Quoi de neuf ?

Il n'était pas huit heures, et déjà, Lecia Moore était dans son bureau. Des tas de dossiers étaient empilés un peu partout. Mais elle ne s'en souciait pas. Avant la fin de la journée, elle aurait fini ce tas de dossier. Ils seraient tous convenablement saisis dans la base de donnée du centre des archives publiques. D'ailleurs, elle s'y était déjà attelée.

Ses doigts pianotaient sur le clavier, semblant le survoler, tandis que ses yeux lisaient les pages étalées devant elle. Et la matinée passa, lentement, sans qu'elle ne s'en rende compte tant elle était absorbée par son occupation. Elle sursauta quand une de ses collègue de l'accueil vint frapper à sa porte ouverte.

« Lecia ? »
« Oh ! Min. Qu'est-ce qu'il y a ? »
« Tu ne vas pas manger ? »
« Pas maint-.. Ah ! Il est déjà cette heure-là... Oui. Je vais aller m'acheter quelque chose à la boulangerie. Tu veux un truc ? »

Min secoua la tête. Elle avait déjà pris ce qu'il lui fallait. Prenant son sac, Lecia se leva alors et sortit de son bureau. Elle traversa la rue, et demanda un sandwich à la boulangère. Jambon-crudités, sans mayonnaise. Comme d'habitude. Elle sourit, prit aussi un bouteille d'eau et un croissant, et paya le tout avant de traverser la rue à nouveau.

Elle faillit se faire renverser par un taxi trop pressé, et se dit que, décidément, les rues n'étaient pas sûres. La Sorcière Volante allait encore sortir ce soir. Il fallait que ses enfants puissent vivre dans un monde plus sûr.

Plongée dans ses pensées, elle ne vit que trop tard la silhouette masculine à l'accueil, et s'y cogna. Reculant légèrement, elle vacilla, sur le point de tomber.

Le centre des archives publiques... Ça faisait combien de temps que je n'étais pas venu ici, franchement ? A l'époque où j'habitais à Seikusu et que je travaillais pour l'OVNI -vous savez, cette feuille de chou qui faisait ses beaux jours avec tout ce que la ville et sa région comptait de paranormal, dont Sentinel Prime- j'y venais de temps à autres pour de petites recherches. C'était bien le dernier lieu où j'aurais pensé retourner à mon arrivée, surtout que je ne bossais plus en tant que journaliste. Mais j'avais besoin d'argent et mon pote Jet d'un coursier, alors nous nous étions mis d'accord. Autant que la Harley me serve à quelque chose jusqu'à ce que je me décide à me réinstaller pour de bon (où pas, d'ailleurs) au Japon.
Bref, c'était pour Jet que j'étais venu aux archives ce jour là. Il avait besoin d'informations sur une super-héroïne qui avait monté sa petite réputation sur le cul fantastique qu'elle se traînait ET sur le fait qu'accessoirement, mon alter-ego était mort et enterré. Bah. Il y avait de la place pour tout le monde dans le ciel de Seikusu et à vrai dire, ce n'était plus mon problème. Et en parlant de joli petit cul, celui qui me passa à côté tandis que je me garais valait bien son pesant d'or. De quoi aller acheter moi aussi un croissant à la boulangerie pour tenter une approche, histoire de me manger un petit râteau pour mon retour en ville.
Souriant à cette pensée, je réajustais ma veste en cuir en quittant la selle de la Harley, filant à l’accueil des archives. Arrivé là, je me présentais à la vieille mégère qui servait de réceptionniste et lui montrait mon accréditation. Drôle de situation pour celui qui avait été le spécialiste de Sentinel Prime que de venir enquêter sur une autre justicière en costume. Pour un peu, j'aurai eu l'impression bête de me faire des infidélités.

- Kyle Macross. Je viens pour un journaliste de l'OVNI, vous devez avoir reçu son mail à ce sujet. Il me faut des renseignements sur cette...euh...Sorcière Volante, là.

