Ville de Seikusu, Kyoto, Japon, Terre > L'aéroport

Affaires de classe (PV Chloé Reynard)

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Bando:
11h59 - Aéroport Charles De Gaulle - Paris, France.

Trois heures et demies. Trois foutues heures et demies que je suis là, à faire les cent pas d’un terminal à un autre, ballotté d’un quai d’embarquement au suivant, sans certitude que mon avion décollera bien un jour. Ça fait déjà deux vols qu’on m’annule... J’dois bien avouer, on a déjà imaginé plus épique et romanesque en parlant de voyage.

Trois semaines à Paris, tout payé... ou presque, par la maison d’édition qui avait signée mes trois derniers bouquins. Une bande-dessinée érotique, mon premier essai en la matière, puis deux autres recueils de croquis et de pensées... des choses sans doute bien trop mégalos et personnelles pour que ça puisse intéresser quiconque. Dessiner quelques culs avait au moins un certain avantage, côté marketing. Les ventes avaient été plutôt bonnes, puis surtout, j’avais adoré bosser avec cette illustratrice. C’est elle qui m’avait hébergé, histoire qu’on bosse sur quelques nouvelles planches. J’avais eu besoin d’un peu de vacances, d’un peu d’ailleurs et... voir cette jeune femme s’affairer avait pas mal égayé mes journées.
Bref, une fois de plus, ça avait encore été très cliché. À croire que je ne suis bon qu’à ça, à confirmer tout cet imaginaire tordu censé coller à « la vie d’artiste ». Des cafés en terrasse, des musées... le Moulin Rouge, un peu de vin et quelques câlins bien sentis entre ses draps de satin...

Baaaaah. C’est pas avec le tumulte environnant que j’allais pouvoir re-songer gaiement à ces dernières nuits. Je m’étais éloigné un peu et étais sorti fumer dehors, après qu’on m’ait gentiment rappelé que, depuis 20 ans déjà, on n’peut plus fumer partout. Je grinçais des dents, soupirais et baillais alternativement. Ces moments de transit, c’était vraiment l’horreur... à l’opposé total de cette belle idée que l’on pourrait se faire de vacances détente. Et puis ce bruit...

J’avais un pantalon à pinces gris, bien taillé, de belles chaussures de cuir noir, toutes neuves... toujours élégant, mais à moitié seulement. Comme d’habitude. Mon non-goût pour le style et la mode, ou plutôt, avec mon style à moi, je me tenais là désormais, accoudé à un portique de sécurité, à attendre gentiment mon tour, ma chemise blanche mal fermée, les yeux mi-clos d’ennui et de fatigue...

12h14. L’interminable file d’attente qui avait démarré déjà très tôt ce matin... n’était toujours pas terminée. Je faisais un nouveau pas tous les quarts d’heure, le nez rivé dans un de mes carnets à croquis. Je n’entendais rien autour de moi ou plutôt, je faisais semblant de ne pas entendre tous ces râles, toutes ces nouvelles annonces, les cris stridents des enfants... jusqu’à entendre mon estomac. Lui au moins, il avait une bonne raison de s’faire entendre. J’étais parti bien trop tôt ce matin, de peur de louper cet avion qui n’est finalement jamais venu et n’avais donc rien mangé depuis. Puis bon, vous connaissez les prix pratiqués dans les aéroports... c’est même pas la peine d’y penser ! Nan, nan... j’attendrai... après tout, avec les nombreuses heures de vol qui nous séparent de Tokyo, j’imagine qu’on aura bien droit aux sempiternels plateaux repas... ça suffira amplement puis, ça n’me coûtera rien de plus. J’ai déjà claqué assez de pognon comme ça, juste pour faire la cour à notre bonne amie française. Au moins ça avait marché. Puis... je pouvais bien faire des efforts, après tout, j’avais passé presque un mois chez elle sans m’inquiéter du moindre loyer.
Bref. J’avais faim, j’étais crevé... et j’avais pas du tout, mais alors pas du tout du tout envie d’être là. Mon regard se perdit un instant en direction des quelques zones « VIP », de ces coins huppés que fréquentent les habitués fortunés qui se pavanent en riant bruyamment, alors qu’ils font une pause dans leur 4589ème tour du monde de l’année. Ça sentait la bisque de homard à plein nez. Mon ventre gargouillait de nouveau. Moi je soupirais.

