjà de cette vie modique. Après tout, il avait un canapé. Eugene jouait d'ailleurs à cache-cache avec lui, lui racontait des histoires qui font peur et s'enguirlandait avec parfois au point où ils en venaient aux mains. Cette vie, alors que sa mémoire lui échappait chaque fois minuit venu, il partait pour s'en contenter.

Mais il y eut un élément perturbateur qui survint au milieu de sa routine balbutiante. Alors qu'il confondait ses geôliers avec des « dieux », au seul prétexte que ceux-ci lui jetaient de la nourriture, les braconniers, au retour d'une traque, jetèrent dans leur prison rustique une denrée plus précieuse et, vraisemblablement, moins comestible qu'à l'accoutumée. Il sembla en effet qu'ils avaient jeté dans leur donjon sylvestre une créature rare. Une qu'ils vendraient au prix fort le jour où ils iraient écouler leur marchandise au marché aux esclaves.

- Tiens Concon, ils avaient en effet trouvé un petit nom à Eugene après l'avoir observé, tu joueras à cache-cache avec elle maintenant. Essaye de bien t'entendr... eh ! Arrête de la mordre, c'est pas à bouffer !

- Pardon seigneur ! S'excusa benoîtement Eugene qui, après y avoir ôté les crocs, examina ensuite la nouvelle venue avant de se présenter énergiquement auprès d'elle. Salut, je m'appelle Eugene ! Et ça, c'est Couchy. Il vient de la planète Canapax. Je crois. Fais pas attention à lui ; s'il dit jamais rien, c'est pour faire son intéressant.

Qu'on fut sur le point de la vendre comme esclave dans quelques jours était alors le cadet des soucis de la récente captive ; car il lui faudrait avant ça, en guise de supplice préliminaire, supporter son codétenu nouvellement trouvé.

Marmelade:
Les braconniers et les esclavagistes ne manquent pas d'imagination pour s'en prendre aux Crazilles. Peuple de la forêt à l'ouest de Nexus, plusieurs parties de leur corps valent une fortune. Principalement les yeux, qui peuvent atteindre des sommes astronomiques aux enchères. Les collectionneurs aiment les produits exotiques au point de s'arracher les parties du corps de cette tribu, sachant pertinemment la souffrance qu'il y a derrière. Un être vivant arraché de sa forêt, torturé vivant pour capter la plus belle nuance de leurs yeux lors de la mort, car celle-ci reste figée à tout jamais, ils se moquent de tout ça, eux veulent seulement une nouvelle pièce dans leur collection ou plutôt cabinets de curiosité, regroupant un tas d'objets plus macabres les uns que les autres.

Les braconniers qui étaient à la bordure de la forêt savaient comment fonctionnaient les Crazilles. Il était resté plus d'un mois à l'écart pour les observer sans se faire remarquer, mettre un pied dans la forêt est comme sonner à la porte d'une maison pour signaler sa présence. En résonance avec la nature, ils peuvent savoir quand un intrus franchit cette muraille d'arbres millénaires, c'est pourquoi ils se tenaient bien à l'écart pour ne pas se faire remarquer. Du campement, ils avaient pu observer sans crainte les Crazilles sortir parfois de la forêt pour partir en exploration. Les expéditions semblaient aléatoires ainsi que le nombre de Crazilles dans le groupe. Le plan avait été rapidement mis en place par le chef du groupe : - On attend l'occasion parfaite. Une seule personne et une femelle. Les combattants chez les Crazilles étaient des guerriers redoutables, si les braconniers pouvaient assurer le moins de pertes possible, ils n'allaient pas s’en priver. Et c'est Marmelade qui allait tomber dans ce piège.

Prête pour sortir, la Crazilles aimait les voyages en solitaire, elle avait ses habitudes, ses chemins, ses ambitions et préférait être seule pour expérimenter tout ça. Elle changeait de forme uniquement vers la frontière rocheuse pour garder ses forces pour la première partie du chemin, son pouvoir n'était pas utilisable à l'infini, c'est pourquoi elle se montrait prudente dans l'utilisation. Sortant de la muraille végétale, Marmelade faisait un signe de main en guise de salut à un congénère avant de se mettre en route. Le soleil tapait fort sur sa peau blanchâtre, l'air frais de la forêt s'était alourdi dans cette étendue de roches et de végétations sèches. La différence entre les deux zones était si brutale que cela semblait irréaliste, mais c'était bien le cas. Marmelade portait une tunique faite de larges feuilles cachant son buste ainsi que des cuisses, des branches fines aidaient à maintenir le tout en place ainsi que du fil à coudre réalisé avec des tendons d'animaux. Ses cheveux attachés en queue de cheval étaient recouverts de fleurs, de fruits à coque avec des feuilles fraîches ainsi que d'os d'animaux. Marmelade ne portait qu'un sac à dos pour son voyage, celui-ci venait de la civilisation des hommes. Un tissu solide, plusieurs poches qui contenaient de l'eau, de la nourriture, un couteau, de la corde et d'autres ustensiles utiles pour une sortie en extérieur.

- Attendez qu'elle s'éloigne de la forêt. Sauf que Marmelade n'allait pas profiter de son aventure cette fois.

Les braconniers étaient aux aguets, ils savaient qu'ils allaient disposer que d'une chance pour capturer la Crazilles. Quand le moment opportun se présenta, c'est une attaque éclair qui s'abattit sur Marmelade qui ne sut avoir la capacité de se rebeller. Plusieurs hommes pour la maintenir, alors qu'elle grognait déployant la partie base de ses oreilles pour impressionner ses adversaires pendant que ses yeux entièrement roses plongeaient dans une teinte sombre.

