« Ça a tout à voir avec la confiance, pourtant... »
La logique de Mélinda pouvait paraître difficile à saisir, mais elle était pourtant là. Outre sa beauté et sa perversion, les deux n’étant plus à prouver, il ne fallait pas oublier que la vampire était très intelligente, suffisamment pour avoir réussir à se hisser au sommet de sa position, elle qui n’était partie de rien. Akemi oscillait entre les deux sujets, évitant rapidement celui du sexe pour revenir sur le fait qu’elle ne voulait pas d’une nounou pour la chaperonner à vie. C’était un point de vue mâture, qui allait effectivement contre la logique et contre les arguments de Mélinda, ce qui lui offrait l’une de ces délicieuses joutes verbales dont, à chaque fois, elle se régalait goulûment. Mélinda aimait bien les personnes qui avaient du répondant, qui ne se laissaient pas convaincre trop facilement, car elles apportaient un défi supplémentaire. Et, pour autant qu’on se le dise, la vampire avait toujours été très joueuse, audacieuse, du genre à prendre des risques.
« La question, Akemi, ce n’est pas de brimer tes capacités, ou ton ascension sociale. Ce que j’offre, c’est un refuge, un endroit où personne ne juge les autres, un endroit où on peut s’affirmer sans la crainte d’être incompris, ou d’être mésestimé. Tu as beau avoir confiance en tes parents, tu ne leur racontes pas forcément tout. Tes pensées les plus intimes, tes désirs les plus secrets... Il y a chez l’être humain une peur, une peur fondamentale, liée à ce qu’il ressent au fond de soi. Les théologiens et les religieux ont conceptualisé ça sous la notion de péché originel, et, de ce que j’ai pu observer de votre espèce, c’est ça qui me frappe le plus. Vous avez toujours honte de ce que vous ressentez, de vos pensées et vos désirs inconscients, et vous vous brimez naturellement. Tu en es l’exemple vivant, ma chérie, puisque tu as adopté une autre forme... Alors, tu peux te dire que c’est ton organisme qui fait ça par raréfaction d’énergie magique sur Terre, mais je n’y crois pas. Tu l’as vu par toi-même, la magie existe en ce monde. Elle s’affirme moins librement que sur Terra, mais elle est tout aussi puissante ici qu’ailleurs. »
Mélinda reprit à nouveau, suivant sa théorie, se ménageant néanmoins une courte pause, pour se laisser le temps de respirer, et, surtout, le temps à Akemi de la suivre.
« Mon interprétation des choses, c’est que tu caches volontairement ta véritable forme par peur du regard des autres, car vous, les humains, fonctionnez ainsi. Certains n’ont pas besoin d’être guidés et conseillés, tu as tout à fait raison, mon petit cœur, mais il n’empêche que tous les humains ont peur... Et, en un sens, ils ont raison d’avoir peur. Si chaque individu laissait toutes ses pulsions profondes, tous ses désirs inconscients, s’exprimer continuellement, votre civilisation s’effondrerait sous le chaos et l’anarchie. Il est donc nécessaire, pour fonder une civilisation bâtie sur des règles, de restreindre vos désirs et vos pulsions. Mais pourquoi faudrait-il le faire tout le temps ? Ce manoir, Akemi, ce que j’offre, c’est une parenthèse sur la vie. Un endroit où n’importe qui peut s’épanouir, et faire ce que bon lui plaît. Certes, il existe aussi des règles, mais, crois-moi, ici, les gens sont bien plus libres que dehors. Et tout ça, tout ce paradoxe entre servitude et liberté, tient en un seul mot... »
Elle brandit son doigt, et laissa, encore, un peu de suspens. Mélinda exprimait tout le fil de son raisonnement, et atteignait maintenant sa juste conclusion :
« ...Le sexe. 95% – et je suis encore assez généreuse sur cette estimation – des désirs inconscients concernent le sexe, les fantasmes, toutes ces choses impossibles à faire dehors, avec le regard des autres. Mais ici, à Seikusu, et plus particulièrement à Mishima, tu as dû remarquer que le sexe n’est pas cette grande inconnue dont tout le monde a peur. Ici, dans ce manoir, je ne fais que partager cette philosophie. Tu veux savoir le lien entre sexe et confiance ? Il est là, sous ton nez. Quand on couche avec une personne, c’est qu’on a confiance en elle. Du moins, pour les personnes civilisées et éduquée. Qui y a-t-il de plus précieux que de donner son corps à une autre personne, que de s’unir avec elle ? Si le sexe a été, et est toujours, l’apanage de l’amour, ce n’est pas pour rien. Le sexe, dans ce qu’il devrait être, est l’incarnation physique, matérielle, d’une relation émotionnelle forte, qu’on réserve par usage aux amoureux, mais qui s’applique dans d’autres types de relations. S’offrir à quelqu’un, s’offrir de manière consentie et éclairée, c’est, fondamentalement, lui faire confiance... Et c’est cette confiance que je veux tisser avec toi, Akemi, pour tisser notre relation future, et te confier mes plus grands secrets. »