Je rouvrais mon carnet de croquis (à une page non couverte d’esquisses d’attributs virils ou non) et y inscrivait quelques annotations, quand enfin, les raclements de gorge qui me parvenaient depuis derrière me firent comprendre que mon tour était venu. Youpi, on va bientôt embarquer ! Et comme ça on va pouvoir manger... ‘fin d’ici quelques heures, quoi. Ha ha ha.
Je n’écoutais pas vraiment c’que disait l’hôtesse en face de moi. Elle ne me quittait que peu du regard pendant que l’une de ses collègues murmurait, alors qu’elles me tendaient le billet que j’allais pouvoir récupérer.
Bien trop ennuyé et distrait, je ne suivais pas non plus ses instructions quand elle m’indiquait la direction qu’il me faudrait prendre pour monter (ENFIN) dans notre avion... Je me contentais donc seulement de suivre les gens devant moi, ‘fin ceux qui ne m’avaient pas bousculé pour être à bord avant moi.

Un coup d’œil jeté au loin sur le tarmac et j’en revenais à me demander comment on pouvait bien faire voler des engins aussi lourds et imposants. Cette simple idée relevait pour moi du fantasque. Ça me fit sourire.

Je quittais un bref instant mon air distrait pour regarder mon billet, histoire de savoir quelle allait être ma place dans l’avion. Je priais intérieurement pour me trouver à côté d’une fenêtre... que j’ai au moins autre chose à regarder que le couloir et les jolies gambettes des hôtesses...
Mes sourcils s’arquèrent un peu d’incompréhension. C’est drôle, j’avais l’impression que mon billet n’était pas tout à fait le même que celui que j’avais eu dans les mains plus tôt ce matin. Il était bel et bien à mon nom mais... plus de « classe éco », plus de numéro ni de placement.

Je m’arrêtais sur place, plus très loin de l’avion.

Chloé Reynard:
12h30 - Aéroport Charles De Gaulle - Paris, France.



Chloé s'extirpe langoureusement de la banquette arrière de la berline. Le chauffeur mis à sa disposition par la société de son père lui ouvre la portière en lui souhaitant un bon voyage. Elle est de très bonne humeur après cette petite escapade parisienne de quelques jours, et profite de la situation professionnelle de son père pour bénéficier de certains avantages. Pour ce voyage d'affaires, Mr Reynard pouvait être accompagné d'une personne et Chloé s'était tout naturellement imposée comme la parfaite prétendante à ce titre, sans laisser le choix ni à sa mère, ni à sa sœur.

Logée près dans un luxueux hôtel près de l'opéra de Paris, elle en avait profité pour arpenter les prestigieuses rues du quartier où les boutiques de luxes côtoyaient les grands noms de la mode. La carte bleue avait chauffé. Merci papa! Aussi quand l'employé des aéroports de Paris ouvre le coffre de la voiture, il blêmit en voyant la masse de valises et sacs qui vont lui briser le dos. Bénéficiant d'une couverture des frais de voyage, Chloé ne s'est pas gênée pour réserver une place en première platinum avec tous les services inhérents au prix demandé. Astronomique! Mais bon, Toyota a des réserves. Et en plus, son père ne peut pas revenir avec elle à Seikusu, une réunion de dernière minute l'ayant contraint à rester un jour de plus en France.

Chloé suit donc le marquage indiquant les accès VIP, la prise en charge de ses bagages est complète jusqu'à la destination finale. Après avoir donné à l'accueil son passeport et son billet qu'elle récupèrera à l'embarquement, elle n'a à se soucier que d'elle même. La zone VIP est quasiment vide, au contraire du tout venant qui s'amasse de l'autre côté de la vitre insonorisée, en zone ... normale quoi! Une hôtesse vient lui proposer une collation mais la jeune femme n'accepte qu'une flûte de champagne. Curieuse, elle va observer la foule stressée et massée le long des comptoirs d'enregistrement. Ils doivent suer comme des cochons ... Des hordes de bambins courent dans tous les sens, poursuivis par des parents apeurés. Des touristes occupent en troupeau les allées, se gardant bien de ne surtout pas perdre leur guide. C'est l'horreur là-dedans! Un type la regarde avec insistance et vient lécher la vitre devant elle. Beeuuurk! C'est quoi cet animal! Chloé lui adresse un joli doigt d'honneur en ricanant, avale une gorgée de champagne et se détourne de cette fourmilière humaine pour aller s'asseoir dans un fauteuil confortable. Encore quelques minutes et elle pourra embarquer.

Un stewart s'approche poliment et propose à Mlle Reynard de bien vouloir le suivre. Elle accepte d'un hochement de tête et profite de la présence d'une vitre réfléchissante pour s'assurer qu'elle est toujours aussi resplendissante qu'il y a dix minutes. Son reflet lui convient. La veille, elle a passé l'après midi dans un institut de beauté particulièrement onéreux, et une spécialiste renommée s'est occupée de sa lourde crinière rose. Avec son petit haut tout simple et son short en denim, elle se trouve sexy à souhait. En avant! Son micro sac à dos en bandoulière, elle suit le personnel de service et s'engage dans un couloir feutré. Tout au bout, l'employé s'excuse. La zone est en travaux et il va falloir passer par le terminal commun. De quoi? C'est une blague? Noooooooonnn!