- Ne lui faites pas de mal, notre client souhaite avoir un Crazille en parfaite santé. La folie des collectionneurs s'étendait parfois qu'un simple achat, pour celui qui avait passé commande son désir était de torturer lui-même une pauvre créature.

- Tu as des yeux adorables, poupée. Je crois que le rose est une des teintes qu'il affectionne le plus, nous avons de la chance.

Les gros doigts du braconnier posés sur le contour de l'œil de la Crazilles, il examinait la marchandise, avant qu'un tissu se pose sur son nez. De forte inspiration, voilà que Marmelade voyait flou, son corps lâche prise et la troisième inspiration du produit à la forte odeur fut radicale. Elle se laissa tomber dans les bras des braconniers qui s'empressèrent de la ficeler comme un gigot, lui bandant les yeux et la bouche pour éviter de se faire repérer. C'est un nouveau périple qui commençait pour Marmelade à la merci de ces hommes, elle sentait qu'on la bougeait régulièrement d'endroits sans savoir où elle se trouvait. Avec ce bandeau, elle ne voyait rien, l'odeur forte du produit qu'elle avait inhalé remplissait encore ses narines et il arrivait qu'elle se fasse encore endormir quand les hommes le pensaient nécessaire. Ainsi, ils brouillaient au maximum les pistes entre Marmelade et son clan. Perdant le fil du temps, c'est après un long voyage que Marmelade allait pouvoir souffler.

- Mettez là avec Concon, nous allons nous reposer au campement plusieurs jours et nous avons encore des créatures à trouver avant de rentrer en ville.

Le bandeau sur le visage de Marmelade se dénouait pour lui rendre la vue… Presque, après autant de temps sans voir le jour où la nuit, la première lueur qui lui frappa le visage l’aveugle, une aura blanche où des formes oniriques aux teintes sombres semblaient lui boucher la vue.

- Tu vas voir avec Concon, tu ne vas pas t’ennuyer.

Marmelade ne résistait pas, elle n'était pas en état pour le moment de faire quoi que ce soit. Elle préférait garder les forces qu'elle avait, se reposer et faire le point qu'essayer de tenter le diable maintenant. Docile, elle se laissa conduire à la prison sylvestre, les yeux pétillants d’encore quelques lumières, elle se fit balancer avec celui que les braconniers nommait Concon. Dans le flou, Marmelade glissa dans le trou arrivant en roulant à ses pieds, où qu'il eut comme seule idée… - Nnnn ? De la grignoter plantant ses dents dans son bras. Fort heureusement les geôliers viennent le rappeler à l'ordre rapidement pour qu'ils arrêtent. Marmelade ne mit pas longtemps à comprendre ce surnom face à Eugene le simple d'esprit ou le crétin. D'où pouvait sortir ce type qui parlait à un canapé, est ce que c'était l'isolement qui l'avait conduit dans une sorte de folie au point d'imaginer des choses.

- Salut Con… Nnn… Eugene.

Marmelade se relevait de son roulé-boulé, frottant ses yeux avant de faire papillonner ses longs cils noirs, la teinte de ses yeux était revenue à la normale un rose pâle qui couvrait l'entièreté de ses globes oculaires. Sa tunique faite de feuilles n'avait pas survécu à cette dernière cabriole, le haut c'était déchiré laissant apparaître son buste svelte à la peau couverte de tatouages. Des dessins ancrés dans sa peau, du bleu, du rose, du vert en rapport principalement avec la nature. Une douceur harmonique qui dansait sur son corps presque nu, dessinant le contour de ses seins bien formés, ses côtes quelque peu apparents, tournant autour de son nombril telle une spirale sans fin.

- Moi, c'est Marmelade. Elle arrachait les feuilles ballantes de sa tunique pour ne garder que le bas.

- Comment tu sais que son nom est Couchy et qu'il vient de la planète Canapax s'il ne dit jamais rien ? Marmelade allait tâter le terrain avec son codétenu, jauger son niveau de folie. Ce n'était peut-être qu'une couverture pour tromper les braconniers plus haut.

- Tu es ici depuis combien de temps ? D'ici on voyait le haut du trou, il était possible de compter les nuits pour se tenir au courant.

Marmelade était bien loin d’imaginer que son compagnon de fortune avait hérité d'une malédiction qu'il allait rendre bien difficile d'avoir une réponse à certaines de ses interrogations.

- Pourquoi appelles tu ces sales types, Seigneur ? Ils te retiennent dans une cage, tu n'as pas en plus à courber l'échine. De plus, eux n'ont pas de respect pour toi en t’appelant Concon. En plus de sa folie est-ce qu'il avait subi un lavage de cerveau de ces hommes.

Il y avait un flot d'informations pour Marmelade qui se grattait le crâne en regardant les environs de sa prison. Il n'y avait rien à par ce canapé du nom de Couchy, elle se dirigeait vers celui-ci pour s'y laisser tomber avec soulagement, les bras écartés sur le dossier et sa poitrine libre se soulevant à chaque battement de son cœur.

- Hahn.

Les doigts de pied en éventail, Marmelade se permet une dernière question à Eugene.

- Dis-moi aussi, pourquoi tu es ici ?

La Crazilles avait du mal à comprendre pourquoi un type comme lui était dans ce trou. Il ne semblait pas être une créature, encore moins un être rare chassé pour les collectionneurs, il n'avait rien d'un terranide d'une quelconque espèce, s'il était fort il ne se laisserait pas faire ainsi en les appelant seigneurs. Ce type était un o.v.n.i pour Marmelade qui n'y voyait rien de logique.

