Plan de Terra > Territoire de Tekhos

Réunion (remasterisée) [Sail Ursoë + Sekhmet]

(1/3) > >>

Xatiav:

   Il observait depuis son perchoir la sombre ville de Tekhos, qui s’étendait en répandant un magnifique nuage obscurcissant les landes arides dans lesquelles il se trouvait. Il était accroupi sur une branche, la branche d’un arbre à demi desséché, sur lequel ne poussait plus une pauvre feuille. Il aimait bien les endroits hauts-placés, car ils permettaient généralement de découvrir le paysage alentour. Une faible lumière transcendait les nuages obscurs qui annonçaient une forte pollution ainsi qu’une averse. La température fraîche comme la pression de l’air indiquaient aussi sûrement qu’il ne voyait la ville, qu’une pluie menaçait. Il aimait bien la pluie, et détestait la lumière du soleil. Il n’aimait ni le soleil, ni sa lumière, car son œil gauche n’aurait supporté une trop vive luminosité, et son œil droit était plus faible en pleine lumière. La lumière pouvait le détruire.

   Il observait le monde tel qu’il venait. Une vaste étendue aride, sombre, au large allaient vers Tekhos quelque faibles lacs aux reflets d’argents, reflets créés par la faible luminosité. Il attendait ici la venue de grands esprits. Il avait si longtemps cherché à rencontrer d’éminentes personnes qu’il en était assez impatient. Il attendait depuis quelque temps déjà … Il avait laissé un message d’invitation fixant le lieu et l’heure du rendez-vous à chacun … Et si, et s’ils ne venaient pas ? Il n’aurait qu’à lui-même aller à eux. Ce ne serait si compliqué, de les retrouver.

   Pour passer le temps, il mit la main dans une poche interne de sa veste. Il en sortit deux tubes à essai. L’un contenait de l’a Athtratium dilué, et l’autre du Chyste Athrium. Le premier était un régénérateur cellulaire si puissant qu’il pouvait guérir les blessures impossibles par leurs ampleurs, et l’autre était un réactif chimique dont il se servait en biochimie pour synthétiser les éléments du corps humains. Il se mit à observer longuement les deux liquides.

   Une brise passa. Quelques herbes séchées se penchèrent quelque secondes. Un mistral transportant de la poussière passa. L’étendue désertique ne variait pas. Au large, quelques formes bougeaient. Des soldats de la ville technologique. Mais il n’y avait pas qu’eux. Quelques monstres erraient. Il détacha son regard de ses fioles, les accrocha à sa ceinture et passa sa mains dans ses longs cheveux noirs. Le vent manqua de faire bouger sa mèche, laquelle cachait son œil de cristal. Il passa donc la main dans ses cheveux en faisant attention de ne pas faire bouger sa mèche. L’arbre mort sur lequel il se trouvait était situé lui-même sur une steppe assez élevée des contrées arides qui entouraient Tekhos. Etais-ce des vestiges, d’anciennes ruines d’une population qui autrefois avait vécue en ces lieux ? Il ne le savait pas, et cela ne l’intéressait pas.

   Il était habillé d’un long manteau noir, maintenu par quelques ceintures, cinq, très exactement. A ces ceintures, étaient accrochés plusieurs fioles et tubes a essais dans lesquels se trouvaient de précieux liquides qu’il avait synthétisé lui-même, et à une autre ceinture se trouvait ses deux sabres. Ses katanas, fidèles compagnons, qu’il emmenait partout avec lui. C’était par expérience de la vie, expérience des combats … Et parce qu’en tout temps, ceux-ci pouvaient lui permettre d’obtenir de précieux ingrédients. Les terres de Tekhos regorgeaient d’ingrédients rares.
   
Il sentait d’autres présences dans la région, et principalement, derrière lui, son arbre étant situé en rebord d’une sorte de falaise, qui descendait sur le niveau suivant. Comme quoi, il se révélait encore une fois que tout venait à point à qui savait attendre.

Saïl Ursoë:
Saïl ruminait.
Loin de l’auteur l’idée de le faire passer pour une vache, mais le fait était qu’il ruminait avec une insistance presque masochiste pensées, théories et suppositions à n’en plus finir, l’esprit si hanté de l’objet de la visite qu’il venait rendre qu’il n’en accordait qu’une attention relativement distraite à ce qui l’entourait, lui qui était habituellement si alerte par rapport à son environnement qu’il fallait se lever de bonne heure pour lui passer sous le nez sans se faire remarquer. Heureusement, sans lui être aussi familiers que les alentours de sa maison, les plateaux désolés qui entouraient l’imposante –et même effrayante- métropole de Tekhos étaient loin de lui être inconnus, et il pouvait ainsi y évoluer en cernant son évolution de précautions acquises par la force de l’habitude pour éviter de tomber sur un des nombreux dangers que recelaient les environs : c’était que même si ces contrées avaient un aspect moins sauvage que les terres du même non, il n’était pas impossible de tomber sur une des mille créatures hostiles qui les arpentaient, qu’elles fussent humaines, animales, machines… ou autres. Oui, ce « autres » n’était pas rassurant, mais il avait pu lui-même voir des entités qui défiaient l’imagination et qui pouvaient à bon droit être appelées des abominations tant elles semblaient issues de quelque cauchemar immonde et traumatisant… mais pas la peine de penser à des choses aussi peu réjouissantes, ce n’était pas ce dont il était question.
Ce dont il était question était cette fichue lettre qu’il avait « reçue » il y avait quelques jours de cela qui se trouvait en ce moment même dans une des poches de son pagne et qu’il n’avait pas besoin de relire pour en savoir le contenu tant il l’avait appris par cœur à force de la reparcourir sans véritablement pouvoir y trouver rime ou raison. D’ailleurs, cela n’avait pas été difficile étant donné que ce que ce pli blanc vierge de toute marque d’expéditeur et de toute odeur abritait un message faisant preuve d’un esprit de concision qui frisait franchement la sècheresse ; que l’on juge plutôt :