"Pardon, pardon!! PARDON!"

 Putain ils sont sourds ou ils s'en foutent? Au milieu de la foule, Chloé tente tant bien que mal de suivre son guide qui réussit à l'extraire au prix d'un effort considérable de ce nid à maladies qu'est un terminal d'aéroport. Au passage, Chloé a bien senti des mains se balader sur ses courbes mais seule l'idée de sortir de ce tas de ... gens nuls ... la tirait en avant.

"Navré pour ce dérangement mademoiselle." Mouais, toi, j't'aime plus!

Plus qu'un homme devant elle, Chloé n'attendra pas! D'un glissement d'épaule, elle passe devant lui sans un mot, juste un souriant ... du genre de sourire qu'on n'oublie pas. Mais ... il a le nez plongé dans ses notes et ne la capte même pas. Goujat!

"Bonjour! Chloé Reynard! Première platinum!"

C'est clair. L'hôtesse valide l'accès et la jeune femme passe les guichets. L'instant d'après, elle s'arrête pour sortir son petit miroir et vérifier que le passage dans la foule ne l'a pas amochée. Quelques personnes la dépasse, elle se serre sur le côté et du bout du doigt se redessine un sourcil. C'est tout bon, dernière ligne droite. Chloé relève la tête en avançant et s'écrase contre le type qui lisait ses notes plus tôt.

"MMMMFFFF!" Son rouge à lèvres imprime les contours de sa bouche sur la chemise blanche.
"Hey! Faut ouvrir les yeux un peu là!"

Chloé grommelle et d'un pas décidé (après avoir jeté un regard d'exécutrice au type), elle accède à l porte de l'avion. Placé par les bons soins d'une hôtesse agréable à sa place, côté hublot, Chloé incline le dossier de son siège, retire ses sandales à talons et cale ses pieds impeccablement pédicurés contre le siège de devant. Elle happe le catalogue des produits en vente à bord et commence à le feuilleter en attendant que l'avion se remplisse. Il y a un peu de monde, elle espérait être seule, ça ne sera sûrement pas le cas. Pitié, faites juste que ce ne soit pas quelqu'un qui sente mauvais!

Bando:
Et bim ! On n’a que peu le temps de réfléchir dans des lieux pareils. Les gens sont... pressés. Beaucoup trop pressés et incapables de regarder tout ce qui peut se jouer autour d’eux. C’est pas comme si l’avion allait partir sans eux, sans moi qui traîne un peu la patte, autant par lassitude que parce que le manque d’informations sur mon billet me déboussole un tantinet. Si ? Nan parce que j’ai beau être tête en l’air et d’une patience à toute épreuve, là, ça fait quand même 6h que j’fais le poireau.
On me bouscule une fois, deux fois, trois fois... un « troupeau » d’enfants (parce que là, vous m’excuserez du terme mais ce n’est pas autre chose) chahute et Papa manque de m’ébouillanter avec son café, non pas sans tâcher le bout d’une de mes manches. Je souffle plus que je grogne et me frotte la tête. Un peu embêté je l’suis, mais ce qui me gonfle surtout, c’est d’être sans cesse sorti de mes pensées. Les gens se pressent et s’agglutinent en hâte en direction la porte pour finir comme coincés dans un étau. Ils ont accéléré le pas une vingtaine de seconde pour que voilà, l’interminable file d’attente ne vienne refaire une apparition soudaine.
Me tenant à quelques pas derrière la petite foule qui escalade lourdement les marches menant à l’appareil, je pousse un énième soupir. Les grommellements divers et variés ne tarissent pas et je comprends vite que les hôtesses, déjà débordées, n’auront que peu de temps pour m’aider à élucider mon problème de billet mystère. On me dépasse encore (ouais, faudrait pas que l’avion décolle pendant qu’il a les portes encore ouvertes, hein, ALLEZ-Y !), mon corps tangue de gauche à droite au rythme des quelques coups d’épaules qui ne cessent de pleuvoir, atteignant de mes côtes à mon menton, lorsqu’un type immense me pousse sur un côté, me toisant d’un regard assassin et, je dois l’admettre, plutôt bien senti. C’est qu’il m’a fait mal en plus. Je ricane quand même intérieurement alors qu’il me dévisage, l’air de me dire « t’as vu mes yeux, j’suis dangereux, alors fais pas l’con, c’est moi le prem’s ». Je lui souris comme un idiot, par défi, par inconscience ou... je n’sais pas. Juste pour lui faire comprendre d’un petit arquement de sourcil malicieux « Ouais ouais, c’est ça t’as raison... vas-y ».

