Ville de Seikusu, Kyoto, Japon, Terre > Bureau de la direction et infirmerie

Le laissez-passer A-38 | Damien, Enothis

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Damien Thorn:
Le laissez-passer A-38
ou l'Enfer administratif, Acte premier
Damien Thorn | Enothis/Emaneth
" Tout ce que je sais, moi, mademoiselle, c'est qu'il y a un soucis dans votre dossier et que vos droits sont bloqués. C'est tout ! Vous devez appeler le bureau des litiges. Je vous note le numéro, là. Elle est contente ? "

Le fonctionnaire n'avait pas été très aimable envers elle, mais Enothis était venue avec l'empressement désespéré d'une étudiante isolée en danger lorsqu'elle avait réalisé que sa bourse n'arriverait pas ce mois-ci. Elle repartait avec, en plus de ça, de la frustration et de la colère à revendre. Non seulement elle n'avait reçu aucune réponse, mais les gens avaient été extrêmement désagréables et absolument pas intéressés à l'idée de faire un geste pour l'aider.
Silencieux, l'oreille tendue à l'extérieur du bureau des bourses, Damien Thorn avait écouté avec un sourire discret, et avait regardé Enothis repartir avec satisfaction avant de la suivre, à bonne distance.

Il avait commencé à s'intéresser à cette belle inconnue au teint halé dès l'instant où il avait posé ses yeux sur elle ; mais il avait été difficile de la cerner. Fils du Diable, Damien Thorn pouvait sentir les vices et péchés des mortels mais n'avait senti chez elle qu'un ersatz diffus de peurs et de doutes ; rien de concret, comme si elle avait été autre chose, ou une parfaite innocente -ce qui aurait été une première-.
Logiquement, le cas d'Enothis Anekthotem était devenu son nouveau hobby. Connaissant les langues anciennes et l'occulte, il avait immédiatement été interpellé par son nom. Dans l'Egypte actuelle, après 1300 ans de brassage arabe et islamique et, encore avant, 1000 ans de brassage hellénique et gréco-romain, les souvenirs de l'Egypte antique n'existaient plus que dans des ruines longtemps oubliées. A lui seul, le nom avait été un indicateur, le signal que quelque chose se cachait derrière elle.
Sans assimiler les dieux égyptiens d'antan à Satan, les sectes occultistes avaient entre elles certains liens et une toile d'intérêts partagés reliaient les éléments du monde interlope se dédiant aux dimensions divines et infernales. Il avait donc demandé aux Disciples de se renseigner.

Lorsqu'il avait fini par recevoir un rapport sur le cas d'Enothis, il l'avait parcouru avec un mélange de surprise et de jubilation et s'était assuré que l'enquête avait été menée avec discrétion. Il avait été difficile d'obtenir les informations en conservant au moins trois degrés de séparation avec le Chœur du Créateur et les disciples d'Hermann Turich, mais la discrétion avait été la plus haute priorité.
Il avait été possible de confirmer les faits par trois autres sociétés sans liens et l'enquête administrative ayant suivi avait garanti que l'Egyptienne n'était apparue que tout récemment, et que ses papiers étaient tous faux.
Dès lors, un plan méphitique était né dans l'esprit vicié de l'Antéchrist.

Retour au présent.

Enothis s'était arrêtée devant un mur de distributeurs dans une salle d'attente. Impossible de savoir si elle songeait à manger ou boire quelque chose ou si elle allait juste finir par s'asseoir, ou si elle errait en songeant, sans but, et elle ne tarderait pas à repartir.
Quoi qu'il en soit, Damien attendait l'instant où il lui serait possible de l'aborder sans avoir l'air trop entreprenant. Il s'avança donc en silence et, se raclant la gorge avec un semblant d'hésitation, il s'adressa à elle presque dans un chuchotement, pour préserver l'intimité de leur conversation et la pudeur de son malaise.