Docteur Ursoë

Veuillez vous rendre dans trois jours au plus haut point des steppes jouxtant Tekhos à 17h17

Neutralement

Xatiav
Et ces paroles manuscrites incongrues étaient tout ce qu’il y avait à rapporter : pas le moindre message dissimulé, pas le moindre code décryptable, pas le moindre système d’encre sympathique ou de tout autre moyen de camoufler un langage écrit, ce qui l’avait laissé hagard devant ce morceau de papier qui n’avait cessé de lui tarauder l’esprit durant le quelques jours passés avant celui du rendez-vous, l’empêchant de se concentrer convenablement sur son travail, de trouver le sommeil sans s’être au préalable dix fois retourné comme il se retournait le cerveau, de chasser même sans se demander à tout instant ce que ce pli aux allures de farce pouvait bien impliquer. Le mot « reçue » avait été mis entre guillemets, car il l’avait tout simplement trouvé innocemment posé sur le seuil de sa maison alors qu’il sortait de chez lui en s’étirant pour apprécier la fraîcheur du soir après une bonne matinée de repos, ce qui laissait à penser que l’expéditeur n’était pas du menu fretin pour non seulement avoir deviné l’endroit où Khral se cachait, mais en plus pris connaissance de ce qu’il était véritablement, en ce qui concernait son identité tout aussi bien que sa profession. Ce « Xatiav » dont le nom lui était bien évidemment inconnu –sinon ça n’aurait pas été drôle-, qui était-il au juste bon sang de bonsoir de nom d’une clepsydre anhydre ? Pourquoi avait-il besoin qu’il vienne à sa rencontre, que lui voulait-il, et de quel droit d’ailleurs se permettait-il de venir le tirer de la semblance de quiétude que lui apportait son existence plus ou moins routinière pour Dieu savait quelle raison ? De fait, Saïl aurait très bien pu lui dire merde et ne pas répondre à une invitation aussi dénuée de sens, mais hélas, la curiosité était un des défauts qui avaient le plus de prise chez lui, et il s’était donc mis en route sur le coup de seize heures, quittant son antre d’un bond pour se mettre à galoper avec ardeur en direction des territoires tekhans, autant pour arriver le plus à l’heure possible que pour évacuer la tension nerveuse qu’il avait accumulée précédemment à l’idée de ce qui pourrait survenir une fois sur place : était-il possible que tout cela ne fût en réalité qu’une grossière mascarade dont le but était simplement de l’amener à sauter à pieds joints dans un piège ? C’était peu probable, car plutôt que de le faire aller à Perpète-les-oies, il aurait en toute logique été bien plus facile de lui tendre une embuscade à la sortie de sa caverne, mais il restait que le contrôle que celui qui l’avait fait mander avait l’air d’avoir sur les choses le mettait mal à l’aise.

Enfin, après ce qu’il estima être une bonne heure de parcours, il atteignit les steppes mentionnées dans la lettre qu’il commença à escalader presque sans effort, sa musculature lui permettant de grimper avec aise et agilité pour s’élever jusqu’au sommet de cet édifice de pierre naturelle. L’oreille et le museau aux aguets pour se prévenir d’autant qu’il lui était possible des mauvaises surprises, il montait avec détermination, n’excluant toutefois pas tout le long la possibilité que toute cette histoire fût en réalité une sorte de vaste et déplaisant canular orchestré par un mauvais plaisantin qui en savait un peu trop. Aussi, quelle ne fut sa surprise lorsque, au bord d’une falaise qui surplombait la ville de Tekhan, sur un arbre mort mais encore étonnamment solide, il aperçut un humain (?) paré de bien curieuse manière lorsque sa tête émergea des derniers degrés pierreux : « curieux » était un bien faible terme pour décrire un individu pareil à vrai dire, car même en le voyant de dos, le scientifique qui en avait pourtant vu des vertes et des pas mûres pouvait affirmer avec certitude que jamais de sa vie il n’avait connu quelqu’un vêtu d’une manière aussi… originale. Rien que le grand manteau qui faisait étrangement penser à un personnage de Matrix (il ne faut pas avoir peur des références un peu faciles parfois) était quelque chose qui dénotait franchement bien que cela ne s’accordât pas mal avec les longs cheveux noirs de celui qui ne pouvait décemment être quelqu’un d’autre que Xatiav, mais les deux katanas qu’il arborait évoquaient là franchement un personnage issu d’une délirante fiction. A ajouter à cela les diverses éprouvettes contenant des liquides bariolés dont il garnissait une deuxième ceinture –et qui ne manquèrent pas de susciter l’intérêt vivace du savant-, et vous aviez là le portrait d’un drôle de zèbre ; de quelqu’un au nez duquel vous auriez bien ri pour son accoutrement si celui-ci ne vous avait justement pas fait crapahuter depuis chez vous pour une raison inconnue.

Il ne paraissait pas avoir remarqué sa venue, et donnait l’impression que d’une ruade, Khral aurait pu précipiter à bas son perchoir et lui avec, mais quelque chose disait à l’homme-loup qu’il l’avait au contraire bien senti venir et attendait simplement qu’il prît l’initiative pour réagir. Sans chercher à faire preuve de furtivité, ne voyant de toute façon pas vraiment pourquoi il aurait voulu lui rentrer dans le lard sans autre forme de procès, il s’approcha donc jusqu’à arriver à à peine deux mètres de sa position où il déclara avec un ton légèrement caustique :

« Docteur Xatiav je présume ? »

