Gertrude & Tengen. La douleur est belle et bien présente. Je douille. L'affrontement a été tout ce qu'il y a de plus colossal, et je ressens cette douleur dans le moindre de mes muscles. Je sens une plaie au niveau de mon crâne tant le sang s'est mis à couler. En titubant, je trouve un appui certain contre un gigantesque chêne, non loin d'un champ. Je subis le poids de mon propre corps avant de m'écrouler contre ce dernier. Le petit matin va arriver et pour l’instant il n’y a que la lune qui est dans le ciel. Je sais bien que dans des villages reculés, d’autres assurément doivent contempler cette lune. Qui jamais quel veilleur revendique la nuit… Au vent invisible de la montagne, très fort le cri d’un cerf frémit au fond du cœur, et quelque part un rameau laisse tomber au creux de ma main…une unique feuille. Une feuille si verte qu’elle serait invisible dans l’herbe. Je percevais tout ce qui m’entourais, et cela avec acuité : le ciel noir ou à moitié gris, l’air humide du dixième mois, le vent glacé qui annonçait l’hiver et ce qui me rappelais que si je ne survivais pas à mes blessures, je ne reverrais peut-être « jamais » la neige, ni le cri enroué d’un cerf dans le lointain ou l’envol tumultueux et les appels rauques d’une bande de corbeaux dérangés par le fugitif.
Le filet du ciel était vaste mais ses mailles étaient aussi serrées. Un coup de vent balaya la feuille qui dormait dans ma main et ainsi cette petite feuille verte retrouva la liberté. Je savais Hina, Makio et Suma en sécurité, c'était le plus important à vrai dire. Levant les yeux, j’observais les branches du chêne qui se déployaient au dessus de moi et semblaient toucher le ciel. L’arbre était imprégné d’une majesté presque sacrée. En le contemplant, je sentis mon propre esprit s’élever vers les hauteurs. Mon imagination envisagea un monde ignoré de moi, qui s’étendait autour de moi et que je n’avais jamais remarqué. Des toiles d’araignées tendues entre les brindilles brillaient grâce à la luminosité qui émanait de la lune. Des insectes bourdonnaient autour de l’arbre et des oiseaux voletaient en gazouillant parmi ses feuilles. Et la vie de l’été se détachait sur le fond immuable du chant des cigales.
Pour ces insectes, le chêne était un monde complet où ils trouvaient de quoi se nourrir et s’abriter. Je sombrai alors dans une sorte de rêve éveillé, bercé le soir frais et de ses bruits innombrables. Quand je fermais les yeux, je voyais encore le dessin des feuilles noires sur un fond rouge. Je laissais mes yeux se clore, convaincu d'avoir sauvé mes épouses, elles sauront vivre avec les préceptes que je leur ai inculqué. Pourtant, le sommeil m'a semblé si court que lorsque j'ouvris les yeux - je me suis surpris à être encore en vie. Et ma réaction, aussi justifiée soit-elle, fut de manifester un sursaut en dehors d'un lit. En cernant la présence d'une personne à mes côtés, la vue embrumée, ma main droite épaisse se saisit de la gorge de cette personne que je soulevais aussitôt. « T'es qui toi ? J'suis où ? » J'espérais être intimidant même si je ne percevais pas totalement la forme de la personne, et elle se dessinait petit à petit. Je remarquais cependant que mon corps était couvert de bandages à des endroits bien distincts... là où j'ai été blessé. Est-ce que je venais d'être sauvé ? Cette pensée me força alors à libérer la personne de mon emprise physique. Restant assit sur le lit, je sentais quelques douleurs serpenter encore entre mes muscles, mais clairement atténuées.
« Tu viens d'me sauver ? »