Je souffle. Encore.
Vous l’aurez compris et, à cet instant moi aussi, mon système respiratoire fonctionne à merveille.
Je baisse de nouveau les yeux pour en revenir à mon billet. Pas d’indication si ce n’est quelques petites dorures qui viennent donner du relief sur le logo de la compagnie aérienne. Le genre de truc un peu classe mais qui ne sert pas à grand chose. Mes yeux virevoltent d’un point à un autre alors que les gens continuent de se ruer dans l’avion. Ça crie déjà et ça balance des « nan mais c’est ma place, ça, regardez mon billet » et des « Nan mais j’suis claustro j’vous dis... vous pouvez bien vous passer du côté fenêtre POUR UNE FOIS, non ? ».

Et v’là qu’on me rentre encore dedans. C’est... violent, mais bien moins qu’un coup d’épaule dans le menton de la part de l’autre gorille de tout à l’heure. Le poids et les sensations se font d’un coup bien différentes. Le geste est pressé, malencontreux, mais à ce que je peux sentir se presser contre mon dos, il s’agit d’une femme. Plutôt... bien faite, si j’en crois cette douce impression de rebond le long de mon échine. S’en suit ce marmonnement plus brutal qui accompagne mon pas vers l’avant. Elle m’est purement et simplement rentrée dedans, tête la première. Enfin pas la première. Mais vous aurez compris l’idée.
À peine le temps pour moi de réagir et de lever les yeux (je suis lent aujourd’hui ou c’est moi ?) pour remarquer que ce n’est pas la première fois ces deux dernières minutes que je croise ce véritable accident ambulant que j’me fais tout de suite hurler dessus. La jeune femme me passe devant et ouvre la marche telle une furie, alors que je reste le seul et le dernier passager là, en bas des marches.
Je devine au détail des coutures de son petit short qu’il s’agit là d’une marque hors de prix. Au parfum qu’elle dégage aussi (elle, pas la marque de jeans). J’aurais bien pu mater alors qu’elle se dandine en enjambant les marches quatre par quatre, mais ce n’est pourtant pas le premier de mes réflexes. Après m’être fait agresser si sauvagement non, je pense plutôt à comprendre quel autre genre de furie je vais devoir me coltiner des heures durant. La souplesse et l’odeur de cette longue crinière fraîchement soignée, cette démarche assurée comme si cet accueil à bord était une seconde nature pour la jeune femme, cet aboiement militaire, comme si elle s’était adressée à moi pour m’ordonner quelque chose... Ouais, c’est clair. Ce n’était pas le genre de princesse à qui l’on devait dire non souvent. Le tableau se dressait vite dans ma tête, mais je me rassurais au moins en me disant qu’il y avait peu de chance pour que ses manières viennent me taper sur le système tout le vol durant. Elle devait bien avoir une cabine personnelle, un salon ou... un truc qui l’éloigne de la plèbe. J’en soufflais encore, mais plus parce que cette simple idée me rassurait.

Voilà que je grimpe enfin ces quelques marches pour faire mon entrée dans l’avion. La porte se referme derrière moi et les dernières hôtesses à ma portée s’éclipsent vite pour rétablir l’ordre dans le couloir auquel je fais face. Si vous voulez ma première impression sur ce vol, la voici : c’est déjà bien l’bordel.
Nul ne tient sa place et ça chahute une fois de plus ici et là. Les enfants ont bien du mal à se tenir, tout excités qu’ils sont. Leurs parents eux, non pas que je veuille leur jeter la pierre... mais ils ont clairement abandonné l’affaire, s’en délestant au profit des pauvres hôtesses qui font de leur mieux pour combler le moindre de leur désir. Je m’avance encore entre les sièges pour m’approcher de l’une d’elle et là encore : bousculade intempestive, croche-pied, balle en mousse en pleine poire... pitié, allez m’installer en cabine de pilotage, là au moins j’aurais accès aux parachutes. Juste au cas où, après quelques heures de vol, il me vienne l’idée que les poissons serait de meilleure compagnie...

