Mélinda savait qu’elle naviguait en eaux troubles. Au sein de la capitale impériale, la prostitution était un secteur extrêmement concurrentiel, et elle avait eu bien du mal à développer son entreprise. Certes, elle avait acquis de l’expérience entre-temps, mais, avec son pedigree, s’implanter à Nexus était difficile. Elle avait naturellement masqué ses origines ashnardiennes, et, de fait, avait chargé une esclave de diriger le harem en son nom, afin que personne ne le sache. Si les gens apprenaient que cette maison close était gérée par une Ashnardienne, personne ne viendrait, et les autorités s’empresseraient de le fermer. Mélinda avait donné sa véritable identité à Vierna, car elle avait appris, par le biais de son amie et mécène
Samara, que Vierna avait des racines démoniaques… Et qu’elle était proche du clan d’une amie de Samara, la redoutable Onyxian Magoa. Pour toutes ces raisons, Samara lui avait conseillé de se rapprocher de cette femme afin d’améliorer sa position à Nexus. Pour le dire autrement, le secteur était bien trop concurrentiel, et, si Mélinda voulait développer son activité, elle avait intérêt de trouver des alliés.
Elle savait que la prostitution n’était pas uniforme. À Nexus, il existait des bordels malfamés dans les bas-fonds et le long des ports, ciblant les marins, les soldats, et les ouvriers. Mais Mélinda, elle, avait, comme Vierna, un établissement plus luxueux, s’adressant à une population qui était de moins en moins nombreuse, en raison de la guerre, qui poussait beaucoup d’aristocrates à partir aux superforts se battre contre les troupes impériales. Mais, au-delà de ça, Vierna était une démone, et, comme pour Mélinda, si les autorités apprenaient ça, elle courait de grands risques. L’Ordre Immaculé était très influent à Nexus, et les démons n’étaient pas les bienvenus.
Vierna arriva donc dans le salon, portant une très belle tenue blanche, et d’élégants gants, ce que Mélinda nota. Très belle, elle avait une allure très princière qui lui alla à ravir. Lui souriant, Mélinda se redressa un peu, et s’adressa à elle :
«
Bienvenue, Madame Aslano. Je suis ravie de vous accueillir en ma demeure. »
Le nom de son lupanar était «
Saphir Rose », un pléonasme élégant.
«
Je m’appelle Mélinda Warren, et, comme je vous l’ai dit, je suis originaire d’Ashnard. J’espère néanmoins que vous saurez tenir cette information confidentielle. Les Ashnardiens ne sont guère les bienvenus à Nexus… »
Légalement, Mélinda était la propriétaire des lieux, qu’elle louait à bail à la matronne. Elle gérait ce bien par l’intermédiaire d’une SCI immatriculée auprès d’un Tribunal de commerce de Nexus, puisque sa SCI exerçait une activité commerciale. Mais la tenancière des lieux était une femme qui était son esclave. Ainsi, personne ne pouvait remonter jusqu’à elle, si ce n’est en traçant l’origine des capitaux, mais, tant que le
Saphir s’acquittait de ses impôts, jamais l’administration fiscale n’aurait à le faire.
Toutefois, consciente qu’elle ne savait encore rien de cette Vierna, et qu’elle ne pouvait pas se fier uniquement à la remarque de Samara, elle rajouta rapidement, toujours en souriant, mais en précisant bien que, si elle le voulait, elle pouvait, elle aussi, nuire à la réputation de Vierna :
«
…Pas plus que les démons. »
Certes, Vierna avait certes la réputation d’engager des démons, mais, si cette réputation parvenait jusqu’aux oreilles de l’Inquisition… Eh bien, disons juste que l’Inquisition n’était déjà, de base, pas très tolérante avec les maisons closes, alors, il ne leur fallait généralement qu’un prétexte pour les fermer.