" Ils avaient l'air durs avec toi, au bureau. Ca va ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ? "

Enothis/Emaneth:
Petit pourceau arrogant, face de mouche, pustule irritable sur sa bonne conscience, le fonctionnaire qui lui faisait face avait été le pire des hommes qu’elle n’avait jamais eut l’occasion de rencontrer. Ce rat à la mine fine et au teint pâle n’avait jamais cesser de l’ignorer, quelque soit son entreprise, ses propos, et quand l’égyptienne était parvenue à lui tirer plus de deux mots sur le cas de son dossier, c’était à peine si il n’avait pas jouer d’orgueil, la prenant de haut depuis son petit guichet de merde pour lui annoncer l’impossibilité d’action absolue dont il était l’objet. Elle voulait l’étrangler. Non pire, elle voulait absolument contacter Emaneth, que la Djinn jette sur lui quelques malédictions provenant des plus anciens temps, afin que cette erreur de la nature se réveille les prochaines nuits avec l’impression que quelques charançons lui dévorent les entrailles ! Premier problème, faire cela n’arrangerait rien, et même pire, cela pouvait rendre sa présence relativement suspecte pour tout les curieux qui ont à coeur de la retrouver, mais surtout … Elle ne pouvait guère communiquer avec l’ancestral esprit du désert, pour la toute simple et bonne raison que la dame, fatiguée de quelques exploits récents, étaient encore en phase de récupération au creux de son être. La lycéenne à la peau de bronze n’avait donc rien de plus que son faciès empourpré par la colère pour exprimer son mécontentement, récupérer les papiers qu’on lui tendait, puis de partir en direction de quelques sièges pour souffler un grand coup avant d’exploser. Bon sang, dire que les choses étaient si bien parties à l’origine, mais non, il fallait que ça se casse la gueule à un moment n’est-ce-pas ?

En tout cas, s’élançant d’un pas vif dans les couloirs menant aux demandes d’aides en relation avec le milieu scolaire et universitaire, qu’elle aurait d’ailleurs aimée ne jamais ré-emprunter, Enothis se remémora la situation qui l’avait amenée, ce vendredi matin, à s’occuper d’autant de paperasses. Elle avait reçue hier quelques informations particulièrement délicates par e-mail, à savoir le fait que sa demande de bourse, pourtant effective depuis maintenant deux mois, avait soudainement rencontrée une erreur qui l’empêchait de la toucher ce mois-ci, et ce faisant, qui grillait plus ou moins sa couverture monétaire. Ce n’était pas vraiment que la jeune fille était dépensière, ni sans le sou, mais elle avait cachée une bonne partie du patrimoine qui lui avait été alloué par les Choeurs du Créateur afin de dissimuler son existence dans une ville ou une autre, et se contentait majoritairement des ressources qu’elle obtenait via les bourses pour faire ses courses ou ses petits achats. Les excédents de sa vie d’étudiante cloîtrée dans son appartement à étudier étaient aussi infimes que rares, si bien qu’elle parvenait encore à ne pas se faire remarquer à piocher trop souvent dans l’argent détourné du culte, mais si elle n’obtenait pas sa couverture naturelle, c’était la porte ouverte aux abus, et donc à l’indiscrétion. Voilà pourquoi elle avait prévenue son lycée de son indisponibilité soudaine dès le matin, prétextant une vilaine grippe qui l’avait mis dans un état déplorable, et qu’elle s’était élancée, documents en mains, jusqu’à ce bâtiment où chaque intervenant qu’elle rencontrait manquait de lui rire au nez. Dieu que les adultes sont stupides…