La femme vérifia le tout en tapotant un moment les touches de son clavier, tandis que malgré moi je m'interrogeais sur cette "nouvelle venue". Qui pouvait-elle être ? Etait elle efficace ? Avait-elle un lien avec Marie et Donna ? Mes amies m'en auraient probablement parlé si elles l'avaient rencontrée. Enfin, je le supposais.
Alors que je m'écartais du bureau de l’accueil après avoir obtenu mon autorisation d'accéder aux archives, mon dos rencontra quelque chose. Quelqu'un plutôt, que je retins par le bras après m'être vivement retourné pour ne pas qu'elle tombe.

- Désolé, je n'ai pas fais attention ! Tout va bien ? Je lui adressais un sourire, avant de la détailler un peu plus. Je la connaissais, c'était... Lecia ? Lecia Moore, c'est bien toi ? C'est moi, Kyle !

J'avais fais la connaissance de Lecia aux archives à l'époque où je venais y enrichir mes articles. Nous avions sympathisé rapidement et elle rendait mes visites un peu plus agréables, me filant un coup de main pour mener plus efficacement mes recherches. Une chic fille, mariée et maman. Je n'avais plus pensé à elle, mais je n'étais pas fâché de la retrouver.

- J'allais justement à ton service. Je t'escorte pour m'excuser ?

Heureusement pour Lecia, celui qu'elle avait cogné avait de vifs réflexes. Se retenant au bras qu'il tendait pour la retenir, elle leva les yeux vers le bon samaritain.

« Kyle ? »

Elle était surprise. Kyle, elle ne l'avait pas vu depuis... Oh, un bon moment. Elle l'avait connu au début où elle commençait à travailler au centre des archives.

« Je t'en prie. Mais c'est aussi à moi de m'excuser, je ne regardais pas où j'allais. »

Un sourire accompagna ses paroles tandis qu'elle rajustait son sac sur son épaule. Prenant la direction de son bureau, elle reprit la conversation.

« Alors, te voilà de retour ? Tu as fait le tour du monde où quelque chose comme ça ? »

Elle ouvrit la porte de son bureau pour le laisser entrer, et pénétra à son tour dans la pièce. Elle posa son sac à main dans un coin, déplaça quelques dossiers d'une chaise pour la libérer, et lui offrit de s'asseoir. Elle contourna ensuite son bureau, posant son sandwich, sa bouteille d'eau et son croissant sur un côté libre du bureau.

« Tu voulais un renseignement précis, dis ? »

Son sourire se fit amusé. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas renseigné de journaliste -si toutefois il l'était toujours-, et encore plus longtemps qu'elle n'avait pas discuter avec le beau brun qui venait la voir.

Elle dégagea rapidement quelques autres dossiers, qu'elle avait fini de rentrer dans l'ordinateur avant de sortir, et s'accouda au bureau, totalement à l'écoute de Kyle.

« Tu es retourné bosser à l'OVNI ? »

Lui emboîtant le pas après lui avoir fait la bise bien volontiers, je la suivis dans son bureau en veillant bien à tenir mes yeux où il était poli qu'ils se trouvent. Ceci étant, j'ai pu constater avec bonheur lorsqu'elle ouvrit la marche que le superbe petit derrière que j'avais croisé dans la rue était le sien. Aaaaah, Seikusu ! Tes filles et leurs charmes ne changeront jamais et c'était très bien comme ça, foi de Macross. Je souriais pour moi-même à cette pensée et enfilais à la suite de Lecia les couloirs et autres bureaux qui parsemèrent notre route avant d'arriver à son office.

- Le tour du monde, ouais. L'Europe d'Est en Ouest, puis l'Amérique et Cuba. Ce furent cinq années plutôt remuantes. Et toi, ils ne t'ont pas filé la direction de ton service ? Je poussais un soupir volontairement surjoué. Je t'ai déjà dis des centaines de fois d'ouvrir ton décolleté quand tu vas voir tes supérieurs. Mais tu n'écoute rien...

Amusé, je prononçais ces mots tout en sachant que Lecia n'était pas ce genre de femmes. J'avais toujours aimé ce genre de petites réflexions et les quelques compliments sur sa plastique que j'osais lui faire de temps à autres. Je respectais la femme mariée, mais je trouvais dommage de ne pas la flatter. Une alliance n'empêchait pas de se faire dragouiller gentiment, si ? Je la remerciais d'un petit geste de tête en m'installant dans la chaise, ôtant ma veste de cuir pour laisser apparaître le t-shirt blanc qui moulait légèrement mon buste. Je posait sur le bureau le calepin sur lequel j'avais noté les demandes de Jet.