Eugene Erik:
Bien que ce qu’on lui servit pour ce jour de captivité ne se mangeait pas – du moins le lui assurait-on, la fragrance qui émana néanmoins de la masse venue rouler jusqu’à ses pieds contre-indiquait l’injonction qui lui fut faite. De par ses effluves boisées, presque sucrées même, le bien curieux fruit qui lui parvint si brutalement s’était avéré décidément trop appétissant pour qu’Eugene n’y planta pas les crocs. Mais il était vrai, à bien la regarder, et surtout à l’entendre, que cette demoiselle dénotait de beaucoup avec ses festins ordinaires. Notamment du fait qu’elle fut bien vivante, alors qu’on ne lui avait guère jeté jusqu’à présent que quelques châtaignes afin qu’il se sustenta.

De cette carne à l’odeur résineuse, Eugene en fut d’abord curieux puis méfiant. La créature s’était en effet dressée sur ses gigots, ceux-là apparemment noueux et athlétique comme pouvaient l’être les muscles sculptés par une vie sylvicole. Enfin plantée sur ses cannes, c’est alors de plus d’une tête que la prisonnière toisa son compagnon d’infortune, le dominant d’une vingtaine de centimètres au moins. Qu’elle fut si grande, et levée si promptement, conduisit le reclus de ces geôles à s’esquiver d’un pas en arrière ; par prudence pour ainsi dire. Car des deux spécimens écroués, Eugene sut en effet, et d’instinct, qu’il était plus à même de finir comme repas de l'autre.

Et cette « Autre », si inopinément amenée à lui par les dieux, quelle était-elle au juste ? Pas une humaine ; la chose était entendue. Outre les oreilles pointues, les yeux roses ou cette taille jugée considérable s’il s’était agi d’une femelle de son espèce, Eugene se persuada en sus que, les garnitures de bois et de fruits aménagées en une coiffe sylvestre, constituèrent pour la demoiselle rien moins que son extension capillaire. Contraint à la cohabitation avec un spécimen dont il ne savait rien, le primo-captif constata bien vite à quel point la bête n’était point farouche.
Sans crainte ni réserve d’aucune sorte, elle l’avait assaillie de questions au point qu’il se sentit crouler sous les interrogations multiples. La pauvre ignorait alors tout de ce zouave improbable, mystérieux malgré lui et cela, tant les avaries de sa mémoire carençaient jusqu’à la compréhension même de son environnement direct. Il ne faisait jamais bon interroger Eugene Erik sur quelque sujet que ce soit. Car d’une pareille entrevue, on en sortait généralement plus perplexe qu’instruit.

Cette inquisition soudaine à laquelle il fut en proie, le maître de ces lieux aurait pu y répondre une question à la fois. Ou plutôt, il aurait pu ne pas y répondre, ignorant tout de sa propre situation du fait que l’amnésie l’accablait si bien. Mais plutôt que de l’entretenir de son affliction, que sa comparse fut au moins avertie de ce détail significatif le concernant, Eugene se pensa capable de répondre à tout. À commencer par ce dont il ignorait tout. Il avait en effet ce pouvoir ; c’était, disait-on, le privilège des abrutis.

- Au commencement ! Cria-t-il après que la créature feuillue se fut affalée sur le sofa, furent les dieux !

Aucune explication rationnelle ou viable à-demi ne s’entamait sur « Au commencement ». La suite laisserait alors autant à désirer que ce préfigura cette introduction tonitruante.

- Démiurges célestes qu’on aperçoit parfois en levant les cieux, ce sont eux qui ont créé la grande fosse, puits de l’existence. Dans leur infinie sagesse, les dieux élaborèrent leur plus remarquable création : les Comme Moi. C’est ainsi qu’il désigna les humains avec toute la créativité qui le caractérisait. Ils ont aussi bricolés de trucs à côté, comme les géraniums géants à yeux roses, mais ça ils en étaient pas franchement fiers. Les Comme Moi, donc, vécurent en paix durant des millénaires et cela, d’autant plus facilement qu’ils se bornaient au nombre de un. Ils vivaient tous ensemble une vie bien remplie, occupée à tourner dans la fosse vers la droite, puis parfois, vers la gauche. C’est alors que les Canapaxiens firent irruption depuis les étoiles ! Ils venaient profaner la création des dieux.
Les dieux, afin de déterminer si leur plus magnifique conception – je parle de moi – était digne de leurs bienfaits, mirent en effet les Comme Moi à l’épreuve. Ils devraient triompher de l’invasion mystico-spatiale afin de mériter leur existence dans le grand trou !
La bataille fit rage des siècles durant, les Canapax, redoutables, périrent jusqu’à l’extinction, ne laissant derrière eux comme vestige que leur roi, Couchy VII, devenu depuis otage des Comme Moi. Ainsi les dieux, satisfaits, firent pleuvoir châtaignes et groseilles afin de couvrir les vainqueurs d’un festin spectaculaire. D’ailleurs, je me suis pris un bogue de châtaigne sur la tête ce jour-là. Ça fait super mal.

Son exposé accompli, celui-ci étayé en un ramassis d’inepties aux lourds relents religieux, le prêcheur trouva son auditoire pour le moins circonspect. Sans doute ne s’était-elle pas attendue à un récit quasi-apocalyptique en guise d’accueil.

- Tu me crois pas, hein ?… Marmonna l'amnésique souterrain alors qu’il avait encore en lui un semblant de lucidité.