Xatiav:
Son invité était arrivé et n’avait, à juste titre, pas l’air content du tout. De fait, il serait difficile de ne pas être en colère après s’être fait signifier qu’on avait un rendez-vous pratiquement à l’autre bout du pays sans connaître l’objet de celui-ci. Le Docteur Ursoë s’approcha donc de lui en ne cherchant sous aucunes formes à dissimuler son imposante présence. Il attendit patiemment le contact. Lorsque l’on avait passé son existence à rencontrer des gens particuliers, que ce soit un homme étrange qui arborait le fait d’être JYL, et dont l’âme était séparée en deux parties identiques, une guerrière séculaire qui prétendait conquérir le monde aux moyens d’une quelconque arme divine, une jeune femme dotée d’une sensibilité approchant la sienne et dont l’intelligence lui eût démontré qu’il ne valait mieux sous estimer les gens, et qu’il pouvait se faire vaincre par une simple lampe torche pour peu qu’il ne protégeait pas de la lumière son œil gauche, ce qui eût pour effet de modifier radicalement son allure. Quant on avait été le créateur d’une jeune fille quelque peu particulières aux yeux résolument vairons, laquelle avait été envoyée par des moyens peu orthodoxes se trouver un maître et dont la pupille lui envoyait quelque fois des informations, banales comme intéressantes, on était paré psychologiquement à affronter toutes sortes d’humeurs. D’autant plus que son gout vestimentaire, certes pratique, mais quelque peu original lui avait valu de nombreux calembours dont les initiateurs décédèrent trop prématurément pour voir la foule en rire. Et par ailleurs, après avoir constaté le sort réservé aux rieurs, la foule ne riait généralement pas. Le Docteur Ursoë lui demanda par ailleurs d’un ton « légèrement » cassant s’il était bien le « Docteur » Xatiav. Il réfléchit quelque peu à cette question. Pouvait-on le considérer comme un docteur ? Cela était étrange. Si l’on admettait que le meurtre était une manière de soigner les gens, il aurait sans doute pu être qualifié de Docteur. Il allait sans dire que pour lui, la loi avait autant de signification qu’un rouleau de papier toilette sur lequel aurait été dessiné des petits cœurs roses et écrit des mots d’amours a l’encontre d’une personne qu’il ne connaîtrait éventuellement pas. Il considéra de fait que d’humeur massacrante, son invité pouvait être apte à appliquer le principe massacrant de son humeur. De fait, il devrait descendre de son perchoir. Il n’aimait guère l’idée, car il avait toujours, oui, même à l’académie, apprécié d’être en hauteur. Que cela soit un clocher, un arbre divin, une girouette au sommet d’un clocher, ou le sommet du mat d’un bateau, il adorait les endroits hauts placés. Ceux-ci permettaient d’avoir une vue contemplative sur le reste des environs, et d’être en plus pratiquement le seul à des kilomètres à la ronde. Son tempérament solitaire l’amenait souvent en des lieux étranges, son laboratoire à cent kilomètres en dessous du sol, par exemple. Il se releva quelque peu. Il descendait de son perchoir, pour une raison lui semblant très facultative, mais nécessaire pour des raisons évidentes de sécurité, ainsi qu’avec la conviction que se situant sur la plus haute steppe de tout le territoire, il restait de toute évidence, bien haut. Son objectif n’était pas de se mettre plus haut que le docteur Ursoë, bien entendu, mais il aimait tellement, à l’air libre, la hauteur, qu’il ne pouvait pas s’en empêcher. En lieu fermé, c’était plutôt la profondeur qui l’attirait. Quoi qu’il puisse en être, Xatiav descendait de son arbre. Il se laissa tomber en face du Docteur Ursoë avec lenteur et conviction. Non que sa chute fût lente, mais ses mouvements l’étaient. De fait, il se déplaçait en silence. Les créatures qui hantaient la région étaient réceptives au bruit. Il se retourna, faisant de fait face à son interlocuteur. La première pensée qui lui vint à l’esprit était qu’il avait eût singulièrement raison de ne pas l’inviter en Tekhos elle-même. Un individu faisant 1,5 fois la taille d’un être humain normal, au profil lupin, accompagné d’un individu étrange à l’ œil entièrement rouge aurait quelque peu attiré l’attention. Et il y aurait eu de fortes chances qu’à moins d’un bain de sang, ils auraient eu quelque difficulté à se soustraire aux forces de l’ordre. Son œil de sang jaugeait le Docteur Ursoë en toute quiétude. Il était impossible pour quiconque autre que lui-même de définir si cet œil bien étrange pouvait voir, et dans quelle direction il pouvait voir, tout comme le degré de l’intensité du regard qu’il pouvait porter. Il avait par ailleurs adopté une position aussi significative que ne pourrait l’être un homme politique arrivant devant un président. De fait, il se tenait droit, et son visage, outre son sourire vide, affichait une inexpressivité comparable aux déserts alentours, et son corps dans l’ensemble était doté d’une mobilité de parcmètre. Il finit après un cours laps de temps qui aurait pu interpréter de manière différente selon les personnes, le degré d’impatience, ou l’humour. Cela dépendait. Il affirma donc d’une voix neutre et claire :

« Docteur, professeur, cela dépend de nombreux critères. Mais d’un point du vue général, je suis bien plus un scientifique qu’un médecin. Oui, vous l’eûtes bien deviné, je suis bien celui qui répond au nom de Xatiav. Je vous remercie d’avoir répondu à mon invitation quelque peu particulière. Je suis heureux de vous rencontrer, enfin.»