Enfin, une nouvelle case présentation plus tard, avec une guichetière qui manqua lui dire qu’elle n’était pas dans le bon service avant d’effectivement lire son dossier, l’égyptienne se retrouva à attendre dans une salle aussi terne que le visage des employés. Trop énervée pour s’asseoir et se détendre, elle se dirigea tout naturellement vers la seule chose qui pouvait lui faire envie en cet instant, à savoir le distributeur de boissons et confiseries qui avait été installé là pour permettre aux plus impatients de donner un peu plus d’argent à l’État sans plus réfléchir à leur consommation. Ces connards savent bien que plus les gens ont les nerfs et plus ils sont capables d’agir avec irrationalité, ce qui fait que même en cette matinée de la semaine, une partie des denrées disponibles à l’achat s’étaient déjà évaporés dans quelques estomacs sûrement aussi impatient que le sien. Enothis jura en regardant les boissons, tira sa carte magnétique, puis vint presser sur les boutons « B », « 1 » et « 5 » afin que la machine lui serve une limonade japonaise au goût extrêmement chimique de Teriyaki. Le paiement accompli, elle récupéra sa boisson en grommelant, puis alla se trouver une chaise vide, s’éloignant au plus que possible des autres malheureux qui faisaient les cent pas dans la salle d’attente, puis alla s’écraser sur un de ces sièges en fer peint aussi confortable qu’un plot de signalisation. Elle aurait appréciée ne jamais avoir à venir ici, dans ces foutus murs blancs, de devoir attendre qu’ils se bougent un peu les fesses pour accueillir dans leur bureaux ceux qui l’avaient précédés, ce qui allait être une sacrée épreuve. Toutefois, alors qu’elle ouvrait tout juste sa bouteille de boisson gazeuse radioactive, elle manqua sursauter en entendant quelqu’un s’adresser à elle :

« Ils avaient l'air durs avec toi, au bureau. Ca va ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
-  Que… Je…. Euh ouais, ça va, ne vous en faites pas. On les subit tous, faut juste que je m’y habitue. »

Tournant la tête pour observer son interlocuteur, le jeune homme aux traits fins qui l’observait ne manqua pas de la surprendre un peu par sa présence en ces lieux. Bien habillé, un peu plus vieux qu’elle, il lui donnait l’impression d’avoir l’âge d’être masterant, ce qui semblait un brin illogique vu que, généralement, à ce niveau d’étude la majorité des élèves sont employés de diverses manières. Enfin, il ne faut pas juger quelqu’un à sa couverture, peut-être faisait-il plus jeune qu’il ne l’était, et en ce cas faisait partie des bureaux qui la rendait folle, soit faisait-il plus vieux, et en ce cas le pauvre était un camarade d’infortune capable de comprendre son actuelle disgrâce. Une certaine hésitation la taraudait du coup, mûe par son habitude de garder le secret sur ses soucis, de peur que la moindre information ne viennent à produire quelques contre-coups surprenant sur son identité réelle… Mais elle avait besoin de lâcher un peu de lest, de se permettre de grogner, de pester, de gronder contre ceux qui, depuis maintenant plus d’une demi-heure, s’étaient permit de la faire tourner en rond sans qu’elle n’ai jamais plus d’occasions que cela de sortir une phrase, voire un mot, qui ne soit écouté. Aussi se retourna-t-elle, se permit une grande gorgée tellement sucrée qu’elle manqua se demander si elle n’avalait pas du miel, seul le goût tout à fait indescriptible permettant de sauver la boisson, puis referma-t-elle la bouteille avant de reprendre la discussion, s’exprimant de manière assez honnête pour une fois, espérant avoir trouvée quelqu’un avec qui échanger un peu sans risque de recevoir un retour de bâton par la suite :

« J’ai juste un problème de bourse. Une erreur dans le dossier qu’ils disent. Pourtant, jusqu’ici, tout se passait excellemment bien, donc je ne vois pas ce qui aurait changé cet état de fait. Résultat je me retrouve ici à demander un rendez-vous d’urgence tandis que ces connards de l’accueil me regarde à peine et sont à la limite de me traiter de crétine quand je me tente à quelques explications. Le genre de moment où on comprends la vitre plastique autour d’eux, l’envie de cogner a tendance à apparaître au bout de quelques temps à se faire prendre pour une abrutie. »

Elle regarda le siège à côté d’elle, puis vint la tapoter de la main dans un signe invitant :