J’avance donc à tâtons, levant mon billet et tentant de faire signe à quiconque puisse m’aider. Sans succès.
L’annonce cordiale et habituelle du pilote se fait que je n’ai toujours pas trouvé de place assise. L’ordre est donné d’attacher sa ceinture lorsque enfin, ENFIN, on me remarque (en même temps j’suis pas loin d’être le seul débile encore debout, alors ça n’a rien d’étonnant). Une hôtesse écarquille les yeux en détaillant du regard ces quelques dorures recouvrant mon billet et, d’un coup d’un seul, la voilà qui devient écarlate, prête à se confondre en excuse. Mais il n’est visiblement plus temps pour ça, puisqu’elle m’attrape vite par le poignet pour m’entraîner plus loin, dans la seconde partie de l’appareil, derrière quelques rideaux foncés. Et là, c’est comme un autre monde qui se découvre à moi. La lumière y est plus jaune, plus douce et tamisée pour mettre en relief ce goût pour le luxe et l’opulence qui se devine là. Ça n’a vraiment rien à voir avec les néons froids et les sièges plastique de la classe éco. Dans ce compartiment, les sièges sont faits de cuir sombre, plus espacés les uns des autres... Les gens sont à l’aise, bien plus calmes. Et vous savez quoi ? Je ne sais pas en quoi sont faits ces rideaux, mais on n’entend presque rien du tumulte ayant lieu là-bas, juste à côté. Quoiqu’il en soit, l’hôtesse me tire une petite révérence qui doit vouloir signifier sa folle envie de s’excuser et, sans prendre la peine de m’expliquer quoique ce soit, la voilà prête à repartir, ne prenant que la peine de m’indiquer un siège un peu plus loin, où je devrais être à mon aise.
Je regarde tout autour de moi et... en fait, des sièges libres, il n’y en a pas des masses. Je sais pas ce qu’ils ont fait à la comptabilisation des billets vendus, mais même ici, il ne restait en fait qu’une seule et unique place. Bon, faut dire que dans ce compartiment, il ne devait y en avoir que 10 ou 12, à tout casser. Bien éloignés les uns des autres entre de petites tables de bois de grande qualité... de vrais petits salons... mais quand même. Au moins ici, j’aurai la paix, me permettais-je seulement de penser.
Me prenant alors à sourire légèrement, soulagé, je m’avançais jusqu’au siège que l’on m’avait désigné. Côté hublot, dans le sens contraire de la marche, au coin de l’un de ces petits salons aériens. Je mettais pourtant très vite un frein à ce nouvel élan, alors que deux jolis petits pieds s’étaient déjà posés sur cette toute dernière place. La mienne donc.

« Hum... »

N’avais-je pas le temps de parler qu’un premier soubresaut se fit ressentir. J’avais rien entendu, mais visiblement, on avait déjà entamé une première course sur la piste. Je m’accrochais au dossier du fauteuil pour ne pas perdre l’équilibre et, ni une ni deux, je glissais une main sous ces deux délicates chevilles, m’en saisissant à peine, seulement assez pour me glisser en dessous. J’avais au moins espoir que ma nouvelle interlocutrice se ressaisirait rapidement pour mettre ses petons ailleurs que sur mes genoux, alors que je prenais place face à elle. Je posais mon dos bien au fond du fauteuil et lâchait donc les pieds de la jeune femme, que j’entreprenais alors de découvrir, mes yeux remontant rapidement le long de ses jambes pour... je ne donnerai nul détail quant à ce sur quoi j’ai bloqué un instant. Je disais donc : mon regard remontait rapidement pour...
Ok.

Mes yeux durent se plisser d’incompréhension et de surprise, alors que mes yeux se posèrent sur le visage de celle qui allait être ma partenaire de voyage durant ces prochaines heures. C’est elle. Encore.
Repensant brièvement aux airs que cette même jeune femme avait pris quelques minutes plus tôt, je me pris vite à regarder ailleurs alors que je tentais de m’installer plus confortablement. J’entreprenais vite d’ouvrir ma sacoche en bandoulière pour me saisir d’un de mes carnets, avant de me défaire de ma chemise qui, je le comprenais de suite, n’avait plus grand chose de son blanc habituel. Au moins mon t-shirt, lui, n’avait pas eu à éprouver le café, le coca et... le rouge à lèvres ?
Mon regard passa vite du morceau de tissu aux lèvres de ma voisine. Bien assez pour que ça fasse tilt rapidement. Je soupirais silencieusement et lâchait donc mon vêtement.

L’avion décollait enfin pour Tokyo. Aucune hôtesse n’était revenue se présenter à moi et je me décidais donc à ne plus m’en faire quant à tout ça... j’étais en première classe, qu’importe le pourquoi et le comment... au moins j’aurais un peu de paix. Enfin je crois.
Je m’en retournais vite à mes carnets, me remettant à annoter les dernières planches de ma collègue, toutes ces poses suggestives qu’elle avait crayonnée des heures durant en se regardant dans le miroir.