Aussi fouilla-t-il la poche intérieure de son manteau vert pour en extraire un calepin insignifiant. Avec précaution et révérence, il s’en empara à deux mains et le brandit au-dessus de sa tête.

- Pourtant, toute la Vérité révélée est inscrite ici ! Dans le carnet bleu ! Si ça c'est pas une preuve.

Ce carnet n’était rien moins qu'une béquille mémorielle. Privé de ses souvenirs – ceux-ci étant réinitialisés toutes les vingt-quatre heures par le fait d’une malédiction – Eugene annotait périodiquement son carnet afin d’y amasser les connaissances. L’inconvénient tenait au fait qu’Eugene se trouva plus souvent disposé à remplir son encyclopédie de poche qu’à la lire. Aussi, parce qu’il s’était ennuyé le premier jour de sa captivité, avait-il rédigé cette exégèse insane afin de se distraire. Il paya les conséquences de ses facéties le lendemain même, alors qu’il prit littéralement ses écrits pour parole d’Évangile.

Avec sa « Bible » épaisse comme un répertoire téléphonique, il avait espéré impressionner sa convive. Il n’en fut rien. Il lui avait par la suite soutenu qu’il se trouvait ici car il y était né, que l’univers connu se bornait aux parois de leur cachot et que rien au dehors n’existait. Rien, hormis les dieux qui veillaient là-haut dans les cieux et leur apportaient à manger.
Avec une mémoire lourdement déficiente et ce seul horizon cloisonné comme rapport au monde, Eugene s’était ainsi persuadé de ses propres histoires. À l’écouter élucubrer si énergiquement, on put en déduire dépité que, ce garçon remuant, était soit né ici, ou bien avait oublié jusqu’à l’extérieur de sa prison. Que ses vêtements furent si impeccables et ses lunettes noires aussi luisantes tendaient par ailleurs à indiquer qu’il ne s’était pas trouvé ici depuis bien longtemps.

- La vraie question, Marmelmuche, c’est pourquoi les dieux t’ont créé ?

Brusquement suspicieux, passant aisément d’un sentiment à un autre, Eugene plissa ses yeux de derrière ses binocles noires pour la scruter tandis qu’elle fut étendue sur SON canapé, celui qu’il jurait avoir vaincu de ses mains lors de la grande guerre intergalactique. Canapé qui, en plus d’être sa plus estimée prise de guerre, lui servait accessoirement de couchette à la nuit tombée.
À une distance respectable, il inspecta plus attentivement cette belle plante venue prendre racine dans son petit univers. L'amnésique l’examina tant et si bien qu’il tomba soudain en proie à quelques sentiments contraires. D’abord surpris de la découvrir à son arrivée, ensuite craintif qu’elle fut si éminente une fois perchée sur ses gambettes, il s’était enfin perdu dans une litanie exaltée pour l'accueillir. À aucun moment depuis son intrusion n’avait-il pris le temps de l’étudier plus attentivement, chaque fois distrait par une nouvelle lubie. Prenant désormais soin à l'observer ainsi étendue, il la découvrait là, à se prélasser, lui trouvant un rien de lascif à frétiller ainsi des orteils du bout de ses longues jambes pâles. Des jambes qui l’intimidèrent moins désormais qu’il y fit défiler son regard. Alors qu’elles n’en finissaient pas, il ne se privait pas de les caresser du regard, les sentant glabres et ciselées du seul bout de ses prunelles. Échauffé jusqu’à ses sens les plus lubriques, Eugene se maudit soudain de trouver tant d’attraits à cette « plante verte » dont on lui avait fait cadeau.

S’imaginant être un fin psychologue, Eugene considéra la ravissante créature comme une épreuve des dieux. À n’en point douter, du moins s’en persuadait-il à présent que les divagations cheminaient bon train dans son esprit, les dieux avaient voulu le soumettre à la tentation. N’étant cependant que bien peu au fait de ce qui se rapporta à la licence, sa mémoire ayant oblitéré jusqu’à cette connaissance, le maudit aux lunettes noires ne sut trop ce qu’il convoitait chez elle. Était-ce la gourmandise qui lui commanda l'attention qu'il lui portait à présent ? Oui. Il avait faim d’elle, mais d’une faim qui ne lui rassasierait pas l’estomac.

Défilant son regard indiscret, à l’abri derrière ses carreaux teintés de noir, Eugene était judicieusement passé par-delà la parure garnie de branches qu’elle portait à la taille, se risquant vers des horizons dont on ne revenait pas indemne. Svelte et cambrée sur ce sofa qu’elle avait si opportunément investi, il trouva, au milieu de ce ventre présenté à ses appétits, un ravissant nombril venu percer la peau d’un abdomen tendu. Tout autour, il avait, comme hypnotisé, suivi le parcours de ces tatouages aux couleurs vives, ondulant des yeux en un tourbillon qu’elle avait sur le ventre, cheminant des yeux jusqu’à quelques monts aux reliefs instables. Sous sa respiration, la poitrine de la beauté sylvestre se soulevait avant de s’effondrer en douceur le temps de perpétuer un cycle apaisant pour peu qu’on y laissa traîner le regard. Et c’est d’ailleurs ce que fit Eugene, capté par ces deux éminences laiteuses sur lesquelles les tatouages n’avaient cessé de glisser tout du long d'une peau lisse et diaphane. Que ces seins délicats furent ainsi exposés dans l’impudeur, troubla l’épieur jusqu’à l’épieu dont le malheureux éprouva la lente raideur, celle-ci venue lui remuer un organe qu’il crut pourtant paisible.
Eugene ne savait alors trop ce que lui suggérait cette poitrine exquise sur laquelle les mirettes se trouvèrent collées au beau milieu de son parcours. Elle ne lui disait trop rien qui vaille, cette envahisseuse, mais sans qu’il ne sut pourquoi, Eugene la trouvait affriolante, peut-être enivré qu'il fut par cette fragrance de fruit des bois qui lui aiguisait divers appétits.