« Vous voulez vous asseoir pour discuter ? Ce sera peut-être plus agréable que de vous tenir debout derrière moi, non ? … Z’êtes là pour la même raison que moi ? Ou peut-être que je parle déjà à la personne qui va m’annoncer que je risques de ne plus voir la moindre trace de ma bourse pour les mois à venir ? Je dois vous avouer que je ne préférerais pas. J’ai besoin de ces thunes, bon sang. »

Elle rouspétait encore, mais au moins la consommation d’un peu de sucre adoucissait son caractère. Ce n’était pas que la jeune égyptienne soit tout particulièrement une amatrice de douceurs et de sodas, mais ça avait le don de calmer un peu le feu impétueux qui était né dans son estomac suite à la situation de plus tôt. Elle en reprit d’ailleurs une gorgée en attendant la réponse de cet homme, espérant bien qu’il ne lui annoncerait pas qu’elle avait raison avec sa taquinerie. Il faut dire qu’elle l’avait sortie de manière un peu abrupte, et elle espérait ne pas avoir vexé le seul interlocuteur raisonnable qui était venu échanger avec elle. Elle avait un espèce de super-pouvoir où elle parlait spécifiquement mal avec les gens qui voulaient être agréable avec elle, elle n’avait jamais sut comprendre pourquoi ? Peut-être tout simplement l’habitude d’avoir été considérée comme une divinité pendant tant d’années qu’elle n’arrivait pas à concevoir la sympathie comme un acquis dans les relations, mais une récompense pour qui se trouverait suffisamment valeureux à ses yeux ? Oui, c’était possible que cela soit la véritable raison derrière son manque d’empathie. Au moins l’analysait-elle et produisait-elle les quelques efforts pour lutter contre, quand elle en avait conscience.

Damien Thorn:
Damien avait fait usage de son sourire Colgate le plus sophistiqué et de son air le plus compatissant en l'abordant, et cela couplé au besoin de l'Egyptienne de se délivrer du poids de sa frustration avait suffi à lui ouvrir la porte. Elle avait ses raisons d'être exaspérée, car à moins de parvenir à se dépêtrer de cette sale situation son avenir dans cette école était fortement compromis. D'ailleurs, en cas de signalement, son avenir dans ce pays était compromis ; et en gardant en tête qu'on la renverrait en Egypte et que les fichiers de l'immigration nippone n'étaient pas particulièrement bien protégés, elle se retrouverait inévitablement cueillie par ses geôliers fanatiques à la descente de l'avion.
Autrement dit, il ne s'agissait pas juste de manger et de poursuivre une scolarité, mais aussi, peut-être, de préserver sa liberté.

Caché derrière un masque de bienveillance, l'Antéchrist avait, bien sûr, ficelé cette catastrophe aux mécanismes simples, à la résolution complexe et au potentiel absolument fantastique. L'approcher et se faire inviter dans son histoire n'était que le tout premier pas d'une situation qui ne manquerait pas de faire vivre à la pauvre fille un véritable enfer. Derrière l'enfer administratif, les griffes empoisonnées d'une intelligence infernale allaient se faire un plaisir de la gratter et la griffer jusqu'à s'en lasser ou la faire dérailler. Mais, dans l'immédiat, le premier objectif était de faire savoir à Enothis Anekhtotem que Damien Thorn était sa solution pour éviter la catastrophe et toutes ses conséquences dramatiques.
Et c'était bien pour ça que le jeune homme l'avait abordée, l'air de rien, sous couvert d'une honnête curiosité et d'une sincère empathie envers elle. Il avait conjugué les mimiques de surprise et d'inquiétude en entendant le bref résumé de son histoire. Il entretenait les apparences pour avoir l'air le plus choqué possible par son affaire, et se montrer véritablement consterné par sa situation. Une main devant la bouche, les yeux ronds, il finit par taper de la main sur son genou en fronçant les sourcils.

