Les voyages spatiaux sont des missions qui s'effectuent en groupe, c'est la base. Pour préserver l'équilibre psychologique de l'équipage, déjà. Pour des raisons de sécurité, ensuite : deux hommes ou plus peuvent dormir en décalé afin que l'un d'entre eux soit constamment éveillé ; les membres d'équipage ne sont pas livrés à eux même en cas de problème ou de blessure grave ; il est bien plus facile de surveiller le vaisseau tout en explorant des zones inconnues ; la concertation permet d'éviter pas mal d'erreurs de jugement. Bref : les voyages spatiaux s'effectuent en groupe.
Le problème, c'est que le Saihyo-sen est bêtement conçu : sa zone d'habitation et ses stocks de nourriture sont trop petits pour accueillir plus d'une personne pendant la durée typique d'une cession d'exploration, qui est de deux à trois mois. Pour cette raison, le navire est souvent resté inutilisé. La plupart des pilotes refusent tout simplement de partir en solitaire, et ce d'autant plus qu'ils sont expérimentés. Le Saihyo-sen est donc resté en état de quasi-abandon pendant deux décennies et n'a retrouvé un usage régulier que deux ans auparavant, lorsque Hana s'est portée candidate aux recrutements de la BFF. La petite n'était, de loin, pas la meilleure du classement. Mais elle était la meilleure de ceux qui s'étaient déclarés prêts à voyager à bord du Saihyo-sen.
* * *
« Qu-quel v-vais-seau de me-E-e-rde ..! . »Hana s'est encasquée et sanglée solidement au siège du poste de pilotage. Ce dernier la secoue maintenant comme s'il voulait lui briser la nuque. Elle tente de faire abstraction et manipule tant bien que mal les boutons de son poste de commande afin d'ajuster la descente à travers l'atmosphère. Tout autour d'elle, l'immense charpente d'acier vrombit et tremble comme si elle allait se rompre.
« Jvais tni-..quer ta race...gros... ta-as dmerde .. . »Elle plaisante bien sûr. Le navire et elle ont créé du lien, ces deux dernières années. Et la descente se passe en fait très bien. Dans une dizaine de secondes viendra la partie plus ou moins délicate, qui consiste à se poser au milieu du désert de sable. Mais Hana en a vu d'autres, et puis le sable est un terrain amical qui amortit les mauvais chocs. Enfin, probablement.
De dehors, la baleine d'acier semble descendre à une allure maitrisée en direction des dunes. Tranquillement, avec force grondements et tourbillons de sable, elle dépose entre deux dunes sa carcasse de 10^5 kilos. Elle ronronne encore un peu, puis ses moteurs s'éteignent un a un, laissant le bruit du vent reprendre le devant de la scène. Quelques minutes plus tard, à deux mètres de hauteur, une lourde porte de sas s'ouvre et laisse la pilote apparaitre sous la lumière brulante, avec un râle de bonheur.
« HAAAAN ! Enfin putain ! »Le vent chaud et sec s'engouffre dans la tenue légère d'Hana. On se croirait devant un four ouvert.
« HAN c'est chaud ! ... il va falloir faire gaffe à l'eau quand même. » note-t-elle.
« Pas dit que le lac contienne de quoi boire. ».
La gravité n'étant ici que de 0.5g, Hana s'est préparée un sac d'une trentaine de kilos, dont 20 litres d'eau. De quoi passer un peu de temps à l'extérieur sans craindre de se dessécher. Sans se soucier de déployer la rampe de débarquement, elle jette son paquetage en contrebas et saute à son tour, prête à se réceptionner sur le sable. Elle y atterrit à pieds joints en creusant des sillons, et y laisse tomber ses fesses en riant bêtement. Puis elle y plonge les mains et les retire de suite avec un
« AH ! » de surprise : ça brûle. Ses fesses commençant à chauffer de même à travers le pantalon de toile, elle se lève. Voilà donc pourquoi sa tenue d'exploration du désert inclue des bottes. Elle sort de sa poche un petit écran muni d'un clavier rustique couvert de caoutchouc, sur lequel elle tape la commande de fermeture du SAS. Elle pianote à nouveau pour afficher un plan schématique des environs, où apparaissent la position du vaisseau, la sienne, et celle de la destination qu'elle a marquée. Elle s'oriente rapidement : un petit lac devrait se trouver à quelques minutes au nord-ouest, au centre d'un genre de cratère. En montant sur la dune, elle aperçoit un monticule de sable dont la forme évoque étrangement celle d'un volcan.
« Yes, facile. »Une dizaine de minutes de marche lui suffit pour arriver au pied du dit volcan et le gravir jusqu'à l’arête du cratère. Au fond de celui-ci repose bel et bien un lac de, quelques dizaines de mètres de diamètre. Le sol, à l'intérieur du cratère, est légèrement plus clair que le sable environnant. Aucun signe de vie, pour l'instant.
Le sol est drôlement stable, ici. pense-t-elle en silence, la chaleur sèche de l'air lui ayant passé l'envie de verbaliser. Le cratère, en forme d’assiette creuse, est bien escarpé sur le bords ; trop escarpé pour être fait de sable. Hana fait un pas à l'intérieur, précautionneusement, craignant de perdre l'équilibre et de dégringoler jusqu'en bas. Ses pieds ne s'enfoncent plus dans le sol, dont la surface semble plus ou moins flexible. Quelques pas de plus, en progressant de profil : la température diminue, on dirait. Elle s'accroupit et tâte le terrain de la main.
« Wow, c'est végétal ? »Sous ses doigts et ses semelles, semble-t-il, quelque chose vit.
quelque chose, quelque chose comme du lierre ou des racines très fines. Des fibres à peine plus épaisses que des cheveux formant un tissage beige clair, qui tapisse apparemment la totalité du cratère et...
le maintient ? Bien vite, l'idée que le cratère est vivant suggère à Hana qu'elle a affaire à une bouche titanesque en attente de nourriture. C'est donc exaltée par une terreur irrationnelle qu'elle continue sa descente.