Chloé Reynard:
Ah! Et bien non, personne là haut ne l'a entendue. Elle ne sera pas seule pendant les quatorze heures que durera le vol. Alors voyons ... oh ? Elle le reconnait! Le type au milieu du chemin, planté le nez dans ses notes. Une petite secousse indique le commencement de la phase de roulage et l'homme se permet poliment d'écarter ses pieds pour pouvoir s'asseoir. Il n'a pas l'air du genre a posé problème aussi se redresse t'elle en lui adressant un sourire de bienvenue (pourrait être interpréter comme une invitation au viol mais bon ... elle sourit comme ça). Quatorze heures c'est long, autant que cela se passe bien. Elle replie ses jambes  de son côté et le détaille en toute impunité de haut en bas alors qu'il s'installe.

Le scanner de Chloé se met en route. Nous disons donc, un individu masculin de taille correcte et de corpulence toute aussi correcte. Ne présente pas de tares physiques apparentes et dispose de qualité de réserves avérées. La cible contrôle son environnement et malgré un instant d'égarement, réajuste la hauteur de son regard. Pas fuyant mais courtois : point positif. Ses vêtements ne vont pas avec la classe dans laquelle il voyage. Il s'agit donc ou d'une erreur ou d'un déplacement professionnel, à moins bien sûr, et c'est possible, qu'il s'agisse de quelqu'un qui n'accorde aucune importance à son accoutrement. Bill Gates s'habille bien comme un plouc. Synthèse : peut être intéressant mais nécessite l'apport d'informations complémentaires.

L'avion prend de la vitesse et dans un rugissement de moteurs, s'élance sur la piste pour décoller avec cette impression caractéristique des gros porteurs. Chloé déteste les décollages et remue sur son siège. Elle échange avec son voisin le petit sourire obligatoire des gens crispés qui n'aiment pas quitter le sol avant de se détendre dès lors que l'avion a atteint son altitude de croisière. Très vite, le commandant de bord leur pond son speech puis l'un des stewarts des premières procède à l'information de sécurité. Ils sont enfin tranquilles. Chloé se redresse pour regarder autour d'elle. la plupart des voyageurs ont des écouteurs dans les oreilles et somnolent déjà, lisent ou attendent tout simplement. Son voisin, lui, ne quitte pas son carnet des yeux. A croire que le plus important de sa vie y est noté.

Chloé ne veut pas s'enfermer tout de suite dans sa bulle. Elle tourne légèrement son buste pour présenter son profil le plus harmonieux et une fois sa ceinture déclipsée, elle replis ses jambes sous elle. C'est si bien d'avoir des fauteuils aussi larges...

"Bonjour!" Il ne réagit pas. La panthère qui sommeille en elle frémit.

"Bonjour..." Toujours pas de réaction. Note pour plus tard : présente une surdité aigüe susceptible d'altérer leur éventuelle relation de voisinage.

"BON-JOUR!" Ah ! .... ben non, il tourne juste une page de son carnet. L'individu hostile à toute forme de séduction dégringole de l'échelle de virilité que lui avait attribué la jeune femme.

Goujat! Mufle! ..... CONNARD! Chloé boude avant de se radoucir. Il est peut être tout simplement timide et après qu'elle l'est gentiment malmené sur la passerelle, il n'a pas envie de prendre un râteau.

On recommence! Chloé se penche vers l'homme et pose doucement sa main sur la cuisse masculine qu'il oriente vers elle.

"Bonjour monsieur, vous vous rappelez peut être de moi mais vous m'avez bousculé sur la passerelle. Il semblerait que le destin veuille qu'on discute de ce terrible évènement. Nous avons quatorze heures pour définir le rôle de chacun dans cette tragédie, et surtout pour trouver le moyen de nous excuser."

Elle le fixe du regard, sourit à nouveau de ce genre qui signifie " viens on baise de suite" et comprime innocemment sa poitrine entre ses bras.

"Moi, c'est Chloé." Si elle s'entendait, elle se traiterait d'allumeuse voire plus.

"Et vous .... vous êtes ... passionné par les carnets remplis de ... oh! c'est quoi?

L'homme en l'écoutant a baissé son feuillet et Chloé a cru deviner ... quoi exactement?

Bando:
Contre toute attente, la jeune femme n’avait aucunement rechigné à reposer ses pieds au sol alors que j’avais cherché à m’installer. De ça, j’en étais le premier surpris, agréablement dirais-je même, moi qui avait pensé que je m’serais fait rembarrer direct. Toutefois, tout comme je l’avais fait l’espace de quelques secondes un peu plus tôt, je ne manqua pas de sentir comme le regard de ma nouvelle voisine pouvait peser sur moi. Si je m’étais dit qu’elle ne m’avait peut-être pas reconnu, il était maintenant clair qu’il n’en était rien. À moins qu’elle soit aveugle ? Auquel cas, cela aurait expliqué qu’elle me soit rentrée dedans pas une, mais deux fois ! Ok j’étais dans mes pensées, mais des fois, il faut aussi penser à regarder autre chose que ses pieds (étais-je vraiment bien placé pour penser ce genre de choses ?).
Je ne levais pas la tête de mon carnet donc, mais ne manquais-je pas pour autant de sentir ô comme la jeune femme me toisait. De haut en bas, sans doute à juger ma tenue, mon expression, mes traits et ma posture. Je devais l’admettre, je me sentais un peu jugé, pour le coup.