Autant méfiant qu’il se trouvait intéressé par la créature, l'amnésique l’avait redécouverte d’un œil neuf et fureteur afin de mieux y porter un regard nouveau. Un au fond duquel brillait des espérances dont Eugene ne sut trop comment les formuler. Son esprit s'étant trouvé troublé, ce fut à la chair de lui commander une approche audacieuse. Il ne pouvait, après tout, pas rester indéfiniment bouche bée face à une squatteuse venue lui soustraire son canapé.

Mais que celle-ci fut déployée de tout son long sur les coussins, finalement, ne l’indisposa que bien peu. Eugene la considérait autrement moins menaçante à gésir indécemment comme elle le faisait alors, fut-ce sur son trône.
Cauteleux bien qu’on le savait habituellement plus franc dans ses approches, le maudit marcha vers elle, s'accroupissant à son niveau afin qu'ils s'entretinrent de leur nouvelle cohabitation. Ignorant toutefois en quels termes il pouvait appréhender la bête, se jurant de ne pas évoquer ces deux seins dont il fut obsédé bien malgré lui, Eugene prit les devants et brisa son silence inquisitorial.

- Bien que je sois maître en mon royaume, sache, géranium, que je daigne t’accorder l’hospitalité en mes terres. Eh oui.

Ce n’était pas comme si de « ses terres », la damoiselle extraite de ses bois fut en mesure de s’en émanciper.

- Les dieux t’ont sûrement livrée au monde à dessein. Peut-être que y’a la réponse dans tes tatouages. Tiens, moi aussi j’en ai !

Après qu’il eut tôt fait d'exhiber son avant-bras gauche où il était inscrit « Ne perds pas le carnet bleu », le droit fut à son tour dévoilé de sous la manche du sous-pull noir et moulant qu’arborait Eugene sous son manteau.

- C’est marqué : « Retrouve-la ».

Resté interdit quelques secondes, papillonnant finalement des cils le temps qu’une révélation lui heurta le ciboulot, le tatoué se hasarda à une question impromptue.

- Dis voir… tu serais pas une « La » par hasard ? Une « La » comme dans Retrouve-La ? Ça a peut-être un lien avec tes tatouages.

Qu’elle fut possiblement de sexe féminin et que tous deux portèrent des tatouages constitua de bien maigres indices pour en appeler à une rencontre du destin. Mais dans un monde aussi réduit que se trouvait le leur, à dix mètres en contrebas du monde réel, le moindre événement, à commencer par le plus anodin, valait qu’on s’y attarde. Et cette belle plante, qu’on lui avait amenée afin qu’elle prit racine avec lui sous terre, Eugene ne s’était déjà que trop attardé sur elle pour qu’il ne poursuivit pas ses efforts, ne résistant pas à quelques coups d’œil honteux, posés à nouveau sur les petites bombances laiteuses et bariolées qu’il trouvait à présent plus appétissantes désormais qu’il se fut accroupi si proche du canapé, assez près d'elle pour l'effleurer de son souffle nasal et la sentir, pétrie qu'elle était d'un fumet qui humait si bon la forêt.

Marmelade:
Marmelade ne savait pas qu'avec les questions qu'elle avait levées, celle-ci allait lancer en roue libre le gland qui se trouvait dans le crâne d'Eugene. Si elle avait déjà vu des fous dans sa vie, la Crazilles était loin d’imaginer que cet homme allait lui faire comprendre que la folie n'avait pas de limites. Confortablement installée dans le canapé, elle profitait de ce confort après avoir été trimballée dans tous les sens par les braconniers. Dans sa forêt, il n'y avait point d'objets comme ça et quand elle allait visiter le monde des humains, c'était toujours un plaisir de tester le mobilier. Marmelade avait essayé d'en fabriquer un dans son village avec de la boue séchée, des feuilles et de la mousse, le résultat n'avait pas fait l'unanimité dans sa tribu laissant beaucoup plus de douleur au postérieur de ceux qui l'utilisaient qu'un semblant de confort. Se souvenir plutôt marrant venait la faire sourire, alors que la teinte de ses yeux se mettait à scintiller légèrement.

Sauf que ce souvenir allait vite s'estomper grâce ou à cause d'Eugene. Celui-ci commençait son spectacle en poussant un cri qui sortit Marmelade de ses pensées, sa tête basculant en avant, ses oreilles se mirent à frémir sous ce bruit brusque. Au commencement, furent les dieux. Dès les premiers mots, Marmelade affichait un regard interrogateur, pourquoi parler de la création de l'univers maintenant alors que la Crazilles avait seulement posé des questions sur son incarcération. Elle levait la main pour le couper, mais Marmelade n'eut pas le temps, la machine venait de se lancer. La bouche entrouverte, la Crazilles l'écoutait balancer une histoire sortie d'un imaginaire farfelu, rocambolesque que même un enfant Crazilles jamais ne sortirait.