   En scientifiques, il avait cherché la crème de la crème, et avait aussi invité une scientifique située quelque part dans le territoire ou ils se trouvaient en ce moment. Une dénommée Sekhmet. Mais viendrait-elle, il ne pouvait le dire. Il crut bon de ne pas tenir informé son hôte  - Si l’on pouvait appeler Sail ainsi – de cette donnée encore trop inexacte. Il maintenait un contrôle acharné sur les mouvements exécuté dans la région, espérant peut-être pouvoir annoncer l’arrivée prochaine d’un nouvel éminent savant. Faisant toujours face à son invité, il s’efforçait de maintenir une ambiance ne descendant pas nécessairement en dessous de 0 degrés. Ce qui était un coup de maître qu’il avait peine à réaliser, étant donné l’environnement, la conjecture des évènements, la méthode d’invitation, et la méthode de réception. Arrivant aisément à la conclusion que son interlocuteur aurait, nom de Dieu, aimé découvrir ce qu’il faisait à se geler sur une haute sphère d’un territoire immensément grand et immensément dangereux, loin de son foyer et reçu aussi chaleureusement qu’un agent de police décernant une contravention pour la mauvaise position d’une charrette de foin. Il résolut d’en dire un peu plus sur le motif de l’invitation, l’objet de cette « réunion » quelque peu particulière. En effet, il était véritablement rare qu’un humain invite un homme-loup à trotter quelque kilomètres. D’autant plus si le loup en question faisait 1,5 fois la taille du prétendu humain en question. Il n’était peut-être pas humain, mais d’humain, il avait la taille moyenne. Il s’exprima donc sur l’habituel ton monocorde qu’on lui connaissait, ton qui laissait  quand même transparaître un certain ravissement à l’idée de voir une si importante personne -certes susceptible de l’assommer en tout instant- répondre  à son invitation. Il n’allait que rarement en ville, et la plupart de ses sorties en milieu urbain l’avaient désenchantées. Et il était impossible d’inviter le Docteur Ursoë en milieu urbain, sous peine d’avoir une mûre explication avec les forces de l’ordre, les marchands d’esclaves et les gardiens de zoos pensant avoir repéré un spécimen intéressant. Il parla donc.

« Je suis un alchimiste spécialisé en biochimie. La biochimie est une branche de l’alchimie de vie afférente à l’étude avancée du corps humain, et d’autres formes de vies par la même occasion. Cette branche se spécialise en biologie, laquelle est mêlée à l’alchimie. Ce qui s permet à un biochimiste de niveau moyen de décrypter l’ensemble des secrets d’un corps humains, le fonctionnement d’un cœur, du cerveau, et d’autres organes aussi complexe sur lesquels nombres de scientifiques achèvent de ronger leur cent-quarante-trois-millième stylo. Je vous prie d’excuser la méthode de l’invitation, mais ce territoire semble tout-à-fait indiqué pour prévenir les éventuelles oreilles indiscrètes … »

   Il résolut de justifier quelque peu sa position de scientifique au docteur Ursoë, afin d’être pris au sérieux, malgré son costume d’assassin qui sortait quelque peu de l’ordinaire. Il mit la main dans son manteau et tira d’une poche intérieure une enveloppe sombre sur laquelle une croix inversée superposée sur un grand X ressortait, de par sa couleur rouge sang. Il aimait les couleurs vives et gaies. De fait, pratiquement tout son matériel était noir, violet, ou rouge. Il tira de l’enveloppe une liasse de feuilles. Cette liasse, qu’une seule personne, lui-même, avait eu le loisir de consulter, était un des plus grands chefs d’œuvre scientifique réalisé par lui-même, et pour l’instant sa plus grande réussite : les formules constitutives, les matières, les équations, l’ensemble de ses propres écritures, lesquelles étaient réunies dans un lourd dossier dont le titre, affiché clairement en rouge sur la page de garde, était « Projet Nereid ». Il tendit le dossier au docteur Ursoë.      

« Ceci est un exemple plus concret de cette branche obscure et complexe de l’alchimie, une de mes dernières expériences sur la synthèse d’un corps humain artificiel, effectué voici dix ans de cela. Cet homoncule parcourt actuellement le monde en recherche d’un maître. »
   
Le projet ayant été montré, il avait bon espoir d’être pris pour autre chose d’un potentiel blagueur. Il pensa vaguement qu’il avait eu raison d’emporter le fascicule du projet Nereid. Même si entre ses notes sur le développement de l’embryon artificiel, la synthèse d’un cœur, d’un esprit et d’un cerveau fonctionnel, ainsi que le synthétiseur d’âme intégré au résultat final plaçait le fascicule en question à un bon millier de pages. Il se doutait, bien entendu, que le docteur  Ursoë, qui était infiniment loin d’être stupide, avait déjà compris l’objectif de « l’invitation ». Il désirait parfaire ses expériences, et recueillait tout ce qui pouvait l’amener à créer un autre homoncule, mais parfait. Sans aucuns défauts, sans aucunes faiblesses … Il estimait qu’il allait travailler quelque peu tard avant de parvenir à ses fins. Pour l’instant, le temps supposé de travail serait de 9x8x7x6x5x4x3x2x1 heures de travail, soit trois-cent-soixante-deux mille huit-cent quatre-vingts heures de travail, pour n’avoir qu’un système d’équation à cinq-milles inconnues. Certains considéreraient déjà ce fait comme un travail à part entière, et comme un très bon résultat. Pas lui. Le seul résultat qu’il tolérait, c’était la perfection incarnée. Nereid ne s’était pas révélée parfaite sous tout les angles, mais ce sur quoi il avait travaillé, la morphologie et le principe de la synthèse  automatique d’âme selon la personne qui enlevait son collier maudit, était déjà remarquable. Il espérait apporter en ce jour autant que recevoir. Il coupla le geste de son bras tendant le projet par les paroles suivantes :

« J’ai un intérêt particulier pour la synthèse de substance, quelque unes desquelles sont actuellement à ma ceinture. Les résultats diffèrent selon les dosages, mais avec cela - Il désigna trois fioles et une rangée de tubes à essais vides – il y a moyen d’obtenir la synthèse de produits assez rares. »
   
Et enfin, l’information que Sail Ursoë serait en mesure d’attendre, l’information qui expliquerait quelque peu le message déposée devant sa porte, silencieusement, en pleine nuit, et qui avait poursuivi obsessionnellement son destinataire jusqu’à ce que celui-ci, légèrement mécontent, vienne se poster de toute sa stature au lieu du rendez-vous, à l’heure du rendez-vous, devant cet être étrange qu’était Xatiav. A ce stade de la discussion, le docteur Ursoë pouvait déjà s’être fait son opinion sur l’individu qui était en face de lui, lequel ne semblait en aucune manière surpris de voir un loup-garou deux fois plus grand que lui entamer une discussion. Il sélectionna donc ses mots, pour ne pas révéler de but en blanc sa nature que de toute façon il ne devait pas connaître lui-même. Sa phrase suivante détailla quelque peu la raison d’avoir envoyé Sail dans un trou perdu qui pourrait être qualifié familièrement de « trou du cul du monde ». Il ajouta donc avec un ton neutralement monocorde :

