Tonnefoudre était un endroit très perturbé, où la magie avait corrompu les éléments. Jadis, Terra était une planète similaire à Terreaufair, parcourue par des cyclones et par des tempêtes magiques et élémentaires de grande envergure. Si ces tempêtes avaient disparu, Tonnefoudre était un singulier héritage de ces temps ancestraux, ces temps où l’humanité n’existait même pas encore, ou à un stade très embryonnaire. Ceci avait pour conséquence que, si Sha avait pu suivre, par la magie, le parcours d’Açoka, à Tonnefoudre, elle avait du mal à la repérer. Et Sha, en ce moment, dans son temple, savait qu’Açoka était là-bas. Tandis que l’Ashnardienne grimpait les hauteurs des Monts-Tonnerre pour rejoindre Cair Viscri, elle, assise sur son fauteuil, avait les yeux clos. Son manteau était ouvert sur son corps nu, et, entre ses pieds, une femme était en train de jouer avec son membre, lui prodiguant une fellation, pendant que son esprit flottait, cherchant à la pister.
*
Méfie-toi, Açoka...*
Sha avait détaché son esprit de son corps, et entretenait ce dernier à travers le sexe, afin de pouvoir naviguer plus facilement. La chose pouvait paraître paradoxale, mais, sous sa forme éthérée, l’Ombre était beaucoup moins sensible au sexe. Elle savait qu’Açoka voulait réussir seule cette quête, mais Sha ne tolérerait pas que sa fierté la mette en danger. En effet, l’Ombre connaissait bien Açoka, et elle savait surtout que la femme voulait prouver s avaleur à ses yeux, par rapport à celle de Kiriko. L’Ashnardienne était une femme amnésique, qui avait été éduquée par Samara. C’était d’ailleurs grâce à l’Archimage, qui assurait le rôle de diplomate entre Sha et l’Empire, qu’Açoka était venue à son service. Elle était l’une de ses élèves et amantes, qui avait accompli avec brio ses classes militaires. C’était Samara qui avait inscrit Açoka dans les fameux Escadrons de la Mort, des escouades envoyées par Ashnard dans des missions-suicides dans les recoins les plus dangereux de Terra. Des zones similaires à Tonnefoudre.
Dès lors, difficile de dire si l’inquiétude de Sha venait du fait qu’elle avait peur qu’Açoka prenne trop de risques... Ou si elle craignait simplement que la femme ne mette sa vie en danger. Et, tandis qu’elle se rapprochait, que son esprit survolait Tonnefoudre, elle pouvait sentir, au-delà des perturbations magiques, toute la malveillance qui s’échappait de Cair Viscri. Hélas, Sha était bien incapable de l’aider davantage. Fort heureusement, Açoka disposait, dans son équipement, d’une sorte de cristal, qu’elle pouvait mettre sur un miroir, afin de créer une connexion avec le temple de Sha. À Tonnefoudre, même si la liaison serait compliquée, Sha pourrait l’entendre, et venir la soutenir, si jamais la situation s’en faisait sentir.
Açoka, elle, se trouvait donc devant la porte d’entrée, qui s’ouvrit à son approche. Le fait que le manoir soit en parfait état était significatif. Une force malveillante régnait ici. Le hall d’entrée était une grande pièce avec un lustre massif sur le plafond, et un double escalier intérieur menant vers une mezzanine en hauteur, faisant tout le tour du grand hall. Les éclairs illuminaient la zone, à travers de grandes fenêtres à l’entrée, donnant vraiment une impression de cauchemar. Pour autant, si Açoka éclairait les lieux, elle pourrait voir de multiples toiles d’araignée, de la poussière, et de multiples meubles ruinés. Le tapis rouge recouvrant les escaliers était poisseux.
Cependant, ce n’était pas tant ça qui frapperait les esprits, mais les cadavres gisant sur le sol. Des corps squelettiques, à force d’être ici. Il n’y avait même plus de sang, et quelques araignées s’étaient nichées dans les squelettes, qui portaient encore, sur eux, des armures très anciennes, des écussons témoignant de leur appartenance à l’Empire. Il y avait un peu plus d’une dizaine de cadavres, et, sur l’un d’eux, un carnet gisait sur le sol, tâché de sang, et comprenant quelques informations :
[...] N’aurions jamais dû entrer ici. Le pont s’est effondré, nous sommes bloqués. La piste de Maximus nous a menés jusqu’ici, mais j’ai bien peur de ne pas pouvoir être là pour découper la première part du gâteau aux myrtilles de ta mère, ma chérie. Cette quête était vaine dès le départ, mais maintenant... J’espère presque mourir avant que la folie ne nous emporte. C’est un endroit hanté, et, le pire, c’est quand nous dormons. Ça gratte derrière les murs, ça ricane dans les couloirs, comme s’il y avait quelqu’un, mais, à chaque fois que je sors, je ne vois personne. Theron, notre mage, nous dit que l’endroit est hanté, que Maximus a dissimulé son trésor... Mais qu’est-ce que j’en ai à faire, maintenant, de ce trésor ? Tout ce que je veux, c’est partir d’ici !
Le reste du carnet était illisible.
Le plus étonnant, c’est qu’il n’y avait aucun corps de monstre ici, et que certains cadavres avaient des épées ashnardiennes plantées dans le corps. Il ne fallait, dès lors, pas être grand clerc pour comprendre que ces gens s'étaient entretués.
Et, tandis que ces corps commençaient à se dévoiler, des grognements se firent entendre, émanant des profondeurs de ce manoir fortifié...