" Ha ! Ca leur ressemble bien, ça, d'exposer les problèmes sans jamais les résoudre. Si tu savais combien de fois j'ai dû porter croix et bannière contre eux pour avoir des réponses... Mais enfin : ce n'est jamais une fatalité, d'accord ? Rassure-toi ! "

Il bomba le torse comme s'il était prêt à chevaucher contre le métaphorique dragon fumant et fulminant de l'administration universitaire, et, se tournant vers la belle brune, il lui offrit de porter son honneur au bout de sa lance.
Non, il n'y a pas de métaphore déplacée ici, les enfants ! Plus tard...

" Dis-moi : est-ce que tu connais au moins le problème ? Je souhaite t'aider, mais je dois savoir de quoi il retourne. Hors de question que tu restes sans le sou ! "

Enothis/Emaneth:
« Ha ! Ca leur ressemble bien, ça, d'exposer les problèmes sans jamais les résoudre. Si tu savais combien de fois j'ai dû porter croix et bannière contre eux pour avoir des réponses... Mais enfin : ce n'est jamais une fatalité, d'accord ? Rassure-toi !
- Jamais une fatalité ? Dis moi, t’as les chiffres associés aux nombre d’étudiants qui doivent abandonner en cours de route faute de revenus pour pouvoir sortir une… Ouais, non, scuze, j’suis sur les nerfs »

Au moins eut-elle l’intelligence de ne pas se laisser aller à a nervosité du moment, parce qu’elle ne manqua que de peu de sauter à la gueule de son cordial interlocuteur pour lui massacrer l’esprit à coup de logique. Franchement, le jour où elle parviendra à répondre sereinement à autrui sans se foutre dans une colère noir à cause du plus petit bout d’incommodité allait être à marquer d’une pierre blanche. Le pire ? Normalement elle abritait Emaneth en elle, cette Djinn si peu propice à la délicatesse envers l’être humain, si bien que chaque fois que son moral partait en vrille, l’entité spirituelle en rajoutait une couche, la rendant tout simplement tellement irascible qu’elle pourrait décapiter un bébé phoque avec les dents ! En ce moment, ce n’était pas le cas, l’esprit du Désert étant déjà tant et tant fatigué à cause de quelques nuitées un peu tendues qu’elle avait eut besoin d’un juste et plein repos, mais malgré tout, il fallait regarder les choses en face : Point d’excuses pour Enothis, la jeune femme ne pouvait guère mettre sa nervosité naturelle et son manque d’amabilité sur le dos de sa compagne, elle s’en sortait très bien toute seule ! Et pendant ce temps là, son compère d’infortune lui faisait le plus grandiose des sourire tout en bombant le torse, comme si il était parfaitement passé au-dessus de sa soudaine agression, à tel point que cette sérénité apparente faisait presque mine de super-pouvoir interne. Une espèce de sérénité du Bouddha naturelle. Bon dieu qu’elle ne savait pas gérer ce genre de cas, les gens trop bon, trop doux, trop confiant. Elle n’en avait jamais vu, jamais côtoyé, et pour être parfaitement honnête … Il la mettait franchement mal à l’aise pour le coup !

« Dis-moi : est-ce que tu connais au moins le problème ? Je souhaite t'aider, mais je dois savoir de quoi il retourne. Hors de question que tu restes sans le sou !
- T’es sûr de pouvoir faire quelque chose ? Non pas que je veuille te remettre sur quelques chemins tout tracés, mais tu semble à peine plus vieux que moi. Alors à moins d’avoir le physique d’un personnage d’animé japonais je me vois mal … Ouais je sais pas à quel point tu peux faire quoi que ce soit face à cet enfer administratif ... »