« J’ai cru comprendre que vous étiez un grand savant et un homme (loup) d’une grande intelligence et doté d’une vaste connaissance. Vous auriez déjà peut-être compris l’objectif de mon invitation, si l’on peut qualifier cela ainsi. Je désirerais m’entretenir avec vous sur thèmes scientifiques. »
   
Les points se trouvant gracieusement placés sur les i, et cependant de manière polie, il attendit la suite. Il y avait des chances que le docteur Ursoë s’intéresse au projet qui constituait la naissance de Nereid, car celui-ci ne traitait ni de clonage, ni d’immaculé-conception, ni de fécondation in-vitro, mais bel et bien de la synthèse pure et totale d’un être vivant avec pour point de départ une feuille et un tube à essai. 

Saïl Ursoë:
Chaque jour de chaque vie présente son petit lot de surprises, de désagréments, de turpitudes subies qui font que rien ne se passe jamais véritablement comme vous l’auriez prévu : l’évier de votre salle de bains peut se retrouver bouché, et vous devez alors passer un bon moment de manipulations hasardeuses et de jurons divers à faire en sorte de le réparer, ou bien votre chat se met en tête d’uriner copieusement dans un coin de la cuisine pour une raison incertaine, ce qui vous oblige à lui mettre un bon coup de pied avant de se mettre à l’ingrate tâche de nettoyer ses cochonneries. Saïl lui aussi devait faire face à des bizarreries de ce type, sauf qu’elles revêtaient un tout autre calibre : ça pouvait être une vampire qui faisait irruption dans sa maison alors qu’il était tranquillement en train de dormir, une humaine engrossée par un démon en train d’accoucher sur son territoire… ou bien tout simplement un des types les plus bizarres auxquels il eût jamais été confronté –ce qui n’était pas peu dire !- qui le conviait à venir le rejoindre à des kilomètres de chez lui pour une cause aussi obscure que l’était la nature et les origines du type en question, lequel était aussi réactif que s’il n’avait été qu’un mannequin fichtrement bien réalisé. Estimant d’ailleurs un instant que ce pouvait bien être le cas, Khral fit exécuter à ses radars auditifs un bref tour d’horizon de manière à vérifier qu’aucune menace ne se profilait tout en faisant de son mieux pour conserver un air détaché, puis, lorsqu’il fut aussi certain qu’il pouvait l’être qu’il n’y avait rien d’autre à signaler que le souffle du vent et quelques sons trop lointains pour être dignes d’attention, reporta son attention sur le zigue haut perché qui avait conservé une immobilité toujours aussi fantastiquement parfaite, n’ayant manifestement pas bougé d’un pouce. L’homme-loup avait des manières, et savait se montrer de la plus exquise politesse lorsque les circonstances le requerraient, mais il commençait à se demander s’il ne devrait pas, pour sortir ce drôle d’oiseau de sa torpeur, ajouter autre chose ou le secouer au sens propre, quand l’intéressé se décida en fin de compte à faire preuve d’une activité qui prouvait qu’il était en vie lorsqu’il descendit de son piédestal avec un bond d’une souplesse et d’une furtivité digne d’un ninja, ce qui ne manqua pas de le mettre mal à l’aise, surtout quand il put s’apercevoir qu’il n’était pas moins impressionnant de face que de dos. Ses yeux en particulier étaient frappants, car en guise de globes oculaires, des petites orbes d'un rouge déstabilisant aux reflets écarlates étaient incrustées dans ses orbites et leur éclat tous simplement surnaturel semblait littéralement percer son esprit de part en part. Le regard de Kira, la vampire aux iris rouges, avait certes quelque chose de dérangeant et de flamboyant qui montrait qu’il ne fallait pas plaisanter avec elle, mais avec celui qui lui faisait face en ce moment même, on atteignait une intensité digne d’un rayon laser : les yeux sont les fenêtres de l’âme comme on disait, et Saïl n’était pas sûr de vouloir savoir ce que celle-ci recelait comme secrets !
Rompant le peu confortable silence qui s’était instauré, l’être aux allures de jeune homme que l’homme-loup devinait trompeuses finit par prendre la parole sur un ton dont la morosité n’avait rien à envier à un huissier de justice, répondant en longueur à la question posée au second degré avec le plus grand sérieux.

