Je veux tes trésors ... ( Alexia )

Son goût pour les œuvres d'art le tuerait, il le sentait. Ou le ruinerait, au moins ... Depuis quelques jours, le jeune homme passait des heures à oublier son travail de gérant, au profit d'une autre activité qui le passionnait davantage : l'acquisition d’œuvres rares. Il avait abandonné son studio pour un autre, bien plus vaste, et comptait le peupler de multiples choses. Il avait écumé les cabinets de curiosités de bien des cités, avait prit rendez-vous pour des achats parfois peu scrupuleux, avait joué de ses charmes pour obtenir certains tableaux, et ce depuis peu de temps. Quand il avait quelque chose en tête, impossible qu'il puisse s'en défaire ... Ses "filles" avaient appris à moins compter sur lui, tant il passait d'heures à chercher, recherche, trouver, s'approprier une bonne quantités de choses plus ou moins étranges.

Et un de ses collaborateurs l'avait mené sur une piste des plus intéressantes ... Une jeune femme, aussi secrète qu'inquiétante, qui prenait un plaisir malin à entreposer chez elle des objets anciens, mystérieux, et rares.

- Comment se nomme t'elle ?

La cigarette au bout des doigts, le téléphone à l'oreille, Erwan faisait des pieds et des mains pour espérer une entrevue avec cette femme. La voix, au bout du fil, mit un certain temps avant de répondre, simplement :

- Alexia. Elle s'appelle Alexia, si mes souvenirs sont bons ...

- J'espère pour toi qu'ils sont bons ... Je ne veux pas baser mes recherches sur la mémoire défaillante d'un camé abruti par une fille qui danse.

La voix toussa, et un petit rire se fit entendre.

- Toujours ce don pour me faire plaisir, toi, hein ? Tes danseuses sont fabuleuses, tu le sais ...

Erwan ne releva pas. Évidemment qu'elles étaient fabuleuses !

- Où puis-je la trouver ?

- Je t'envoie l'adresse plus tard, j'm'en souviens plus très bien ...

Erwan poussa un soupir exaspéré ... Se baser sur la mémoire de ce type n'était pas une de ses meilleures idées, pour ne pas dire la pire. Il raccrocha, et attrapa son manteau, prêt à quitter "Pigalle" afin de la laisser au main d'un de ses associés, un homme en qui il avait une entière confiance. Il salua une de ses danseuses d'un signe de la main, et quitta la boîte sans bruit. Une nouvelle cigarette fut allumée, tandis que son portable affichait un nouveau message. L'adresse y était ... Il n'y avait plus qu'à s'y rendre. Ce qui fut fait, d'ailleurs, en quelques minutes, après qu'il eut prié son collaborateur de l'avertir de son arrivée.

Quand il se retrouva devant la demeure de cette inconnue, il se contenta de sonner à la porte, aimablement, prêt à utiliser son sourire le plus aimable.

Alexia était endormie, drapée dans les tissus hors-de-prix qui tapissaient son grand lit à baldaquin. Un très grand lit, dans lequel elle pouvait tenir en long comme en large, même les bras levés. Des oreillers finement brodés soutenaient sa tete, et aussi ses jambes. La lumière peinant à filtrer au travers des rideaux donnait un aspect onirique à la pièce. Elle dormait si paisiblement.. qui aurait cru qu'une si charmante enfant pouvait rêver de meurtre et de sang ? Le soleil déclinait doucement, plongeant par delà l'horizon, et la vampire fut réveillée par l'infime variation de lumière qui en découlait. Elle se redressa, balayant la pièce du regard.. sans réelles raisons. Alexia souriait. Elle se demandait ce que le destin lui avait réservé aujourd'hui. C'était une nuit de plus, parmi les nombreuses qu'à déjà vécu l'immortelle. Une occasion supplémentaire pour s'amuser et laisser parler sa folie...