Malgré le fait qu’elle ait été en possession, dès son plus jeune âge, d’une entité surnaturelle capable de briser les fondations du monde et de la physique newtonienne, Enothis restait avant tout une réaliste, et comprenait bien comment l’univers humains fonctionnait. Tout se jouait par marchandage. L’on t’offre quelque chose, c’est dans l’attente de recevoir autre chose en retour. On te donne un conseil pour se sentir mieux par rapport à soi-même. On veille sur toi parce que l’on voit dans ton existence quelques avantages dont on ne saurait se passer. Malgré tout les bons airs de ce jeune homme, elle ne saurait pas s’ôter cela de la tête. Elle se demandait donc une seule chose, pourquoi cet inconnu avait soudainement tant envie de lui donner un coup de main ? Est-ce qu’il s’agissait juste d’une personne bien-attentionnée qui voulait se sentir bien en offrant à quelqu’un d’autre un coup de main, une sorte de petit scout urbain prêt à tout pour faire sa bonne action de la journée ? Est-ce qu’il s’agissait plutôt de ces étudiants un peu trop sûr d’eux qui voulait avant tout pouvoir se montrer sous le meilleur des angles face à une proie potentielle de leurs désirs charnelles, et qui cherchaient à obtenir quelques faveurs et rapprochements en échange de leur bienveillance ? Autant de possibilités faisaient qu’elle ne pourrait toutes les énumérer, mais il restait alors une forme de méfiance instinctive, suffisante d’ailleurs pour qu’elle reprenne une bonne gorgée de sa boisson en regardant dans le vide, sourcils froncés, avant de soupirer lourdement, comme pour se libérer du poids de ses propres doutes…

… Parce qu’elle avait bon dos de douter, mais dans le fond, elle n’était pas plus avancée. Et de rejeter de l’aide dans une telle situation pouvait être tellement stupide que l’ensemble du panthéon nippon et ses cent mille millions de dieux pourraient allégrement se moquer d’elle. Elle se tourna à nouveau en direction de la bouille fière et avenante du jeune homme à ses côtés. Tellement de suffisance et en même temps tellement d’assurance, un vendeur de tapis pourrait paraître plus honnête que cette large entaille sereine qui barrait le visage de cet aîné, mais elle allait finalement rendre les armes, et se laisser guider par la possibilités d’un dénouement plus propice à ses besoins. Elle avait besoin de ces thunes, et autant qu’elle sacrifie un peu de sa prudence à ses besoins immédiats, sinon elle n’avait même plus de raisons d’en avoir, de la prudence. Alors elle s’humecta les lèvres en ronchonnant, puis leva tranquillement le dossier qui se trouvait entre ses mains, comme pour signaler qu’elle parlait de cela. Non content que ses mots firent le même travail :

« Ouais, écoutes, j’vais t’en causer, soyons fou. En gros, j’ai reçu hier un mail comme quoi mes bourses d’aides universitaire pour citoyen étranger avaient été soudainement annulées. Et par là, j’entends qu’on ne me verse plus le moindre centime tant que je n’ai pas réglé les soucis correspondants. Sauf que je n’ai aucune idée de ce qui cloche, mes papiers sont tous en règles, preuve en est que ça fait deux mois que je les touche, ces bourses. Donc je me suis déplacée ici, en urgence… Mais bon, à part me dire que je dois patienter ici et qu’on vienne m’enfermer dans un bureau pour que nous discutions des soucis concernant mes demandes, je n’ai pas plus de détails... »

