"Kensley-san, il n'y aura plus d'erreur, je vous le prom..."
"Six fois, Saoto. Six fois que vous me faites le coup. Non. Vous avez eu votre chance. Dès demain... non! Dès cette même minute, je veux que vous, et vos bouffons, vous me libérez les locaux, c'est compris?"
"Ken~~"
Il ne voulait rien entendre. Il raccrocha le téléphone avant que Saoto ne tente encore de se justifier. L'industrie videoludique était un nouveau département qu'Hadrian avait fait ouvrir à la demande insistante de ses conseillers, qui y voyaient une opportunité pour leur entreprise de se développer dans de nouvelles voies. Eh bien, voilà le résultat. Il confie le travail à Saoto et lui donne cinq ans pour rentabiliser son investissement. Cinq ans pour lui prouver que cette nouvelle initiative n'était pas une pure perte de temps, mais voilà sept ans que le département est ouvert, à bouffer les ressources des autres industries sous son contrôle. Ce que Saoto et ses conseillers ne semblaient pas avoir compris, c'est que le développement, dans ce domaine, nécessitait des experts, des gens qui avaient non seulement une passion mais également une formation pour réaliser des projets que les gens normaux ne pouvaient pas faire. Et le voilà, sept ans plus tard, plus de deux millions de dollars dans les poubelles, avec des promesses de sortir un jeu qui, finalement, ne sortira jamais.
Il s'installa sur sa causeuse et se passa un main sur le front. Étant vampire, il n'était pas possible pour lui de suer ou d'être pris de panique, puisque cela nécessitait de produire un liquide et des hormones que son corps ne sécrétait plus depuis des années maintenant. Assise à quelques mètres de lui, le nez dans son ordinateur, la petite Lilyanne leva la tête, cessant enfin de taper sur les touches de son ordinateur.
"J't'avais dit," qu'elle lâcha finalement après une minute de silence
"Je sais que tu me l'as dit."
"Ca prend des pros."
"Je sais."
"Ca prend des ressources."
"Je sais."
"Tu vas faire quoi, maintenant?"
"J'sais pas. Sortir un nouveau film, j'suppose."
"Quand?"
"Dans un an, j'dirais."
"Okay."
"T'as pas envie."
"Non."
"T'en as marre."
"Yep."
Elle se redressa alors et se poussa du canapé, tombant sur ses petits pieds, avant de s'approcher d'Hadrian et de lui montrer son ordinateur.
"Regarde."
Retirant sa main de son visage, il tourna lentement la tête vers l'écran. Il cligna un moment des yeux, avant de s'asseoir et de prendre le portable sur ses jambes. Lorsque sa vue s'ajusta, il vit une maison.
"On a déjà une maison."
"C'est pas pour acheter. C'est une maison d'hôte."
"Je veux bien, mais pourquoi tu me la montres?"
"C'est un endroit pour se relaxer, Hadrian. Et j'crois que t'en as besoin. C'est reculé, c'est calme, et ce n'est pas hors de prix. En plus, il y a un onsen dedans. À quoi bon vivre au Japon si on n'en profite jamais?"
Il se gratta la tête. Elle avait un bon point. Depuis son arrivée sur les terres nipponnes, il n'avait presque jamais quitté le centre-ville de Seikusu. Il s'était quelque fois rendu à Tokyo, ils avaient fait une brève visite à Kyoto, mais comme la présence du Sabbat était très forte dans les deux villes, ils s'étaient résolus à rester sur leur domaine, par pur instinct de survie. Cependant, que ce soit pour la présence d'autres vampires, qu'ils soient hostiles ou non, ou de créatures autres, le Japon restait quand même relativement calme, et qui plus est, il serait surprenant qu'il tombe sur quelque chose de plus dangereux que lui-même. Et puis, il avait besoin de prendre un peu "d'air", de changer d'environnement, ne serait-ce que pour s'empêcher de déambuler dans les rues, trouver Saoto et le vider de la dernière goutte de son sang.
Les petits yeux de Lilyanne ne tardèrent cependant pas à avoir raison de la volonté du maître vampire. Il roula des yeux et déposa l'ordinateur avant de prendre le téléphone et de composer le numéro affiché sur l'annonce. À chaque pression de bouton, il pouvait voir l'excitation grimper chez la jeune vampire, qui aurait presque sautillé de joie si elle ne craignait pas que le moindre son risquait de le faire changer d'avis. Après avoir composé le numéro, il entendit une voix à l'autre bout du fil. Il parla un peu avec la demoiselle et réserva deux chambres de la maison d'hôte pour une vacance prolongée. Sur la durée du séjour, il se contenta de mentionner qu'il paierait généreusement pour chaque jour supplémentaire. Après avoir réglé la réservation, il regarda la jeune vampirette.
"Voilà. Contente?"
"Moi? Toujours!"
Le maître vampire roula des yeux.
**Le vendredi suivant. 19h.**
"Monsieur Kensley?"
"Hm?"
"Nous sommes arrivés, monsieur."
"Toujours du soleil?"
"Non, il fait nuit noire, monsieur."
"Parfait."
Évidemment, son arrivée était fort tardive. Après tout, il ne pouvait pas arriver, comme n'importe qui de normal, vers midi, alors que le soleil brillait et menacait de le transformer en un ravissant petit tas de cendres. Non, il devait se la jouer riche homme d'affaire qui semblait avoir un mal de fou à respecter les horaires des autres. Ceci dit, il tâchait bien de se garder de rendre l'expérience plus désagréable que nécessaire. La plupart de ceux qui l’accommodaient se retrouvaient, le plus souvent qu'autrement, gagnant de cette rencontre.
Nagata ouvrit finalement la porte de la limousine, laissant les deux locataires débarquer, avant de s'empresser d'aller chercher les valises soigneusement entreposés à l'arrière, ainsi que deux grands sacs noirs.
Comme toujours, Hadrian portait un complet noir, mais Lilyanne avait d'autres idées en tête. Si elle allait passer quelques temps dans une demeure japonaise traditionnelle, elle allait jouer le personnage jusqu'au bout, et hors de la voiture jaillit une jolie jeune demoiselle habillée de la tête aux pieds avec un kimono, les cheveux proprement attachés et une petite bourse à la main, un accoutrement qu'elle ne sortait normalement que pour les festivals.
Le maître vampire et son acolyte s'approchent alors de la demeure et se présente à la réception.