Par la présente, j’affirme que l’odieuse criminelle Nariko, porteuse de l’épée maléfique au nom faussement trompeur d’Heavenly Sword, s’est rendue coupable du pire des crimes qui soit : celui de trahison envers la Couronne royale de Nexus. En vertu du décret d’urgence pris par le Conseil des régents, j’ai été nommé comme Lord régent pour la capture et l’appréhension de la criminelle.
Le présent papier fait office de mandat, et autorise toute personne dûment assermentée à bénéficier des dispositions relatives à l’état d’urgence pour appréhender la criminelle dans les plus brefs délais.
Jon Norrington,
Lord regent
Nariko n’était pas encore au courant que sa tête était mise à prix, mais, si elle l’avait su, elle n’aurait pas été surprise. Elle venait de loin, d’une contrée éloignée et reculée, mais le récit de ses exploits se répercutait d’auberge en auberge, et, indéniablement, venir à Nexus demander un soutien militaire et financier pour aider son clan et les autres clans de la région face aux Ashnardiens n’était pas vraiment une bonne idée. Elle avait encore eu en tête l’image de cette Nexus glorieuse et célèbre, avec un Roi bon, une puissance économique. Elle avait cru que toutes les rumeurs sur la corruption latente, sur le paupérisme ambiant, et sur l’incapacité de la Reine à gouverner, étaient répandues par Ashnard, mais elle avait réalisé que, pour le coup, Nexus la Grande n’était plus que l’ombre d’elle-même. La ville était rongée par la criminalité, par les réseaux mafieux, sans parler de tous les mouvements terroristes et révolutionnaires, les crieurs publics, les tracts propagandistes, et la fâcheuse tendance de la garde civile à agir de manière autoritaire. Nariko avait du tuer à de nombreuses reprises, et elle avait du quitter la ville, quasiment bredouille, avec seulement quelques vagues promesses de l’Ordre d’envoyer des moines guerriers pour soutenir les clans. C’était mince, mais c’était toujours mieux que rien.
Pressée de mettre de la distance entre elle et Nexus, Nariko était partie, quittant la cité-État, reprenant la route, et se trouvait dans les campagnes environnantes. Des régions fertiles, avec de grandes propriétés agricoles, du blé, de la vigne, des pommeraies s’étendant sur des kilomètres, des fermes énormes avec des poulaillers, des porcheries... Nexus était l’une des régions les plus fertiles du monde, et c’est ce que Nariko remarqua durant les quelques jours où elle battit la campagne, se dirigeant vers l’une des frontières de l’État. Son humeur était assez morose, car elle avait l’impression d’avoir perdu beaucoup de temps. Elle était naturellement accompagnée de Kaï, sa «
sœur » spirituelle, une jeune femme à l’apparence de neko, même si elle était humaine. Comem à son habitude, Kaï était particulièrement enjouée, car, en quittant la ville, le duo avait retrouvé un environnement que la jeune femme préférait, à savoir la campagne, avec les arbres, les oiseaux, et l’herbe. Sa bonne humeur était la bienvenue, car elle réconfortait Nariko.
*
J’espère que Shen aura trouvé des solutions pour reconstruire les clans... Si je ne peux pas me tourner vers Nexus, qui m’aidera à protéger mon peuple ?*
Tekhos ne pourrait rien faire, en raison de sa neutralité, et le soutien de l’Ordre lui apparaissait comme un cadeau empoisonné, une tentative de la part des clercs de s’emparer de sa précieuse épée. Heavenly Sword était la meilleure arme du clan, et Nariko se battrait chèrement pour la protéger. Et, s’il existait beaucoup de royaumes et de provinces intermédiaires, peu oseraient ouvertement défier Ashnard, et les autres chercheraient à s’emparer de son épée, dès qu’ils en apprendraient l’ampleur. Elle était dans une impasse.
Le chemin de route les amenait à passer par l’un des nombreux forts frontaliers qui assuraient la défense de Nexus. Dans la guerre contre Ashnard, Nexus avait clairement adopté une stratégie défensive, qui consistait en une série de lignes de forts protégeant les frontières. Il y avait d’épais forts, qu’on appelait les « super-forteresses », et des châteaux plus modestes, servant de points relais entre les principales forteresses. Fort heureusement, les frontières étaient actuellement ouvertes, dans la mesure où aucune armée ashnardienne ne cherchait à assiéger Nexus. En étudiant une carte de la région, Nariko avait décidé de couper à travers la montagne, afin de rapidement quitter l’État, ce qui les amena à passer à un petit fortin dans la montagne, dont la ville était partiellement creusée dans la montagne : Fort-Motte.
Fort-Motte Fort-Motte ne présentait à la surface extérieure qu’une palissade en pierre avec une porte en bois, et, quand Nariko et Kaï s’en approchèrent, une tempête de neige s’était levée. On leur offrit l’hébergement, et elles purent louer une chambre dans l’une des auberges de la sinistre ville. Il était difficile d’y avoir des repères, car la ville était creusée dans les grottes, le long de galeries silencieuses, avec plusieurs étages.
Dès le soir où elles arrivèrent, l’un des soldats de la garnison les repéra, et envoya un corbeau au principal fort de la région, Bastion, afin de prévenir ses supérieurs que la traîtresse était là. On la décrivait comme une putain ashnardienne, une espionne qui aurait ouvert ses cuisses devant la queue noire et boursouflée de l’Empereur Mordret lui-même. Nariko ne pouvait pas s’aventurer hors de Fort-Motte à cause du froid.
Ils reçurent en retour une réponse dès le lendemain, leur affirmant que des chevaliers allaient venir leur prêter main-forte, et qu’ils devaient faire tout ce qui était en leur possible pour retarder les voyageuses.
A l’extérieur de Fort-Motte, la nuit venait de tomber quand les éclaireurs aperçurent les torches s’approchant au loin.
«
Préviens le sergent Pyke, des cavaliers nous tombent su’ l’gouayle ! »
L’autre homme descendit les marches, se frictionnant ses mains sous ce froid polaire, et tapa à la porte du poste de garde.
«
Des caliers, M’sieur Pyke ! -
Avec un peu de chance, ce sont nos Nexusiens. Fermez bien vos gueules, vous autres, qu’y nous prennent pas pour des corniauds de pécores ! -
Ouais, M’sieur ! »
On leur ouvrit les portes, et Pyke, se mettant fièrement au garde-à-vous, avec le bout de sa barbe couverte de traces de neige, leur affirma que les suspects se trouvaient dans la salle commune. L’auberge, en somme.
«
Nos gars vous prêteront main-forte ! » promit Pyke, avec un beau sourire révélant ses dents jaunies et pourries.
Fort-Motte était un trou dont Pyke espérait bien sortir, afin d’être muté ailleurs. Ce en quoi on ne pouvait, à vrai dire, que le comprendre.