- Des petites infos, ce que tu pourras me dégoter. Et non, je ne travaille plus pour l'OVNI, je sers de coursier à Jet Fusion, mon vieux pote. Pour le moment, je ne sais pas si je reste à Seikusu et les petits boulots me suffisent pour vivre.

"Vivre" était un bien grand mot, mais j'avais quelques économies de côté et j'envoyais parfois quelques petits articles de çi - de là en tant que reporter indépendant, ce qui m'aidait à boucler des fins de mois trop justes. Je feuilletais le calepin tout en me tapotant la bouche de l'index, jusqu'à retrouver les pages qui m’intéressaient.

- Alors, j'ai besoin de ce que tu aurais sur cette Takara, la Flying Witch. Encore une poseuse en collants, d'après ce que j'ai compris ? Je la regardais un instant comme pour l'interroger, et repris. De ce que je sais, elle s'est pointée après la mort de Prime et elle a fait son trou. Pour Jet, elle n'est qu'un cul monté sur une jolie plastique, mais pas franchement une héroïne. Et il voudrait le prouver grâce à l'OVNI, tu vois le tableau ?

Takara partait, à l'OVNI, avec un petit handicap. En effet, j'avais (enfin, SP avait, plutôt) fait les beaux jours de la publication du magasine et jouissais dans les locaux d'un fort taux de sympathie. Alors autant vous dire que les héros qui avaient tenté de surfer sur la place laissée libre après ma prétendue mort étaient passés au crible fin et descendus en flèche par mes ex-collègues. Dans le lot pourtant, seul Jet connaissait mon petit secret. Difficile pour lui d'être objectif sur la Sorcière ! En tant que femme, on s'arrêtait beaucoup plus sur son corps que ses exploits héroïques et c'était pour cela que Jet voulait l'épingler. Participer à la crucifixion d'un autre Super ne me plaisait pas, en revanche. Question de solidarité.

- J'ai pas spécialement envie de descendre Takara, du coup je vais apporter un maximum d'éléments à Jet pour qu'il révise son jugement. C'est là que tu rentre en scène, Lecia ! Je voudrais tout ce que tu peux avoir sur le sujet, je ferai le tri. Comme à la belle époque.

Comprenez l'époque où les recherches qui nous occupaient étaient au sujet d'SP. Curieux comme les choses changent en gardant parfois des bases qui semblaient immuables.

- Et comment vont ton mari et tes enfants, au fait ? Ça roule toujours, pour vous deux ?

Voyager, Lecia l’avait déjà fait. Mais pas depuis sa lune de miel. Quand il parla de son périple, elle repensa brièvement aux pays visités, aux merveilles photographiées et aux vidéos qui ont été tournées. Le tout occupe aujourd’hui presque une étagère complète près de la télé.

Elle chassa ces pensées de son esprit, souriant à la petite pique lancée par Kyle. Mais non, malgré ces années passées, elle n’avait pas eu de promotions. En fait, elle était bien là où elle était. Au courant de tout, et peu connue surtout. Elle passait inaperçu, et c’était parfait.

Mine de rien, ces petits flirts sans conséquences lui avaient manqué. Non pas qu’elle n’était pas satisfaite dans son ménage, mais savoir qu’on plaît était toujours un sentiment bienvenu. Surtout que ça n’engageait à rien. C’était juste une petite distraction, innocente.

Offrant un sourire à son vis-à-vis, Lecia faillit tomber de sa chaise lorsqu’il exposa ce dont il avait besoin. Sans se trahir, pourtant, elle garda son sourire et sortit un crayon et un bout de papier pour noter ce qu’il disait.

« Ah oui, cette Takara… J’en ai pas mal entendu parler aux infos. »

Elle retint une exclamation indignée lorsqu’il exposa le point de vue de Jet, transformant ce petit bruit en toux.

« Mh. Je vois oui. Je dirais que c’est un peu machiste comme point de vue. Comme si on disait que Sentinel Prime n’était qu’un gigolo volant… »

Elle souriait cependant, comprenant bien entendu que ce n’était pas forcément le point de vue de Kyle. Et puis, chacun est libre de ses opinions…

Elle sourit de plus belle d’ailleurs, en entendant le propre point de vue de son interlocuteur.

