-Non, tu ne peux pas disposer.
Jones la contemple, pensif, son indexe posé sur sa tempe. Avec une lenteur délibérée, il retire ses lunettes, pour en polir les verres d'un coin de sa chemise.
-Je ne te crois pas Adelheid. Je veux dire : Tout ne vas
pas bien. Tu as rencontré quelques personnes, mais ce n'est
pas tout...
Il arrête de nettoyer ses lunettes pour la regarder droit dans les yeux. Détaché, cependant, presque amusé.
-... N'est-ce pas?
A présent, petite proie, tu dois te demander si je sais quelque chose sur tes vilains petits secrets. Et mon regard gagne en intensité, pour le plaisir de te voir paniquer.
-Je vais te dire ce que je crois. Je crois que es seule, angoissée, et révoltée... Que tu vis au jour le jour, avec comme seul et unique objectif de te vider la tête, de t'empêcher de penser. Papa, maman, cette vie de merde et tout le reste. Rien de bien répréhensible, en soit. Mais les chemins que tu empreintes pour y arriver...
Il secoue lentement la tête.
-Jouer au mouton noir n'est pas une bonne idée, mais tu en as le droit. Tu as le droit de chercher à t'exclure du système, de t'habiller juste ce qu'il faut pour être complètement à part, avec une grosse étiquette marquée "je ne suis pas des votre, et allez vous faire foutre" au feutre indélébile... Tu as le droit de chercher à te détruire, de laisser ta rage pour tes trous du cul de parents dicter tes actes. C'est stupide, ça me fend le cœur, mais tu en as le droit.
Son ton est doux. Malgré la dureté de ses paroles, il ne cherche pas à la blesser.
-... En revanche, il y a des choses que tu n'as pas le droit de faire. Et tabasser des lycéens avec tes potes en fait totalement partit.
Nous y voila. Et je parie que tu n'as pas la moindre idée de ce que dont je suis en train de parler. Laisse moi te rafraichir la mémoire...
-Tous les profs en parlent, Adelheid. Kenzo, Yahei et un certain Tanaka. Toi et ce type au cheveux blanc, vous en avez envoyé deux à l'hôpital. Tanaka a faillit y rester.
Kenzo et Yahei, oui. Deux petits voyous pourris qu'il a ramassé dans un bar pour
ses sales manigances. Ils étaient très remontés contre un couple qui leur avait flanqué une raclée, dans une certaine ruelle sombre. De quoi éveiller l'intérêt du prédateur en quête d'insolite... Trouver Adelheid d'après leur description a été un jeu d'enfant, et se faire embaucher pour lui donner des cours une formalité. Jones le chasseur, tranquillement assis sur sa chaise qui ment sans la moindre retenue. Les profs n'en savent rien, et Tanaka n'a qu'une simple éraflure. Mais il tient à mettre le sang froid de la jeune fille à l'épreuve. Une secousse pour la pousser à dire la vérité.
-A quoi est-ce que tu pensais, Adelheid?
Demande le gentil professeur, d'un air attristé. Je veux entendre ta version de l'histoire, disent ses yeux. S'il y a une personne à qui tu peux confier ce genre de chose, elle se trouve devant toi.