Saïl en avait connu des confrères, certains d’humeur entraînante, d’autres plus mesurés dans leurs excès, et même d’autres pour lesquels l’idée même d’enthousiasme paraissait devoir à jamais rester du domaine de l’occulte ; et il lui paraissait sans grand doute possible que celui qu’il avait devant les yeux appartenait à la troisième catégorie : il se disait « heureux », et pourtant, de sa voix ainsi que de son attitude transparaissaient autant de bonheur que s’il avait été en train de lire une liste de courses. C’était étrange, mais ça ne sortait au fond pas de l’ordinaire, ce qui n’était pas le cas des propos de Xatiav qui se conclurent par un « enfin » qui le laissa perplexe : l’avait-il ainsi dans le collimateur depuis longtemps déjà, et s’était-il donné la peine de l’observer pendant il ne pouvait savoir combien de temps avant de se décider à entrer en contact avec lui ? Il ne savait pas s’il devait se sentir flatté d’avoir eu un tel admirateur caché –même si il doutait que l’autre fût de nature à éprouver quelque chose comme de l’admiration- ou offusqué d’avoir été considéré comme une sorte de bête curieuse intéressante à examiner en tant que sujet d’expérience avant qu’on ne la teste sur le terrain. Ne sachant sur quel pied danser, il s’efforça donc de rester calme et posé en attendant les explications de son interlocuteur qu’il se sentait en bon droit d’espérer, car s’il se montrait aussi chaleureux qu’une chambre froide et d’une loquacité pareille à celle d’un ascenseur, il n’avait au moins pas l’air d’être du genre à se perdre en réponses sibyllines, ayant plutôt l'air enclin à aller directement dans le vif du sujet de la manière la plus claire et concise possible.
En tout cas, il lui était reconnaissant d’avoir choisi cet emplacement relativement éloigné de toute forme de civilisation, car si depuis le point d’observation qu’ils avaient, ils pouvaient tous les deux avoir une vue imprenable sur la métropole, il était à peu près assuré qu’ils ne seraient pas dérangés à une altitude pareille, ou en tout cas, qu’ils pourraient très aisément sentir le dérangement venir avant que celui-ci ne leur tombât dessus. Une telle position présentait l’avantage non négligeable que Khral n’avait pas à côtoyer la civilisation, tâche qui relevait tout simplement d’une mission impossible pour quelqu’un avec une apparence telle que la sienne : même en revêtant le meilleur déguisement au monde, sa taille ainsi que sa morphologie peu communes l’auraient sans l’ombre d’un doute trahi à moins que tous les citoyens ne fussent soudain frappés de débilité mentale profonde.

Enfin, le gaillard de noir vêtu et chevelu se décida à reprendre la parole, approfondissant quelque peu sur ses qualifications pour le plus grand intérêt de Saïl qui ne put empêcher ses yeux de s’écarquiller un instant à la mention de la démonstration d’alchimie de celui qui était manifestement un confrère. Bien sûr, leurs approches différaient franchement, et du point de vue de la catégorisation des domaines autant que de celui du raisonnement, ils ne procédaient pas de la même manière, mais dans le fond, les deux conceptions se recoupaient admirablement, et on pouvait dire que l’alchimie était à Terra ce que la science était à la Terre. Pouvait-on pousser le rapprochement jusqu’à dire que Xatiav était son homologue ? Les apparences n’allaient pas en faveur d’une telle comparaison… quoique avec le look de ce dernier, il ne faisait pas moins original que l’immense homme-loup avec son barda digne d’un héros d’heroic-fantasy paré à combattre des hordes d’aliens ou à taillader des démons à la pelle ; et lui de son côté pouvait paraître sortir d’un film d’horreur ou d’une histoire merveilleuse peuplée de créatures toutes plus invraisemblables les unes que les autres, lancées dans une lutte sans merci et dans des complots destructeurs. Dans le fond, si l’on prenait la situation avec du recul, elle avait au lieu de cela quelque chose de convivial et même de divertissant qui ne manqua pas de frapper le loup-garou, lequel ne s’abstint pour autant pas de ne pas relâcher son attention, autant pour ne pas perdre le fil de la discussion que pour éviter qu’une mauvaise surprise d’un ordre plus physique ne lui tombât sur le poil.
A ce propos, il eut un petit mouvement défensif lorsqu’il vit l’homme du musée Grévin sortir comme par enchantement de son immobilité pour porter la main à sa poche, craignant quelque chose comme un pistolet anesthésiant –ou non, étant donné que ceux comme celui de cette ribaude blonde pouvaient faire un mal de chien-, aussi fut-il à la fois étonné et intrigué de le voir en tirer une enveloppe d’une taille assez phénoménale, portant un sigle bien étrange de couleur écarlate, ce qui fit soupçonner à Khral qu’étant donné les goûts douteux du bonhomme, cela pouvait bien être du sang, cette pensée renouvelant sa méfiance à son égard. Toutefois, son odorat le rassura bien vite à ce sujet en lui apprenant qu’il ne s’agissait là que d’une encre apparemment tout ce qu’il y avait de plus ordinaire, ce qui le décida à se saisir de la conséquente liasse de feuilles qui lui était justement tendue. Pour quelqu’un de son gabarit, avec des mains aussi larges que les siennes, il n’était pas un problème de tenir une masse pareille, mais pour Xatiav… qu’il parvînt à supporter un tel poids avec nonchalance démontrait si besoin était qu’il ne s’agissait pas d’un être humain ordinaire. Circonspect mais curieux, sans cesser de porter une oreille attentive à ses propos, il commença à compulser ce qui était de toute évidence un compte-rendu de recherches comme l’indiquait le titre en lettres capitales d’imprimerie de la même couleur que le symbole aux allures occultes précédent : « PROJET NEREID ». Etant donné la taille du dossier, il se contenta de le lire en diagonale, le compulsant en vitesse, les pages défilant sous une main soigneuse et habile alors que ses yeux devenaient gros comme des soucoupes à constater ce dont il était question : la création d’une vie humaine était un projet qui dépassait de loin les plus folles espérances des savants de son époque qui, eux, butaient encore sur les projets de clonage, et l’homme aux cheveux noirs y était manifestement arrivé, car bien qu’il ne pût en croire ses yeux, tout ce qu’il y avait de rapporté sur le papier était on ne pouvait plus clair et cohérent, laissant ainsi peu de place au doute contre toute vraisemblance.

« C’est remarquable… » Fut tout ce qu’il put parvenir à articuler alors que, les mains tremblantes, il continuait de parcourir les descriptions, explications et autres théorèmes divers qui parsemaient l’œuvre hors du commun.

