« Nous approchons, ma Reine. »
Elena remercia le chevalier, qui referma la porte du chariot, avant d’éperonner son cheval, et de s’avancer. On pouvait sentir les embruns de la mer, le ronflement des vagues au loin. Le carrosse avançait dans une partie de l’épaisse forêt qui entourait Nexus. Ils avaient traversé les remparts il y a une heure, et étaient proches du manoir fortifié de mademoiselle de Valfort. Sylhemna, surnommée « La Demoiselle des Ronces », était connue au sein de Nexus pour être une conseillère détachée auprès de la Cour, experte en magie noire, ce qui lui valait une sinistre réputation auprès de la population locale. En ces temps de guerre, ses talents étaient surtout mandés pour savoir comment contrer les malédictions, ou pour repérer les espions et les saboteurs, qui utilisaient la magie noire pour affaiblir Nexus. Elena savait que l’Ordre Immaculé, dont l’influence était toujours assez forte à Nexus, ne l’appréciait pas. De base, les prêtres et les mages de l’Ordre voyaient en la magie noire une damnation, dont la seule utilisation était source de corruption de l’âme. Partant de ce postulat, il paraissait logique que l’Ordre cherchait à la proscrire, voire à la bannir.
Elena avait ainsi appris que le Conseil Œcuménique avait envisagé de lancer une enquête ecclésiastique, afin de s’assurer que Sylhemna ne pratiquait pas quelque art obscur interdit par l’Ordre : vaudouisme, sorcellerie, invocation de démons, etc... Le vote avait été positif, et avait été soumis par approbation au pouvoir royal. C’était la Reine en personne qui avait refusé de donner son approbation, et le Conseil de Régence l’avait suivi. Sans cette approbation, le pouvoir religieux était inefficace. Sylhemna inquiétait, car elle était éloignée, vivant hors de la ville, en recluse, et Elena savait que, en sous-main, les régents avaient diligenté une enquête. Outre les soupçons moraux et spirituels de l’Ordre, les autorités séculières craignaient que Sylhemna ne soit une traîtresse, et ne vende des informations aux Ashnardiens.
Ainsi, quand la Reine avait sollicité un rendez-vous avec Sylhemna, les bruits de couloirs avaient enflé dans les coursives du Palais d’Ivoire. Elena avait toutefois ses raisons. Contrairement à ce que pensait l’Ordre, pour qui la seule magie blanche était amplement suffisante pour contrecarrer la magie noire, Elena pensait qu’il fallait un expert en magie noire pour en comprendre les subtilités. Elle allait voir Sylhemna pour lui soumettre un problème particulier, en lui offrant, comme prix, sa protection. Un problème qui reposait dans un petit coffre qu’elle avait sur ses genoux, coffre verrouillé par une clef spéciale, qu’Elena détenait sous ses vêtements, et qui abritait son problème.
« La plupart des choses qui sont dites sur Sylhemna sont des calomnies, Elena. C’est une conseillère et une experte, j’ai eu l’occasion de la voir à l’œuvre une fois, et je puis t’assurer qu’elle n’est point malfaisante, juste... Particulière. »
Adamante, sa fidèle amie, était dans le chariot, qui traversait la forêt, pour rejoindre un petit pont menant au manoir de Sylhemna. Elena savait qu’Adamante connaissait plutôt bien Sylhemna, à tel point qu’elle connaissait le « petit » secret de l’intéressée : un appendice se trouvant entre ses cuisses. Adamante lui avait expliqué que Sylhemna n’était pas vraiment une Futanari, mais quelque chose d’un peu plus complexe, un homme avec un corps de femme. Comment Adamante l’avait su, Elena ne tenait pas particulièrement à le savoir. Tout ce qu’elle savait, c’était que Sylhemna ne tenait pas à ce que ça s’ébruite.
Son manoir était en hauteur, le long des falaises, avec une vue plongeante sur la mer. Adamante était une magicienne, qui avait suivi son apprentissage à l’Académie magique de Nexus. Elle avait consulté plusieurs ouvrages rédigés par Sylhemna, et l’avaient également vu à une audience de justice de la Cour royale. L’affaire impliquait un homicide magique, et la Cour avait diligenté une expertise, assurée par Sylhemna. Ses connaissances étaient impressionnantes, et son avis avait été décisif, permettant d’accuser sans difficulté le coupable, qui avait été décapité sur le billot. C’était Adamante qui s’était assurée de cet échange, envoyant des lettres à Sylhemna pour lui demander si elle serait d’accord d’effectuer une consultation particulière, aussi bien pour son objet, que pour le sujet. L’objet concernerait une fiole, et le sujet, la Reine de Nexus, Elena Ivory.
Sylhemna avait accepté, et Elena était sortie du Palais pour la consultation, préférant la réaliser à domicile, plutôt que dans le Palais, où des oreilles indiscrètes pouvaient toujours s’approcher.
« En tout cas, ce n’est pas un endroit où j’irais me promener... » nota Elena.
Depuis la fenêtre, elle pouvait voir de nombreuses ronces le long du sentier. Elle était escortée par des hommes de confiance, sélectionnés en personne par le chambellan du Palais, et également chargé de la protection de la Reine, Sire Ronald Langley. Langley avait évidemment été contre ce voyage, ce qui, en soi, n’était guère surprenant, Sire Langley étant à peu près contre tout ce qui impliquait de faire sortir Elena du Palais d’Ivoire.
Plusieurs cavaliers entouraient le chariot, et il n’y avait là que des chevaliers aguerris, venant tout droit d’Haven, la cité des Paladins. Des hommes d’expérience, qui, à eux seuls, valaient bien tout un régiment. Ils avaient pour mission d’escorter la Reine jusqu’au manoir, mais ne l’assisteraient pas durant la consultation, qui était après tout privée.
« On ne la surnomme pas ‘‘Demoiselle des Ronces’’ pour rien, Elena.
- C’est sûr... D’ailleurs, comment suis-je censée l’appeler ? Par ‘‘il’’, ou par ‘‘elle’’ ?
- Hum... Et bien, tout le monde parle de Sylhemna comme si c’était une femme, donc... Je dirais qu’il vaut mieux parler d’elle au féminin. »
La Reine acquiesça silencieusement, tandis que le chariot se rapprochait.