Les dieux sont les braconniers, le comme moi, c'est ainsi qu'il se désigne, les géraniums… Marmelade n'avait aucune connaissance que ce mot. L'invasion des canapés, le combat pour gagner le roi, les dieux satisfaits… Elle comprenait mieux pourquoi les braconniers le surnommaient Concon et peut-être même pourquoi ils le gardaient enfermé là. C'était mieux pour lui et surtout pour eux, l'avoir dans les pattes raconter n'importe quoi toute la journée ça doit courir sur le haricot.

- Nnn… Il est vrai que je ne te crois pas. Marmelade avait hésité à répondre à son interrogation après ce qu'elle venait d'entendre. Est-ce que prendre la parole allait vraiment changer quelque chose sur son état de santé mentale.

C'est un soupir profond soulevant sa poitrine qui sortit de sa bouche et son nez quand il leva dans les airs son carnet. Elle pensait toucher le fond et Eugene arrivait à en remettre une couche.

- Ce n'est pas une preuve. Chuchota la Crazille en levant ses yeux vers le ciel en poussant encore un soupir qui relevait une mèche de cheveux qui tombait sur son visage.

- Marmelade. Elle le reprenait sur son prénom alors qu’il avait l'air de s'être calmé un peu, même si la Crazilles pouvait sentir son regard sur son corps, même à travers ses lunettes. Qu'est-ce qu'il pouvait bien reluquer ainsi ? Marmelade n'allait pas lui poser la question pour éviter encore une autre histoire loufoque. En attendant, elle devait mettre les choses au clair sur cette situation. Essayer de lui faire entendre raison ou de le tromper… Ce n'était pas dans les habitudes de Marmelade d'utiliser la tromperie, mais avec cet allumé, c'était peut-être la meilleure des choses à faire.

Elle devait réfléchir comme il faut avant de se jeter la tête la première sur cette piste. Bien choisir ses mots, jauger le respect qu'il donnait aux braconniers qu'il nommait dieux. C'était une histoire bien compliquée, où elle devait jouer finement si Marmelade voulait mettre Eugene dans sa besace pour la suite de l'aventure. Elle allait commencer à parler quand il reprit la parole juste avant, il n'y avait donc jamais de bouton pour le stopper. Il recommençait son délire, en parlant de ses terres, du canapé sûrement et s'attendait à un grand monologue quand pour une fois, il démontra un peu de logique dans ses propos. Un tatouage avec écrit retrouve-la ? La teinte des yeux de Marmelade changeait encore une fois de couleur sous les idées qui s'engouffraient dans sa tête et cet indice allait peut-être devenir la clé pour s'échapper.

- Je t'arrête tout de suite je ne suis pas celle que tu cherches. Marmelade n'était pas folle à prendre la place d'une inconnue. Il fallait savoir quand s'arrêter quand elle jouait avec le feu.

- Mais je peux peut-être t'aider à la retrouver, mais pour ça il faut que tu m'écoutes attentivement.

Le plan allait se mettre en place, Marmelade marchait sur des oeufs, elle n'avait que des idées confuses dans la tête, mais ce n'était pas le moment de renoncer. Il faut battre l'abruti pendant qu'il est chaud et là, Eugene était brûlant.

- Je vais te raconter la vérité Eugene, elle ne va pas être facile à entendre. La Crazilles décrochait son dos du canapé pour se pencher en avant, retrouvant l'homme à ses pieds. Elle tendit une main en avant pour lui offrir s'il désirait la saisir en guise de soutien. Sa poitrine bien entendu suivait le mouvement, se retrouvant à balancer comme un pendule hypnotique pas si loin de son visage comme elle se retrouvait penchée en avant.

- Ceux que tu vois comme des Dieux ne sont que des imposteurs. Je ne sais pas comment ils ont réussi à troubler autant ta mémoire, pour que tu oublies qui sont les véritables idéaux qui peuplent les terres à l'extérieur. Mais là n'est pas la question. Ces personnes que tu vois comme des Dieux sont de dangereuses personnes, il ne faut pas leur faire confiance. Ils t'ont seulement jeté dans un trou pour que tu ne puisses pas savoir la vérité, que font-ils à part te jeter des graines quelquefois dans la journée et se moquer de toi ? T'ont-ils déjà prouvé qu'ils étaient des Dieux ?

Marmelade glissa son autre main vers son visage pour y déposer son index sur sa bouche. C'étaient des questions, mais elle n'attendait pas une réponse, surtout venant de lui.

- Tu ne t'es jamais demandé s'ils ne t'avaient pas enfermé ici pour t'empêcher de retrouver LA personne que tu recherches ?

Voilà de quoi normalement semer le doute dans son esprit en plus de tout ce qu'elle avait dit avant. C'était un bon levier qui devrait lui faciliter la tâche pour la suite. Elle laissait son doigt sur ses lèvres pour ne pas se faire couper, il fallait mieux déballer le plus d'informations qu'elle jugeait importantes sortir.

- Je ne sais pas qui tu es réellement Eugene, mais moi Marmelade je suis une véritable Déesse et je peux te le prouver pas comme les imposteurs en dehors de ce trou.

Les choses sérieuses allaient commencer pour lui en mettre plein les yeux, s'il était content avec quelques châtaignes et des groseilles, il n'allait pas être déçu.

- Regarde.