De fait, Saïl lui-même était loin d’être certain qu’il aurait pu parvenir à un résultat semblable même en ayant eu une quantité considérable de temps à sa disposition tant les calculs et les raisonnements lui donnaient  la migraine, à lui qui pourtant pouvait se plonger dans les équations les plus alambiquées et en ressortir frais comme un gardon ! Certes, sa spécialité avouée en génétique était les mutations et non la génération, aussi pouvait-il d’abriter derrière cette raison comme explication de son manque de performance dans ce domaine –même s’il avait sans nul doute largement la main haute sur la très grande majorité au moins de ses confrères-, mais, indubitablement, Xatiav était quelqu’un de diaboliquement instruit et astucieux, et son intelligence en serait presque venu à lui faire peur s’il n’avait pas été quelqu’un à l’esprit plus raisonnable que cela. Et pourtant, de-ci de-là dans ce qu’il lisait, il pouvait déceler des traces de frustration qui laissaient à penser que le génie qu’il était restait insatisfait de ce qu’avait donné son travail, que ce n’était qu’une première étape d’un projet bien plus considérable et que l’avenir saurait lui donner des résultats bien plus satisfaisant pour ce qu’il avait en tête. Et qu’avait-il en tête justement ? L’homme-loup était plus conscient que quiconque des dérives auxquelles la science pouvait amener un être trop ambitieux ou trop imprudent, et bien qu’il ne se fût en aucun cas permis de considérer le porteur de katanas comme un bleu bite fantaisiste et chanceux, comme un apprenti sorcier tripatouilleur, il ne pouvait s’empêcher de frissonner en imaginant ce qui pouvait bien sortir d’un cerveau aussi dévoré par l’idée de quête de puissance.
Saïl non plus n’aurait pu nier qu’il courait après le succès, après la consécration de ses recherches, et même si c’était pour le bien de l’humanité, il s’effrayait parfois lui-même en pensant à ce que pourrait donner son savoir s’il venait à tomber entre de mauvaises mains : un presque gringalet comme lui avait été changé en une formidable machine de guerre potentielle par l’effet du Terranis, et il tremblait en pensant à ce qu’une armée de loups-garous surentraînés à tuer sans pitié serait capable de mettre en œuvre. D’ailleurs, lorsque Xatiav lui signala qu’il portait sur lui d’autres produits de sa fabrication, il sentit poindre en lui un brusque et incontrôlable accès d’intérêt avide qui aurait presque pu le pousser à se jeter sur des échantillons aussi précieux s’il ne s’était pas empressé de le refréner de toute la force de ses convictions, de son intégrité et de son sens de la mesure : il s’agissait d’une rencontre au sommet entre scientifiques, que diable, et ce n’était pas le moment de jouer au chien à qui on aurait présenté une balle ! Ainsi, il se contenta de répondre en écho à ses paroles sur un ton professionnel et tempéré :

« J’ai moi-même quelques synthèses très intéressantes à mon actif… mais rien qui puisse dépasser votre niveau ou même l’atteindre, j’en ai peur. » Dit-il sans qu’il lui vînt à l’esprit qu’il faisait là preuve de modestie.

Pourtant, tel ne semblait pas être l’avis de son homologue, et bien que ses propos eussent pu faire penser à de la flatterie, les intonations toujours aussi dépourvues d’émotions avec lesquelles il s’exprimait étaient loin de faire penser à une manœuvre de ce genre : non, il paraissait constater tout simplement, citer les raisons qui le menaient à la conclusion à laquelle il était parvenue et pour laquelle il l’avait convié.

Xatiav voudrait progresser plus vite. Saïl est quelqu’un d’instruit et d’inventif --> Saïl pourrait aider Xatiav à progresser plus vite.
==> Xatiav a tout intérêt à quérir l’aide de Saïl pour progresser plus vite.

Un théorème bien sec dans son allure, et pourtant, il était certain que c’était plus ou moins ce qui s’était passé dans la tête de l’alchimiste étant donné qu’il paraissait raisonner aussi froidement qu’une intelligence artificielle informatisée. L’homme-loup restait circonspect, mais il aurait été mentir de prétendre qu’il aurait pu décliner une invitation pareille aussi facilement : après tout, Xatiav avait jusqu’ici l’air d’être quelqu’un de logique si ce n’était quelqu’un de raisonnable, et s’ils restaient tout deux dans l’enceinte tranquille des théories savantes, qu’est-ce qui aurait bien pu ressortir de néfaste de leurs débats ? Ils avaient tout à gagner à partager leurs connaissances et leurs avis, aussi le sieur Ursoë répondit-il poliment

« Je suppose que ça ne pourrait être que bénéfique : exposez moi donc vos questions, et je verrai ce que je peux apporter comme grain à moudre. » Ce disant, il jeta un œil aux alentours et, avisant une corniche surplombant quelques rochers qui pouvaient de loin faire office de sièges, il proposa civilement : « Si nous allions nous asseoir ? »

Non pas que le voyage l’avait plus épuisé que ça, mais il restait indéniable qu’il était plus agréable de discuter lorsqu’on était installé sur les « commodités de la conversation » comme les Précieuses Ridicules les nommaient, même si ce qu’ils avaient dans le cas présent en guise de fauteuils était d’un confort discutable.