Mais cela ne fut que courte durée finalement, puisque rapidement (après des heures d’attente, quand même, faut l’rappeler !) nous décollions de la terre ferme. Là encore, même si je restais ailleurs plutôt qu’ici véritablement, la tête plongée dans ces croquis que je feuilletais, à la recherche de celui qui aurait droit à un agrandissement pour servir de couverture à mon album futur, je ne manquais pas de remarquer, dans la périphérie de mon champ de vision, comme la jeune femme en face de moi semblait incapable de tenir en place, quelque peu crispée à son siège. Je ne manqua pas de deviner le sourire qu’elle m’adressait nerveusement à la façon qu’avaient ses yeux de se plisser. Elle ne le vit sans doute pas puisqu’une partie de mon visage se trouvait cachée sous mon carnet, mais je souriais brièvement, amusé de la situation. Peut-être plus par moquerie quant à ses gesticulations difficiles que pour d’autre raison, mais allez bien savoir. Ce n’était certainement pas méchant.
L’avion gagnant son altitude de croisière, j’inspirais, plus relaxé encore, maintenant que nous étions loin du sol.
Cependant, la jeune femme se détachant pour que son regard puisse fureter ici et là, je me pris à baisser davantage les yeux, histoire de me plonger au mieux dans mon travail du moment. Enfin... « travail ».

Ce n’est pas que je n’avais aucune envie de parler, seulement... j’étais plutôt bien, perdu dans mes pensées, à feuilleter les quelques pages d’esquisses que j’avais sous la main. Je me plaisais à reconnaître chacune de ces formes que j’avais pu découvrir et apprendre à connaître sur le bout des doigts tout au long de ces dernières semaines. Ainsi je m’enfonçais un peu dans mon siège, à divaguer légèrement. Par nostalgie, mais aussi pour retrouver un peu de plaisir quant à ce voyage. C’est sûr... on ne peut pas dire que cette dernière matinée en France m’ait été des plus... reposantes ? Je me mis alors à crayonner un peu, à annoter encore ça et là, à repenser un peu au découpage de mes planches, de ce que j’avais déjà écrit, à remettre en ordre certains de ces plans d’ébats langoureux que j’avais sous les yeux. Je leur donnais corps, rythme... comme au cinéma. Je les rejouaient dans ma tête incessamment, afin de choisir les angles qui, d’après moi, capteraient au mieux l’importance de ce que j’essayais de dire dans cet ouvrage... et pas qu’avec des mots. C’est assez stimulant vous savez ?

Bref. Ce n’était donc pas méchanceté que j’en venais à dénigrer la demoiselle en face, qui, à ce que j’essayais justement de ne pas entendre, cherchait tant bien que mal à capter mon attention... mais simplement parce que j’avais la tête... « ailleurs ». Décidément, c’est un trait de caractère récurrent.
Ne croyez pas pour autant que je ne l’avais pas remarquée. J’avais beau relever mon carnet peu à peu, pour qu’il couvre mon champ de vision, il n’y avait rien à faire, elle revenait toujours à la charge.
Ce n’est que lorsque sa main vint à se perdre sur ma cuisse que mon regard revint, quant à lui, hors de sa précédente cachette. C’était assez... surprenant, comme mouvement. Et étrangement entreprenant. Mais, au vu de mes vagabondages du moment, cela m’inspira pourtant bien d’autre chose que de la surprise. Non, ç’en était même agréable, alors que mes songes n’étaient pas loin de s’aventurer en de sulfureux terrains.

