Une forêt ne ressemblait jamais à une autre forêt.
Ce n’était pas une question de taille, de faune, de flore, de densité, ni même de taux de pollution. Tous ces éléments, importants, étaient les symptômes d’autre chose. Une forêt, qu’on se le dise, était comme une ville. Une ville pure et parfaite, une ville où tout, à l’exception d’un seul détail, était soigneusement organisée, hiérarchisée, et méticuleusement opérationnelle. Pas de contestation sociale ici, pas de système démocratique biaisé, pas de corruption. Chacun était à sa place, et le même cycle, indéfiniment, se répétait. En ce sens, se plonger dans une forêt était une expérience aussi fascinante que délicate. Fascinante, car on se plongeait dans l’observation d’un univers tout entier, des petits insectes microscopiques aux féroces loups. Délicate, car le risque de perturber cet équilibre était fort. Une forêt, en somme, avait une âme, et chaque forêt avait sa propre âme, qui dépendait de tout un tas de critères.
Si Pamela aimait tant les forêts de Terra, c’est parce qu’elles étaient libres de l’influence nauséabonde des humains. Pas de sacs plastiques, pas d’amoureux transis arrachant des fleurs pour les offrir à sa petite amie, qui rougirait, et ne s’intéresserait nullement à cette vie arrachée, préférant uniquement songer à la banquette arrière de la voiture de son amoureux, pas de gamins insupportables qui grimpaient aux arbres, brisaient les branches, et blessaient ces derniers. Il n’y avait que d’immenses forêts avec un air délicieux, dans lequel Ivy adorait se plonger. Chaque fois qu’elle en avait l’occasion, elle se rendait donc dans les forêts terranes, essayant de retranscrire cette atmosphère de paix et de sérénité dans son antre sur Terre... Ce qui, mine de rien, n’était pas particulièrement facile.
Pamela était ici, depuis plus de deux jours, coupée de toute présence humaine. Elle se nourrissait des produits de la Nature, des quelques biches qui passaient par là, tout en se dirigeant vers une forêt assez spéciale, dont elle avait entendu parler dans une discrète auberge reculée. Un chasseur avait affirmé avoir été attaqué par des arbres alors qu’il traquait un sanglier. Pamela savait que la chasse pouvait s’étaler sur des kilomètres, et le chasseur s’était retrouvé dans une forêt, quand des branches d’arbres l’avaient attaqué. Les autres villageois avaient mis ça sur le compte d’une trop forte dose d’alcool, mais Ivy, elle, avait été suffisamment intéressée pour obtenir de la part du chasseur, sans réelle difficulté, quelques indications sur cette forêt.
Elle s’y rendait donc, et finit par y pénétrer.
*C’est là... Impossible de se méprendre.*
Elle toucha délicatement un arbre, et sentit quelque chose qu’elle n’avait que ressenti bien trop rarement, qui fit battre son cœur à vive allure. Elle eut alors la conviction que le chasseur n’avait pas menti, car il y avait, dans cette forêt, quelque chose de très particulier. Les légendes disaient parfois que, dans les plus profondes et dans les plus belles forêts, il existait des créatures magiques, créées par les forêts pour les protéger. Des créatures que les elfes vénéraient, et que les druides respectaient profondément. Les dryades, les fées des bois, gardiennes des arbres et de leurs forêts, avec autant de fermeté et de rigueur qu’une mère ultra-possessive. Et Pamela, en touchant l’écorce de cet arbre, sentit l’âme de la forêt, et sentit qu’une dryade y était. Il n’y avait pas que les elfes et les druides qui respectaient les dryades, Pamela les vénérait. Comment aurait-elle pu ne pas les vénérer ? Son plus cher désir avait toujours été de parfaire sa mutation, afin de devenir une Alraune, ou une dryade. Elle les voyait comme des divinités vivantes, et réalisa qu’elle se tenait à la lisière de la forêt d’une dryade, de son sanctuaire.
Il existait des dryades dangereuses, qui tuaient quiconque entrait dans leur forêt, mais celle-ci était probablement moins extrémiste. Le chasseur avait survécu, ce qui était la preuve que cette dryade n’était pas hostile à toute présence étrangère, tant qu’on respectait ses règles. Et il existait aussi des dryades terriblement timides, qui avaient peur des humains. Lentement, Pamela avançait. Elle avait sa peau blanche habituelle, avec une espèce de corset végétal vert sur le corps, des gants et des bottes. La forêt était très luxuriante, lui donnant presque l’impression d’avoir plongé dans l’univers merveilleux d’un film d’animation de Walt Disney.
Une forêt ne ressemblait jamais à une autre forêt, et celle-ci était une bonne illustration.
Pamela se mordilla les lèvres, se rapprochant d’un lac. Elle sentait la présence la dryade, un peu partout, et estima qu’il était temps pour elle de se présenter.
« Noble dryade, j’ai parcouru un long chemin pour venir te voir, lâcha-t-elle, parlant aux arbres. Je te remercie de m’avoir laissé entrer dans ton sanctuaire. Je m’appelle Pamela Isley, ou Ivy, et... »
Elle se tut, se mordillant les lèvres, avant de se mettre respectueusement à genoux :
« Je t’implore de me montrer ta présence, ô noble dryade ! Daigne rendre folle de joie l’humble mortelle que je suis en offrant à mes yeux le spectacle de la beauté pure et parfaite de la Nature ! »
Ivy parlait presque comme une dévote, mais, s’il avait existé sur Terre une religion consacré aux dryades, il était plus que probable qu’elle en serait devenue l’un des piliers.