Xatiav:
   Il observa le docteur Ursoë consulter avec intérêt le fascicule qui consistait tout ce que Nereid était, depuis sa naissance à l’état de feuille de papier à sa naissance à l’état d’être humain. L’homme-loup semblait fasciné par son travail, et, de fait, sembla plus enclin à poursuivre une discussion plus poussée. Le docteur Ursoë lui proposa par ailleurs d’exposer ses questions. Il entendit aussi la proposition d’aller s’installer sur quelques pierres un peu plus loin. Les pierres en question étaient des pierres typiques de la région de Tekhos : froides, exceptionnellement dure, inconfortables … S’il n’avait pas été en présence d’un éminent savant, il serait, bien volontiers, retourné sur son arbre. Mais le moment de faire le difficile n’était venu. De fait, il détestait faire le difficile. Il avait parcouru, au cours de ses voyages, de nombreux endroits dont le taux d’étrangeté dépassait parfois des sommets. Par exemple, on avait un monde qui semblait être constitué uniquement d’un arbre, au sommet duquel régnait la connaissance d’une pierre mythique, un monde constitué de morceaux de cristaux, lesquels volaient dans un vide troublant et répandant une faible luminosité, parcourus par des créatures brumeuses et cauchemardesques, un monde constitué d’un immense cimetière … En ces circonstances parfois spéciales, il avait appris à trouver pratiquement n’importe quel endroit confortable. Il y avait, certes, des exceptions. S’asseoir dans le nid d’une Chimère, et se rendre compte  trop tard que l’animal propriétaire du nid en question se trouve derrière soit, grondant, et dépréciant le fait qu’un invité surprise habillé d’une couleur rendant ceux de son espèce agressifs s’arroge le droit de prendre position dans son habitat naturel et se nourrisse de ses œufs sans aucunes autres formes de procès. A cette période, il ressentait encore occasionnellement le besoin de se nourrir. Et il avait par ailleurs trouvé quelques instants plus tard la viande de Chimère délicieuse. Son repas fut interrompu par la horde au grand complet et c’était la première de fois de sa vie qu’il avait composé un sort d’alchimie du tonnerre en moins de trente seconde. Il avait lui-même laissé quelques plumes dans cette périlleuse et complexe situation. Tout cela pour affirmer que les commodités de la conversation en question pourraient être des pierres tombales que cela ne changerait pas grand-chose à son quotidien. Par ailleurs, il n’avait pas grand-chose à envier à une pierre tombale, Oh non, car la température de ses pensées avaient parfois gelé bien des cœurs, et avait gelé les rouages de son propre noyau. Il accompagna donc le docteur Ursoë auprès de leurs futurs sièges lorsque ses sens s’étaient mis en alerte. D’assez loin, un individu en parfaite tenue de voyage s’approchait d’eux. Il semblait avoir quelques difficultés à escalader la montagne. Pour Sail Ursoë, quelques bonds avaient du suffire. Les loups-garous étaient réputés pour leurs forces, leur agilité, et aussi pour la férocité de la morsure qu’ils avaient facile. Cependant, le docteur Ursoë était loin de correspondre à l’image d’un commun loup-garou. Il était des plus civilisés, et ses manières ne prévoyaient qu’une bonne évolution de la conversation. Il était clair dans son esprit, selon ses calculs, que l’individu encapuchonné était son invité. Encore une fois, il n’attendait que le fait que son invité se révèle à eux pour établir les présentations. C’était sa méthode, son mode opératoire. Il ne faisait rien d’inutile, ne disait rien de superflu et qui était prompt à partir dans de longues envolées lyriques le plus souvent dépourvues de sens. Non, il était précis, direct et ne tournait jamais autour d’un sujet. Mais il se trouve que le dernier larron, ramenant justement sa fraise, était quelque peu en retard. Chose qu’il n’aurait toléré si les apparentes capacités physiques de l’individu en question n’étaient pas freinées par la même occasion par l’arsenal qu’il transportait sur lui. Finalement, l’individu apparut dans leur champ de vision. Il dirigea son œil sans pupilles sur lui. Son globe de sang ne transcendait aucunes émotions particulières, comme à son habitude. Apparemment, le dernier invité était venu seul. Il aurait de toutes façon été regrettable que la patronne de celui-ci suive son employé/associé. La discussion n’aurait probablement pas dépassé les simples salutations avant l’initiation les hostilités. Il regarda d’un regard neutre l’invité devenir une invitée en retirant ses vêtements de voyages, révélant son statut inconditionnel de femelle. Il ne faut pas s’offusquer du terme, tout comme il employait lui-même rarement les mots « hommes » ou « femmes », lesquels n’avaient rien de scientifiques. La nouvelle arrivante, Sekhmet, ne semblait point du tout apprécier d’être éloignée sans raison de sa planque, de sa quiétude et de sa patronne. Il resta encore un moment pouvant aller de long à moyennement long selon le taux d’impatience de Sekhmet. Il prolongeait son regard pénétrant. Finalement, parvenant à la conclusion ultime que Sekhmet n’était pas une illusion, il prit la parole d’un ton tellement monocorde et dénué de sentiments que celui-ci pouvait rappelé à s’y méprendre un collecteur des impôts. La manière dont il parlait variait très rarement. Il prononça donc syllabe pour syllabe avec son habituel ton, qu’il ne changea pas pour présenter Sail :

« Soyez la bienvenue, professeur Sekhmet, en ce lieux. Je réponds au nom de Xatiav, et je vous présente le Docteur Ursoë, qui est également mon invité. Quant à la raison de cette invitation quelque peu particulière, elle est la même pour toutes personnes réunies en ce lieu dévasté ; J’ai cru comprendre que vous étiez une ingénieure et technicienne de génie. Je souhaiterais m’entretenir avec vous sur thèmes scientifiques. »

   La raison avait été clairement édictée, sans ambiguïté. Sekhmet ne pouvait pas se plaindre d’un fait qu’il n’aurait pas été clair. Elle aurait peut-être put se plaindre du fait qu’il n’avait pas lui-même présenté ses propres capacités. Mais il n’était pas négligent au point de tenir son second hôte dans l’ignorance. Il marqua néanmoins une pause pour laisser un mistral annonçant une prochaine pluie souffler, caractérisant encore un peu plus si besoin il y avait qu’il était à peu prêt aussi prompt de sourire qu’Aphrodite, la déesse de l’amour ne le serait de se convertir en gérante d’une industrie de préservatifs. Mais la n’étais la question. Et par ailleurs, il fallait admettre qu’Aphrodite ne l’intéressait pas. Il pouvait créer de toutes pièces des êtres vivant et le sexe n’était même pas une idée qui était prête de lui traverser l’esprit. Gardant toujours son œil écarlate rivé dans le regard de la Terranide, il acheva de ses présenter et de lever le voile du mystère qui planait sur ses hobbies et sur son métier. Sekhmet n’avait pas l’air très patiente, mais elle devrait quelque peu s’adapter à cette présentation aux limites de l’imaginable, car l’intérêt viendrait très sûrement et ce dans quelques instants.

Navigation

[0] Index des messages

[#] Page suivante

Utiliser la version classique