Marmelade enlevait son doigt de sa bouche et retirait l'autre main qu'elle lui avait tendue. Redressant son dos, la Crazilles leva les bras vers sa chevelure pour commencer à chercher quelques fruits à coque qui s'y cachaient ainsi que des tiges minuscules. D'apparence cela avait l'air bien sec, elle regroupa ses mains en formant un creux avec les éléments qu'elle avait piochés à l'intérieur pour lui présenter. Fermant les yeux, levant la tête vers le haut, Marmelade se mit à marmonner. En communion avec la nature, elle pouvait parfois avoir la chance de lui demander quelques services, Minimes, faire apparaître des liens pour briser une prison, c'était bien trop beau. Une douche chaleur émanait du corps de la Crazilles, les odeurs fruitées qu'elle dégageait se montraient plus fortes, son visage semblait si détendu, mais là n'était pas l'importance. Au creux de ses mains où la nature morte reposait, c'était la vie qui allait se créer.

Les noix noires reprenaient de la couleur, comme pour les glands et la châtaigne. Les tiges se mettaient à bourgeonner une palette de couleurs dans ses paumes jusqu'à faire apparaître des fruits au point que tout déborde pour tomber aux pieds de la Crazilles.

- Voici pour toi. Et si tu m'aides à sortir d'ici, je te promets de t'en donner autant que tu le souhaites. Le cadeau d'une soi-disant Déesse, bien entendu tout était comestible, s'il avait des doutes, Marmelade prendrait l'initiative de les goûter.

- En plus comme je te l'ai dis, je t'aiderai à trouver une piste pour la personne que tu recherches.

Les idées étaient annoncées, si Eugene suivait la voie offerte et que les deux arrivaient à sortir, elle n'allait pas revenir sur sa parole. La Crazilles l'aiderait vraiment dans sa quête, en attendant elle devait voir comment il allait réagir à cette vague d'information. Peut-être qu'elle venait de le submerger, ou cela fera l'affaire d'un électrochoc. Si ce n'était pas le cas, elle avait encore quelques tours à lui présenter comme sa capacité pour changer de forme. Mais il semblait attiré par la nourriture, c'est pour ça qu'elle en profitait pour lui offrir un petit festin évitant au passage de se faire manger dans la nuit.

Eugene Erik:
Toutes les forces de la nature coalisées, même affairées à commettre des miracles flagrants, ne pouvaient venir à bout de la crédulité forcenée d’un seul homme. Peut-être avait-elle insufflé la vie dans ce qui s’en trouva dépourvu, mais pareil tour de force, pour prodigieux qu’il fut, n’avait aucune emprise sur un profane invétéré. Habité par le zèle du nouveau converti, jamais Eugene ne se serait détourné du chemin tortueux de sa foi. Pas pour si peu ; pas pour deux noix et trois branches régénérées.

- Mouais. Je dis pas. C’est un début. Je suppose

On eut cru, à le voir si peu convaincu et apparemment blasé de la merveille accomplie sous ses yeux, qu’il chercha presque à ménager la déesse présomptive afin de ne pas la vexer. Bien que témoin d’un miracle manifeste, un qui justifia amplement l’intérêt que portèrent les braconniers à l’endroit de cette nymphe sylvestre, le fervent aux lunettes noires ne trouva pas là matière à apostasier.
En dépit qu’il se trouva présentement bien dubitatif, la sylphide avait pourtant manqué de peu de faire au moins chanceler ses croyances, et sans que le surnaturel prit part à l’affaire. Si proche qu’elle s’était trouvée de lui, son arôme fruité, intense de mille senteurs capiteuses, avait d’abord obscurci ses songes. Cela, tant et si bien qu’elle avait, à son corps défendant et défendu, exercé sur Eugene une ascendance somme toute narcotique au point d’assouvir toute emprise sur lui. Cette désinvolture insolente avec laquelle elle avait posé l’index sur ses lèvres, de surcroît, n’avait que mieux prononcé la sujétion de son camarade d’infortune. Mais, qu’elle approcha tant de son visage deux mamelles panachées de couleurs multiples, à commencer par celles des deux proéminences rosies par une nature aguicheuse ; tout ça ne contribua que mieux à l’achever. Perdu qu’il se trouva entre quelques fragrances irréelles et un érotisme larvé, Eugene avait manqué de peu d’abjurer.

Mais la nymphe se trouva apparemment aussi ignorante des bagatelles de la volupté qu’Eugene se trouva quant à lui ingénu de pareilles réjouissances. Son amnésie l’avait en effet privé de sa copieuse érudition en la matière. Seule la mémoire de ses sens, émoustillés par l’innocente promiscuité qu’était la leur, suggérèrent à ses bas instincts quelques insinuations obscènes qu’il ne sut interpréter. Que ce fut l’un ou autre, aucun ne tira profit des prouesses hypnotiques que permettait si bien la nature.

Ainsi qu’il fut à la fois témoin et victime d’une sensualité que sa codétenue n’exprimait que malgré elle, une excitation sans exutoire avait fait bouillonner le profane jusque dans ses recoins les moins avouables. D’abord accroupi, puis tombé sur le séant après qu’elle se fut penchée vers lui le temps qu’elle s’adressa à lui, le bougre accusait une protubérance manifeste cherchant comme à s’échapper hors de ses linges.
Cette magie qui ne disait pas son nom, lascive qu’elle fut sans avoir pourtant cherché à l’être, avait assuré un empire certain de la déesse des bois obscurs sur un potentiel adulateur. En usant d’un rien, la Crazille avait dompté un mâle rien qu’en laissant apparaître à sa portée quelques convoitises affriolantes. De son doigt doux et glacé, elle l’avait tenu en respect sans savoir que pareille démarche s’avéra indécente en diable. Puis, il avait fallu qu’elle rompe le charme. Car de tous les fruits qu’elle recueillit sans sa crinière, aucun n’étaient à même d’égaler ceux dont la nature l’avait déjà gratifiée.