Elle descendit de son lit, quittant ses draps soyeux, et laissant paraitre son corps dénudé, et piégé dans une éternelle jeunesse. Rhaaaa, j'ai bien dormi, moi ! Bon, bon, bon, voyons voir.. Elle réfléchit quelques instants, à ce qu'elle pourrait faire. Elle n'avait pas spécialement faim, son dernier repas l'ayant repue il y a déjà quelque temps, pourtant .. la pauvre victime avait été vidée de son sang. Elle était si délicieuse.. Et n'avait rien de prévu pour la soirée qui s'annonçait, non plus. Peut etre .. commencer par s'habiller ? Elle n'y voyait aucun intérêt, si ce n'est de la coquetterie, un gout pour l’esthétique. Et puis, c'était plus confortable, de sentir le doux tissus sur sa peau. Mais nah, c'pas la peine.

Pieds nus, elle descendit les escaliers, pénétrant dans la cave ou elle entreposait les babioles qu'elle avait acquis au cours de sa "modeste et vertueuse" vie. Des tableaux, posés debout à meme le sol, ou accroché au mur. Divers vases, et statuettes, d'époques et d'origine aussi diversifiées que les multiples civilisations qui se sont succédées au fil des générations. Des masques, des tenues, et tant d'autre choses. En plusieurs siècles, elle avait largement eu le temps d'amasser ces trésors, surtout avec les moyens peu orthodoxes qu'elle aimait utiliser. C'était des objets dont elle ne percevait meme pas leurs valeurs réelles, historiques ou monétaires. Elle savait simplement qu'ils étaient convoités, une raison suffisante pour les conserver chez elle. Certains se damneraient pour avoir ne serait-ce qu'un vingtième de ma collection...

Elle prit un sabre décoratif, qui était posé non loin. Si je me souviens bien ... c'est un sabre orientale ayant appartenu à un grand général arabe il y cinq ou six cent ans ... enfin, c'est ce que le propriétaire m'avait affirmé.. Elle dégaina, et commença à s'amuser avec, le faisant fouetter l'air de manière chaotique, comme un jeune enfant jouant à un jeu de cape et d'épée. *DING* *DONG* Tiens, déjà de la visite ? Surprise, elle écorcha accidentellement un tableau, qui représentait une barque flottant sur l'eau sous un coucher de soleil. Une éraflure qui réduisait sans doute sa valeur à trois fois rien, ce qui n'avait pas l'air de l'attrister plus que ça. Elle haussa les épaules, jetant le sabre au sol, et alla voir avec impatience et curiosité ce que l'avenir lui réservait.

- Et, merdeeeeuh !

Elle jura tout haut. En chemin, le fait qu'elle soit toujours aussi nue la frappa. Cela ne la dérangeait pas, mais elle était au courant des mœurs de l'époque. Alexia savait qu'elle risquait de choquer ainsi vêtue, et d’expérience elle avait compris que cela ne jouait pas toujours en sa faveur. Même si les réactions des gens sont parfois amusantes. Elle enfila rapidement une fine culotte noire, une jupe plissée violette et un chemisier qu'elle ne prit même pas la peine de boutonner, et alla ouvrir la porte.

- Bonsoir ~~

Elle resta un moment devant la porte, à toiser l'homme de .. plus ou moins haut. J'aime pas c'visage un peu trop inexpressif .. qu'est ce qu'il me veut, lui ? L'espace d'un instant, un sourire s'afficha sur son visage. Bah ... après tout, il ne peut pas me faire de mal ... si ?

-Entre donc, j't'en prie, on sera plus confortablement installés à l’intérieur, pour ... discuter.

S'il avait pu s'imaginer un seul instant tomber sur une telle créature ... Erwan s'imaginait devoir faire face à une femme qui touchait à la trentaine, avec des cheveux noirs et toute une allure chic et élégante. Il voyait cette collectionneuse comme une parisienne parfaite, vêtue de rouge et de noir, un verre de vin dans la main gauche et une cigarette dans la droite, qui vouvoie à tout va et qui rigole à gorge déployée. Mais non. Ce n'était absolument pas ce genre de personne qui apparut face à lui ... Il dut baisser le visage pour mieux la voir, et fut surpris de savoir que la mystérieuse " Alexia " était une ... adolescente. Le jeune homme manqua d'émettre un hoquet de surprise, mais se retint à temps. Cela serait malvenu, surtout s'il devait envisager une transaction.

