Cirillia vit Amaya prendre ses aises. Elle retira ses spalières et son gambison, et Cirillia se mit à se demander si elle n’allait pas se déshabiller intégralement. Son ventre était parcouru de cicatrices et de blessures qui laissaient entendre que sa vie de guerrière n’était pas des plus reposantes. Depuis que Ciri’ avait ingéré en elle l’âme d’un dragon, ses blessures avaient tendance à rapidement cicatriser à la perfection, lui évitant le désagrément d’avoir des cicatrices. Il lui arrivait en effet souvent d’être blessée. Bien qu’elle soit forte, Terra était un monde dangereux, très dangereux, et il était presque obligatoire de se recevoir des coups quand on menait sa vie.
Plus cette femme parlait, et plus Ciri’ se demandait si ses parents n’étaient pas des Orcs... Était-elle jadis un bébé récupéré par les Orcs, et éduqué par eux ? Ce serait une histoire pour le moins atypique, car, de ce qu’elle en savait, les Orcs n’étaient guère sociables, et faisaient des humains, quand ils ne les tuaient pas, des esclaves, les tuant à la tâche pour entretenir leurs armes et leurs armures, violant les femmes. Une autre possibilité était qu’Amaya soit née chez les Orcs, et que sa taille exceptionnelle ait conduit les Orcs à voir en elle autre chose qu’une vulgaire esclave... Cirillia ne pouvait que supposer, mais le fait qu’Amaya ait comme langage naturel l’Orc, auquel elle revenait fréquemment, laissait entendre qu’elle était effectivement, non pas une barbare, comme Ciri’ l’avait initialement supposé, mais une Orc... Une femme élevée par les Orcs.
*Je ne pensais pas que les Orcs puissent transformer leurs humains en guerriers...*
Terra la surprenait sans cesse. Mais, après tout, les Orcs formaient bien une société. Une société hostile, anarchique, composée de clans séparés les uns des autres, passant leur temps à se faire la guerre entre eux. Tout commençait néanmoins à prendre un sens dans l’esprit de Ciri’ : les « mâles » qu’Amaya chassait pouvaient avoir été des soldats envoyés pour tuer les Orcs.
Ciri’ l’observa silencieusement se rasseoir, après avoir nettoyé sa côte de mailles auprès du feu, répondant aux quelques questions que la géante rousse lui posait.
« Dans ville... Quelqu'un pouvoir réparer trous dans l'armure ? Même si maman dire pouvoir se battre avec armure cassée, avec estomac creux tant qu'arme bien couper.... Moi pas aimer armure cassée.... Laisser passer choses qui devraient pas !
- Oui, il existe des... Hum... »
Comment dire ça ? Ciri’ remua des yeux, en train de réfléchir, s’humecta les lèvres, et lui répondit alors :
« Dans ville... Individus pouvant réparer armures... Eux forgerons. For-ge-rons, répéta-t-elle en accentuant chaque syllabe, pour qu’Amaya comprenne. Eux... Réparent armes et armures. »
Elle devrait sans doute aller en voir un aussi, afin qu’il émousse un peu mieux ses lames. Tout ce qu’elle espérait, c’était que la rancœur d’Amaya à l’égard des « mâles » ne la conduise pas à attaquer tous les hommes qu’elles risquaient de voir au village.
*Il va falloir que je me méfie de ça... Cette femme colossale pourrait m’être utile contre le Magmapede, et je ne pense pas qu’elle doit avoir de l’argent...*
Fallait-il lui expliquer le concept de l’argent ? Cirillia préférait encore attendre un peu. Amaya lui remit la viande de serpent, lui conseillant d’en manger, continuant à se présenter. Elle se promenait surtout la nuit, ce qui était assez curieux. Une habitude orc, sans doute, car les Orcs préféraient se promener pendant la nuit, où il y avait moins de patrouilles d’humains. De plus, les Orcs aimaient bien manger les créatures qui sortaient la nuit, comme les créatures nécrophages qu’étaient les goules ou les putréfacteurs, et qui ne supportaient pas la lumière du soleil. Ce faisant, Amaya affrontait les prédateurs les plus redoutables, et lui montra plusieurs de ses cicatrices, dont une qui semblait illustrer un combat particulièrement redoutable qu’elle avait rencontré contre un « lézard à deux pattes ». Une telle appellation ne disait rien à Cirillia, mais elle n’avait pas spécialement envie de savoir de quel type de monstre il s’agissait.
En attendant, elle croqua dans le serpent, tirant dessus. Amaya lui avait fait confiance en mangeant le lapin, et Ciri’ devait donc faire de même. Elle avala un peu de la viande. Ce n’était pas ausis bon que le lapin, la viande était un peu sèche, mais ça se laissait manger.
« Merci... Ça bon » fit Cirillia en lui rendant la broche.
Un léger coup de vent remua alors les branches d’arbres à côté, et Ciri’ sentit un léger frisson. Elle regarda autour d’elle.
« Je... Euh... Moi vais faire grossir feu... Pour éviter froid... »
Elle mima le geste de se frictionner les épaules. Cirillia s’écarta des flammes, et alla chercher quelques branches d’arbres, les brisant rapidement pour les amener près du feu, afin de le durcir, et le faire durer un peu. Les flammes... Elle ne les aimait pas, le feu lui rappelait toujours la destruction de sa ville natale, quand un abominable dragon noir avait balancé son souffle infernal sur la ville, ravageant des rues entières à chaque passage, transformant d’immenses quartiers en tas de cendres fumants. Elle sortit de son passé en fermant les yeux, puis reporta son attention sur la guerrière.
« Nous devrions nous... Reposer... Demain... Nous partir tôt, alors... Euh... Dormir être utile... »
Cirillia n’avait pas de sacs de voyage, et allait donc dormir à la belle étoile, près des flammes. Elle avait l’habitude. Le feu tiendrait bon toute la nuit, et elle s’était couchée sur le dos, la tête en appui sur ses bras, voyant les étoiles en hauteur. Le feu les masquait à moitié, et elle entendait ce dernier craquer et grésiller. Rien à voir avec le son des corps qui se craquelaient sous l’effet du feu noirâtre, quand la peau se collait sur les os, qui se brisaient comme d’ignobles biscottes... Ciri’ soupira faiblement, essayant de penser à autre chose.
*Il n’y a pas de dragons dans cette région... Quel dommage...*
Si elle était venue dans cette partie de Terra, ce n’était pas tant pour chasser le Magmapede que parce qu’on lui avait dit qu’il y avait des dragons dans ces montagnes... Depuis plusieurs semaines, elle explorait cette vaste chaîne de montagnes, mais elle n’avait encore rien trouvé. Elle désespérait de trouver quoi que ce soit... Même si tout n’était pas gâché pour autant.
Après tout, elle avait trouvé une géante rousse aussi belle que mystérieuse. C’était toujours ça de pris.