La nuit était l’un des meilleurs avantages qu’un guerrier pouvait avoir lorsque, contrairement à son ennemi, il était préparé à un combat.
Serenos I Aeslingr, dit le Sombrechant, Roi de Meisa, était, depuis la chute de la Dynastie des Ivory de Nexus, le principal opposant aux armées d’Ashnard en tant que principal chef militaire de l’Alliance des Royaumes Indépendants. Le souverain de Meisa avait depuis concentré les efforts de l’Alliance sur le supercontinent pour forcer l’Empire à se retirer sur ses terres, mais il y avait toujours un général ou un commandant militaire qui cherchait à profiter d’un relâchement pour narguer les troupes, et c’était là que Serenos entrait en jeu.
Avec les vestiges de l’Armée de Nexus, désormais sans commandant depuis la disparition d’Elena Ivory, Serenos avait pris le chemin de la campagne pour couper l’avancée du Lieutenant-Général Saurèche, un homme dont la réputation était aussi répandue que la violence qu’il propageait. Pour se faire, le Roi de Meisa mena les troupes de Nexus sur les Plaines d’Argent, tout au sud de la Cité-État et les positionna en amont des collines qui les ceinturaient, attendant l’arrivée de leur ennemi. Sur un tel promontoire, le vent était sans merci, soufflant violemment sur les troupes stationnées comme si la nature elle-même cherchait à les décourager et les renvoyer chez eux. Et pour être franc, le sentiment de désespoir ne leur était que trop familier ; depuis la perte de la grande dynastie qui les avait vu prospérer, beaucoup de Nexusiens voyaient le conflit contre les Ashnardiens comme n’étant rien d’autre qu’une défaite tardive, peu ayant encore le feu et la conviction de devoir tenir le coup contre l’Empire, certains même militant pour que les nobles de Nexus soumettent une reddition à l’Empereur d’Ashnard, chose impensable du temps des Ivory.
Une heure passa.
Certains soldats commençaient déjà à s’assoir et à se couvrir avec leur bouclier pour s’épargner la colère des éléments. Serenos avait lui-même posé le pied à terre, et rabattu son capuchon sur sa tête pour se protéger des intempéries. Il jeta un coup d’œil vers le capitaine Modregal, lui-même tremblotant contre sa monture.
« Modregal ! cria Serenos pour être entendu au travers du rugissement venteux. Modregal ! Répondez-moi !
- Quoi ?! répliqua le capitaine.
- Êtes-vous certains que les Ashnardiens passeront par ici ?
- Les éclaireurs sont formels ! Il n’y a pas d’autre chemin ! Ils ont tout brûlé jusqu’ici, ils ne vont pas s’arrêter sans au moins piller le Fort Sainte-Hélène ! »
Stratégiquement, c’est vrai qu’ils n’avaient pas vraiment d’autres options, sinon rentrer bredouille après une campagne qui durait depuis plusieurs mois et à peine quelques villages pillés comme preuve de leur passage. Accordé, cela aurait pu être une excellente provocation, mais cela allait à l’encontre de l’esprit militaire d’Ashnard, surtout pour un Lieutenant-Général.
C’est alors que quelque chose attira l’attention de Serenos.
Une corne d’appel, provenant du sud-ouest. Deux fois. Une alerte. Le cor venait de loin, mais les vents avaient porté le son sur une grande distance.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda le Roi, à l’attention du capitaine.
- Hein ?
- J’ai dit ; qu’est-ce que c’est que ça ?
- Je ne vous entends pas !
- Mais ce n’est pas possible d’être bouché à ce point-là ! Vous êtes sourd !?
- Qui ça, qui est sourd ?!
- Oh, merde, à la fin ! »
Le Roi monta immédiatement en selle et agrippa sa corne et souffla bien fort pour essayer de percer le vent et forcer ses troupes à bouger. Selon les cartes, il n’y avait rien au sud-ouest, et aucune raison pour qu’une force militaire ne s’y trouve, mais si quelqu’un avait user d’un cor, cela ne voulait dire qu’une chose, c’est qu’il y avait, contrairement à sa théorie initial, quelque chose qui pouvait être d’intérêt pour les Ashnardiens. Trois unités de cavalerie s’élancèrent à sa suite, bientôt suivit par les fantassins, les chevalier-capitaines et les archers. Bien que la cavalerie arriverait rapidement à destination, les autres unités n’arriveraient qu’en décalé.
C’est alors qu’un son explosif parvint aux oreilles du Roi, ainsi que celles des autres unités.