Baissant mon carnet et me penchant doucement vers l’avant, je croisais enfin son regard, alors qu’elle vint à me fixer avec un de ces regards... qui aurait -et je le pensais sur l’instant- tout à être décrit et redéssiné dans ce carnet (si seulement j’avais été moi-même dessinateur)... Je ne savais pas bien si elle se rendait bien compte du pouvoir de fascination dont elle pouvait être doté. Sans doute que oui, mais avait-elle au moins mesurée la portée de ce genre de regard ? J’en étais amusé une fois de plus, et cela ne m’emplit que de plus de malice. Si je me pris enfin à l’écouter, ou du moins, à lui signifier que, cette fois, j’étais prêt à répondre à ses appels, j’eus pourtant la sensation que jamais elle ne me laisserait en placer une.
Je manquais de pouffer de rire, après avoir arqué les sourcils une seconde, alors qu’elle me balançait sa première tirade. Celle dans laquelle elle me disait responsable de « l’accident » de tout à l’heure. À n’en pas douter, elle avait un don pour le mélodrame, sinon celui de savoir se placer en fautive... puisque c’est ce qu’elle était. N’est-ce pas ? M’enfin. Ce presque-rire, je le contins pourtant aisément, puisque bien sûr, sans perdre une seconde, la voilà qui se présentait (enfin, officiellement... comme j’avais fait semblant de ne rien voir les 4000 fois précédentes). Et... à ce que je pus remarquer, sa voix n’avait rien à voir avec celle de la diablesse qui, il y a à peine 15 ou 20 minutes, me hurlait dessus telle une princesse toisant de haut le bas-peuple. Était-ce ma présence ici, dans ce compartiment je veux dire, qui avait éveillé ses sens ainsi (c’est marrant à lire vite, hein ?) ? Quoiqu’il en soit, le timbre de sa voix s’était d’un coup fait plus... doux et enjôleur, moins léger et enfantin que lorsqu’elle s’évertuait à capter mon attention. Eh bien ! Quelle palette d’émotions !

Même si j’eus envie de jouer un peu malicieusement à répondre à cet air presque suave qu’elle venait de se donner, elle ne m’en laissa toujours pas l’occasion. Enfin, pas de suite. Sans doute avais-je trop baissé ma garde lorsque, à ses mots, ses gestes avaient prit le relai et que ses bras étaient venus se croiser pour donner plus de volume encore à cette poitrine plus qu’opulente (non parce qu’il y a opulent et... ET ! D’accord ?). Si j’avais fermé les yeux en déglutissant rapidement, pour ne pas trop me perdre à fixer ainsi ses seins, j’avais toutefois ouvert l’une des portes de mon jardin secret... enfin, pas vraiment. Mais par mégarde avais-je tendu une sacrée perche là, alors qu’aux yeux de ma voisine j’avais offert une magnifique esquisse des fesses de Pauline, en gros plan, assise seule face au miroir. Le moulin rouge en prime, trônant par la fenêtre sur la droite.
Amusé et bien sûr un peu gêné, mais pas assez pour perdre de ma contenance habituelle, j’en souris plutôt, rougissant à peine. Mes yeux se plissaient délicatement pour suivre la courbe de mon sourire alors que je regardais la dénommée Chloé dans les yeux et que je tournais vers elle le carnet, qu’elle puisse au moins admirer.

« Des autoportraits m’a-t-on dit. Mais... je suis presque sûr que ce sont des fesses. Sans doute faudrait-il l’avis d’un expert. »

Les hostilités étaient lancées et je refermais donc mon carnet.
Je retournais poser mon dos au fond du fauteuil de cuir et reposais alors mes yeux sur cette main que la jeune femme avait garder au bord de ma cuisse. Rapidement, je retrouvais de nouveau son regard. Ne tenant alors plus trop en place moi non plus, voilà que je me ravançait, posant un coude sur ma dernière cuisse disponible et posant donc ma tête au creux de ma main, m’approchant doucement, ce sans jamais perdre ni de mon sourire quelque peu narquois, ni de l’attitude clairement nonchalante qui l’accompagnait bien souvent.

« JE... vous ai bousculée, donc ? Hmm, j’aurai juré que vous aviez tenté d’embrasser ma chemise. Vous savez, vous auriez simplement pu me le demander... »

J’attrapais alors ma chemise, sans pour autant la lui tendre.

« Vous la voulez ? »

Ma mauvaise blague finie, je la reposais à sa place sur l’accoudoir et sourit davantage. Mon regard s’écarta alors.

« Hum... »

Six ans après, j’hésitais toujours à me présenter. Je n’avais jamais donné mon vrai nom depuis et... C’est pas comme si je m’appelais moi-même par mon pseudonyme, en fait. Je me pris alors à tapoter du doigt le coin de mon carnet sur lequel ce dernier figurait.

« Bando. Tu disais donc... excuse-moi, j’suis clairement pas assez vieux pour que tu m’appelles monsieur ou que tu m’vouvoies, ‘fin sauf si tu préfères, je comprendrais. Mais, tu... ou vous... tu voulais donc que l’ON s’excuse... Chloé ? »

Je jetais un rapide et dernier coup d’œil à mon pauvre vêtement.

« Tu sais, ça part très bien à la machine, hein. »

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