Distrait qu’il fut soudain par la prestation miraculeuse de ces noix et brindilles qui renaissaient, Eugene était revenu à la raison. Si l’on put toutefois qualifier ça ainsi. Alors qu’il croqua sans conviction dans un des fruits venus éclore fabuleusement aux pieds fluets de la déesse, on put jurer que les dieux s’étaient rappelés à son bon souvenir. Ce même « bon » souvenir qui lui glissait des méninges à raison d’une fois par jour.
Renier sa foi en ces dieux qui n’en étaient pas au prétexte qu’elle lui avait fourni des preuves incontestables ? C’était décidément trop en attendre de lui. Car il n’était nul besoin de souscrire à quelconque preuve que ce fut dès lors où on se targuait d’avoir des certitudes. La raison n’était en effet d’aucun secours à ceux qui en faisaient usage sur ceux-là même qui s’en trouvèrent dépourvus.

Pire encore, alors qu’il fut extirpé de ses songes enfiévrés, après que ses sens furent si bien troublés par la nymphe et ce, jusqu’au son de sa douce et délicate voix, Eugene crut comprendre de quoi il en retournait. Il comprenait à présent que si les dieux lui avaient jeté si belle plante, ce fut précisément afin qu’elle l’enjôla pernicieusement, qu’elle le détourna de sa foi ardente. Les dieux, par cet instrument somptueux, cherchaient en réalité à ébranler ses convictions ; à tester sa dévotion en eux. De ce raisonnement bancal, Eugene en était à présent persuadé.

Qu’elle l’émoustilla si bien et qu’il se sentit tant à l’étroit dans ses sous-vêtements par sa faute ne le conforta que mieux dans cette nouvelle lubie. À n’en point douter, ce qu’il éprouvait en la présence de la sylphide constitua la marque incontestable d’une malédiction qui lui remuait la chair sans qu’il ne put le contrôler. De cette affliction libidinale, cette diablesse des bois en était la cause ; il n’avait à présent aucun doute à ce propos.
Eut-il alors cherché à combler ces appétits nouveaux qui le tourmentaient – bien qu’il ne sut trop comment – qu’il aurait alors failli les dieux et annihilé jusqu’à sa croyance en eux. Ce test qu’ils lui soumettaient, il le relèverait avec honneur. Du moins aussi honorablement qu’il lui fut permis d’agir en étant aussi crétin.

- Huhuhu… ricana-t-il content de lui tout en remettant ses lunettes sur son nez d’un mouvement d’index précis. Naïve que tu es. Je vois bien à travers ton petit jeu, sorcière !

La Crazille, pourtant, ne jouait à rien, cherchant plutôt désespérément à quitter cette cage souterraine à laquelle on l’avait réduite. À travers ce « petit jeu », Eugene y voyait en réalité aussi clair qu’on le put au travers de ses lunettes noires.

- Tu cherches à me perdre pour que je n’aie pas accès au ciel à ma mort, que mon âme hante à jamais la Grande Fosse. Bien joué, j’avoue, bien joué.

Eugene léchait en plus l’espoir, dans son dogme insane, d’atteindre lui aussi les dieux, là-haut dans les cieux, lorsqu’il s’émanciperait de sa carapace mortelle. Car, du seul fait qu’il apercevait les dieux en contre-plongée avec le ciel comme seul panorama, le captif avait été conduit à penser que les braconniers vivaient littéralement dans les cieux.

- Pour qui tu me prends, tu crois que je vais être impressionné par un peu de verdure, là. T’as… t’as juste changé la couleur des châtaignes, voilà tout. Moi aussi je peux le faire en les passant au feu.

On ne sut alors trop dire si, pour l’heure, Eugene se trouva plus crédule qu’incrédule alors qu’il relativisait rien moins qu’un miracle. Sans doute la ravissante Crazille l’aurait-elle d’ailleurs volontiers jeté au feu afin qu’il changea lui aussi de couleur et d’attitude.

- Les dieux, les vrais, vivent en dehors de la Grande Fosse. Pas toi. Eux, ils ne changent pas la nourriture avec des… des effets de manche, là. Non ! Eux, la bouffe, ils la font pleuvoir de nulle part. Et toc.
À part mal les copier, tu sais faire quoi au juste, sorcière ?

Il lui avait préféré le sobriquet de « sorcière » à  celui de« tentatrice », ne souhaitant pas dévoiler les idées roses venues lui encombrer un esprit aussi passablement tourmenté qu’Eugene se trouva encore à l’étroit dans son futal. Son esprit était en effet toujours en proie à des aspirations plus roses encore que pouvaient être les yeux envoûtants de l’afficiant fléau avec lequel il partagea l’oubliette.

Il se crut bien malin de la mettre ainsi au défi, bien que les charmes irrésistibles de la beauté sylvestre – qu’elle exprima pourtant malgré elle – constituaient un envoûtement en soi. Un auquel Eugene ne fut certainement pas insensible, quoi qu’y résistant opiniâtrement malgré ce que la lubricité lui hurlait jusqu’au dessous de sa taille. La mémoire de sa chair, alors, persistait à lui évoquer quelques réminiscences impudiques compte tenu des circonstances.
Comment au juste la malheureuse Marmelade le persuaderait-il, cet illustre imbécile, de se joindre à elle pour entreprendre une tentative d’évasion en commun. Rendus à l’état de prisonniers au fond d’une cuve, il ne faisait alors pas un pli qu’ils ne pourraient pas s’en sortir l’un sans l’autre.

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