« Qu’est-ce que c’était ? »
« Un tir de fusil, seigneur ! »
Les fusils, Serenos connaissait surtout de nom. En raison des matériaux volatiles et du manque de fiabilité des armes, et le peu d’artisans capable de les produire, elles n'étaient pas bien répandu. Les rumeurs colportaient même que ce genre d’armes rendait la plupart des armures obsolètes, pouvant perforer même une armure lourde à bout portant. C’était une arme qui, sur le long terme, pourrait changer le monde, mettant entre les mains du commun des mortels une capacité létale égale voire même supérieure à celles des mages.
Serenos savait que les Ashnardiens méprisaient ce genre d’armes au niveau militaire, préférant de loin la mêlée. Il se dit que quoi que ce soit qui utilise cette arme, les chances étaient relativement bonnes que cela ne soit pas un ennemi. Une fois arrivé à l’orée de la forêt, Serenos et ses cavaliers mirent pied à terre et s’enfoncèrent dans les bois, armes tirées. Le Roi, plus rapide que ses semblables, ne tarda pas à les distancer, s’enfonçant de plus en plus profondément en direction des coups de feu, jusqu’à apercevoir des lumières de torches et une jeune femme, seule, armée et faisant face à un groupe de trente hommes en armure noire. Il ne perdit pas de temps et s’élança rapidement, concentrant sa magie sur ses pieds avant de bondir, tirant un grappin et le lançant devant lui pour se balancer au-dessus des troupes armées, au centre desquels il atterrit, entrainant avec lui un grand gaillard en armure armé d’un marteau de guerre.
Le Roi de Meisa se redressa, faisant face aux hommes armés. Ceux-ci, surpris, jetèrent un coup d’œil au nouveau venu, puis aux alentours, comme s’ils s’attendaient à voir débarquer d’autres soldats volants, avant de ramener les yeux vers cet intrus.
Serenos tira son épée.
Les hommes éclatèrent de rire, pointant l’imprudent qui semblait les défier, tout seul contre trente hommes plus les renforts qui ne tarderaient sûrement pas à suivre. Alors qu’ils commençaient à s’approcher, Serenos agrippa une poignée de neige poudreuse et la lança dans les airs ; la neige émit alors une forte lumière, celle-ci aveuglant alors le groupe.
Le Roi profita à nouveau de la surprise pour démarrer son assaut. Sans attendre, il enfonça sa lame dans le casque du premier soldat venu, l’acier enchanté perforant la protection comme si elle n’était qu’une simple calotte de tissus, et flanqua un coup de pieds dans son torse, avant de bondir de l’autre côté du cercle qui le séparait de la jeune femme. Il lui prit alors fermement la main et la tira à sa suite.
« Venez ! » lui intima-t-il.
Alors que le Roi la tirait avec lui, les vingt-neuf soldats se remettaient de leur surprise et le commandant de la troupe pointa vers les fuyards.
« Rattrapez-les ! Ils ne doivent pas sortir de cette forêt vivant ! Grouillez-vous ou Saurèche aura votre peau ! »
Au moins, fit une voix dans son esprit. Je suis rassuré ; je ne me suis pas trompé, ce sont bien des Ashnardiens.
Alors que le duo prenait la fuite, un son leur vint ; des aboiements. Des chiens. Sachant qu’à ce rythme, il ne pourrait pas distancer des animaux entraînés, le Roi poussa la femme en rouge devant lui.
« Continuez à courir. Vous devriez rencontrer des troupes si vous allez dans cette direction et… Merde. »
Les aboiements étaient juste derrière eux. Il eut tout juste le temps de lever le bras et l’une des bêtes lui sauta dessus, plantant ses crocs dans son avant-bras. Le Roi tomba, mais dans sa chute, il remarqua le second chien qui tentait d’attaquer la femme, et il parvint à l’agripper par la peau du cou et l’entraîner dans sa chute. Le second chien heurta le sol et se débattit pour se déprendre de la main du Roi alors que l’autre enfonçait ses crocs toujours plus profondément dans son bras. Serenos hurla de douleur alors qu’il sentait le muscle se déchirer sous les canines du chien. Il banda le bras et, dans un réflexe qui relevait plus du désespoir que d’un entraînement militaire, se servit du second chien pour frapper le premier. L’impact fut assez brutal pour le désarçonner et le forcer à reculer, relâchant le bras du Roi, qui saignait abondamment.
Le Roi haleta de douleur, tenant son bras droit contre lui, avant de se pencher et de reprendre son épée dans la n… ah, non, c’était une branche. Mais une bonne branche. Mais pas assez bonne pour tuer un chien.
« Va chercher ! » dit-il en lançant la branche plus loin.
Les chiens regardèrent la branche s’envoler, mais ne fit aucun geste pour aller la récupérer, avant de le regarder avec ce qui devait être un regard d’incrédulité, version canine.
« Non, moi non plus, je n’y croyais pas. »