Pour satisfaire ses délires de collectionneur frustré, il était prêt à tout. Ainsi, il entra, comme elle lui avait demandé, admirant les lieux avec un oeil critique. Même si ce lieu n'avait rien à voir avec les appartements minimalistes européens, il n'était pas déçu : cette visite risquait de se montrer très prometteuse. Il se retourna un instant vers la jeune fille, s'annonçant :

- Je m'appelle Erwan, et je suis ... un collectionneur.

Elle n'avait pas l'air d'avoir été informée de sa visite. La plaie. Il détestait débarquer sans prévenir ... C'était, pour lui, un signe de non-respect, qui allait à l'encontre de beaucoup de codes qu'il s'imposait. Mais il chassa vite cette idée de son esprit, se concentrant sur sa venue ici.

- Je suis navré de voir qu'on ne vous a pas avertie de ma visite ... soupira t'il tout de même.

Par réflexe, il fit craquer ses phalanges tout en admirant les lieux.

- On m'a dit que vous possédiez tout un panel d'objets anciens ... Est-ce vrai ?

Un sourire, aussi furtif que possible, passa sur ses lèvres.

Après avoir fait entrer l'insouciant jeune homme chez elle, Alexia le mena dans un grand salon somptueusement meublé, en passant par un couloir tout aussi garni qu'il ne manquait pas de jauger du regard, sans doute curieux, et peut être impressionné ? La réponse ne tarda pas à lui être donné par l'homme lui même, qui se présenta comme étant un collectionneur d'antiquités. Hmm, voilà qui est très intéressant ... S'il était venu la voir à ce sujet, quelqu'un avait forcement dû lui en parler. Le bouche à oreille, un moyen parfait pour répandre une rumeur. Celle qui disait que la résidence de la vampire abritait une multitude d'objets de valeurs n'était pas infondée ou erronée, loin de là, et s'il tenait à en avoir le cœur net Erwan aura l'occasion de s'en rendre compte par lui même.

Elle affichait un léger sourire, satisfaite. C'était en effet un bon moyen d'attirer l'attention sur ce manoir, sans pour autant qu'elle ne soit envahie par la foule. De quoi attirer de beaux poissons dans ses filets, pour jouer ou pour consommer. Ou les deux, héhé... Celui qui se tenait face à elle s'excusa lorsqu'il se rendit compte que l'on aurait dû la prévenir, mais que cela n'avait pas été fait. Une remarque qui amusa beaucoup la jeune vampire, intérieurement. Ah, c'était donc ça ... Elle avait effectivement reçu la visite, il y a peu de temps, d'un homme qui lui avait vaguement parlé de ses trésors, mais elle ne lui avait pas vraiment laissé le temps de s'exprimer, préférant mordre son cou à pleine dent plutôt que d'écouter son discours qui ne l'aurait sans doute pas intéressée. Oups, j'avais eu un petit creux ! Un petit creux qui causa tout de même la mort de cet innocent. Un détail sans importance à ses yeux.

Elle observait en silence le jeune homme, laissant ses yeux s'attarder sur les traits fins de son visage, sur sa gorge follement alléchante... Elle ne disait mot, le laissant parler et dire ce qu'il tenait à dire, tout en le fixant de ses deux yeux rouges assez troublant. Insolente comme pas deux, c'était claire. Mais le faisait-elle exprès .. ou pas ? Alexia brisa le silence qui s'était installé après la dernière remarque d'Erwan, d'un ton sec, sans pourtant paraitre hostile.

Et si tu venais en juger par toi même ?

Elle se leva rapidement, son chemisier s'envolant avec légèreté pour retomber sur sa peau blanche, puis le mena d'un pas assuré à la réserve, lui montrer ce qu'il voulait voir. La porte s'ouvrit lentement, comme pour ne pas dévoiler trop tot le contenu de cette "caverne d'Ali Baba".

Alors, qu'en pense-tu ?

C'était une question rhétorique, elle était persuadée que cela plairait à cet amateur d'objets historiques. L'idée même qu'il ne puisse y trouver ce qu'il cherchait ne l'avait pas effleurée, c'était pourtant une éventualité. Elle se plaisait déjà à s’imaginer ce qu'il pourrait lui offrir. Et oui, rien n'est gratuit, pas même ces babioles.