« Tu peux compter sur moi, comme au bon vieux temps. »

Le temps de poser le papier près de son clavier, et déjà il embrayait sur un autre sujet. Plus détendue, déjà, Lecia hocha la tête.

« Ils vont très bien. Wulfric est toujours ambassadeur, et les petits sont entrés à l’école élémentaire. Turbulents, mais adorables. »

Et ça roulait toujours, bien que la passion des premiers temps se soit essoufflée. L’amour était toujours là, et c’était le principal.

« Et pour toi, pas de copine en vue ? Tu as dû en faire des conquêtes… »

Petit clin d’œil. Inutile de le nier, selon Lecia. Kyle était un homme très séduisant. Si elle n’était pas mariée, elle serait sans doute tombée sous son charme.

Tout en parlant, elle pianotait rapidement sur son clavier. Elle commençait déjà sa recherche, et savait exactement quoi lui donner. Surtout ce qui concerne les exploits de la Sorcière Volante. Elle n’aimait pas qu’on dénature ses actions…

- Machiste ? Je dois te rappeler que les magazines féminins épinglaient Prime en le traitant de toy-boy volant ? C'était pas beaucoup plus flatteur, hein ! Et si mes souvenirs sont bons, madame Moore, vous vous êtes fendue un jour d'un "un jouet comme ça, j'aimerai bien le glisser dans mon sac à main".

Héhé. A l'époque où Lecia m'avait dit ça alors que nous parlions de costumes ultra-moulants et de couvertures racoleuses, j'avais été plutôt flatté. Juste pour voir sa tête, j'avais pensé très sérieusement un moment à lui révéler mon secret en me mettant à voler à travers la pièce. La situation aurait été très tordante, mais risquée. Aussi m'étais-je contenter de jouer les jaloux en lui glissant une banalité du genre "je veux bien être ton jouet aussi", où une quelconque imbécillité du genre.
En attendant, Lecia acceptait de filer un coup de main et ça, c'était nickel ! La plupart des archivistes se bornaient à donner des numéros de dossiers à consulter dans des pièces qu'on devait garder silencieuses, ce qui était foutrement emmerdant. Avec Moore, c'était à deux qu'on allait mettre la main sur les infos recherchées et je devais bien avouer que le fait de me glisser seul avec elle entre deux rayonnages discrets n'était pas pour me déplaire. Qu'est ce que j'avais pu m'inventer comme scénario coquins, à l'époque ! Aaaaah, si elle avait été célibataire ! Bon, je devais tout de même admettre qu'elle se laissait parfois aller au petit jeu de la séduction, ce qui était une compensation plutôt flatteuse quand on savait combien elle était heureuse en ménage.

- Ambassadeur ? J'avais oublié. Ça doit lui prendre un temps monstre, non ? Tu arrives quand même à gérer tes enfants ? Je suis impressionné, je dois dire.

A sa question, je m'assombris un court instant avant de me reprendre. Mes amours étaient soit passées depuis belle lurette soit plus que volages. Maintenant que j'avais la trentaine, je ne pouvais m'empêcher de me dire que ce n'était pas très brillant.

- Si je te dis que j'ai enchaîné les flirts, ça ferait vraiment machiste, non ? Je laissais échapper un petit rire. Disons que j'ai connu pas mal de filles, oui. Même une star de ciné, je te jure ! Mais ça n'a jamais duré. Tu sais que c'est toi l'amour de ma vie, Lecia. Quitte ton mari et met tes enfants chez la nounou et vivons enfin notre amûûûr au grand jour !

Déclamant ma "déclaration", j'avais levé sur elle un regard volontairement mièvre et théâtral avant de rire. Mieux valait prendre les choses comme ça. Repenser à la catastrophe sentimentale qu'avait été ma relation avec Hitomi me saperait le moral et ça, je m'y refusais.

- Alors, tu trouve ce dont j'ai besoin ? Ah, si tu as une photo, je veux bien. Il parait qu'elle est vraiment sexy et je t'avouerai que j'aimerai bien me faire mon avis.