Petit mensonge, mais mensonge quand même, l’égyptienne ne s’était pas risquée à faire entendre au jeune homme qu’elle avait falsifiée l’ensemble de ses documents, n’ayant tout simplement aucuns liens réels en Égypte en dehors de l’enfoiré qui avait joyeusement installé Emaneth en elle dans sa recherche de pouvoir. Sans parler même de ses certificats scolaires, tous aussi faux que pouvait l’être les légendes entourant la création du Japon, par exemple. Mais bon, si elle commençait par avouer les extrémités par lesquelles elle était passée pour pouvoir vivre sereinement au Japon, autant qu’elle se colle immédiatement une balle dans le pied. Surtout que connaissant les habitudes japonaises, elle se doutait bien que quelques caméras devaient se trouver dans la bâtisse, et avec un peu de malchance, qu’elles seraient toutes équipées de micros pour pouvoir enregistrer quelques discussions gênantes. Alors oui, autant qu’elle finisse de jouer son jeu à fond, même si elle se retrouvait à en parler avec une personne qui ne semblait pas vraiment avoir de lien avec l’administration elle-même ! Prenant le dossier qu’on lui avait donné, avec les quelques feuillets qui lui avait été confiés au passage pour l’en garnir, elle le tendit à ce compagnon involontaire, avec un léger sourire railleur, de ceux qui n’exprime pas la joie, mais bien plus une forme de provocation somme toute bien piquante. Il voulait gagner de bons points auprès d’elle ? La draguer ? Quoi que ce soit d’autre ? Eh bien qu’il mette la main à la pâte, on verra après si elle aurait l’envie de le remercier, n’est-ce-pas ?

« Tiens, c’est cadeau, je te laisse lire et tu me dis si tu vois quoi que ce soit qui saurait nous éclairer ? Oh, et vu que tu vas voir mon prénom, commence peut-être par te présenter ? J’veux pas dire, mais bon, on est quasiment de l’ordre de l’intimité si tu lis mes documents administratifs ! »

Là, pour le coup, elle ria presque de bon coeur, si l’aigreur de la situation n’avait pas teint son éclat de joie d’une note un peu plus railleuse.

Damien Thorn:
Un sourire malicieux avait furtivement traversé le visage de Damien tout en échangeant avec Enothis. La jeune idole égyptienne avait un caractère flamboyant et ne se laissait guère aller à contenir ses émotions. On aurait pu croire qu'il puisse se vexer face aux remarques, mais l'Antéchrist appréciait la situation à deux égards : d'abord, parce qu'elle le considérait évidemment comme un autre élève à peine plus vieux qu'elle ; ensuite, parce qu'une victime était d'autant plus satisfaisante lorsque la force de ses frustrations ajoutait à son calvaire.
Quel choix avait-elle, sinon celui de lui accorder une chance de l'aider ? Ses options étaient très limitées : Damien y avait veillé. Aussi, qu'importaient ses impressions et son abattement car, au final, elle lui laissait volontiers son dossier en lui racontant son histoire.
Evidemment, c'était une discussion très intime pour la tenir aisément avec un inconnu comme lui, mais il ne lui laissait pas vraiment voir de meilleure opportunité. Malgré le plaisir qu'avait Damien de la voir capituler et mettre son destin entre ses mains, il n'afficha qu'un masque de gravité et de compréhension, esquissant un léger sourire rassurant quand il le fallait afin de ne pas la laisser y réfléchir à deux fois. Il devait afficher le visage du parfait adjuvant et incarner le meilleur parti qu'elle puisse trouver dans ces conditions. C'était naturel pour les gens de se reposer sur ceux qui paraissaient plus compétents ou assurés qu'eux, et il jouait la carte du soutien idéal avec brio.
— Même venant d'eux, c'est un peu brutal, et pas très clair, fit-il remarquer en fronçant les sourcils.
Il parcourut le dossier rapidement. Il en connaissait déjà les détails et savait déjà parfaitement quoi signaler, mais il devait toujours jouer le rôle de l'étudiant aimable venu à sa rescousse. Demain, après une nuit supposément passée à tout éplucher, il l'appellerait pour commencer son petit jeu, mais pour l'instant ils n'en étaient même pas aux préliminaires. Alors, ayant vérifié que tout avait l'air complet, il referma avec un grand sourire amical et hocha la tête en signe d'approbation.
— Bien entendu. Je m'appelle Damien. Enchanté, Eno... (Il fit mine de vérifier le nom avant de confirmer :) ... Enothis !
Lui tendant la main pour une poignée plutôt sage, il poursuivit :
— Je ferais mieux de m'y mettre, en tout cas. J'ai ton numéro dans le dossier, j'imagine ? Je t'appellerai ce soir ou demain pour te donner des nouvelles, ça te va ?

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