Bien que Vittorio s’amusa de la tendre et douce répartie de son insigne invitée, il fut mécontent de constater qu’elle semblait faite prisonnière. En aucune manière, je dis bien “en aucune manière”, il voulut qu’elle soit traitée comme une vulgaire bagnarde, contrainte à river les yeux sur le sol dans cette posture de servilité. Le Néréide n’eut guère le besoin de prononcer un mot ; le regard qu’il promena sur les membres de la garde rapprochée n’était pas amène du tout, et les trois pages quittèrent vite les lieux en bon ordre.
Seul demeurait l’automate mentionné ci-dessus, servant des volontés de son Seigneur titanide. “Tu dois être Shaya ; enchanté de te connaître, ne crains plus rien, jeune vierge”, souffla-t-il, emmitouflant la belle indigène de son parfum de cèdre, mâtiné d’iode marine, véritable association des saveurs atrocement violente, entêtant pour ses sens. Tout en prêtant l’oreille à sa voix, il la regardait alors, ou plutôt il la fixait de ses prunelles mordorées, rutilantes comme ces rivières aurifères qui pulsent à travers les artères de ce sous-continent. “J’espère que personne ne t’a blessée lors de ton évasion ; tu dois être impeccable, saine de corps et d'esprit, intact. Si l’on t’a meurtri lors de ton trajet, donne moi les noms des responsables. Je ne veux pas d'incompétents parmi mes soldats.” Il voulait prendre la juste mesure de sa beauté, sa parure emplumée, ses courbes exceptionnelles, sa timidité fardée d’ingénuité, striée de crainte face à l’inconnu avec un grand i. Tenue en objet de curiosité, il ne voulait surtout pas qu’elle se sente rabaissée car notre bellâtre, à mi-chemin entre l’Homme et la Divinité, ne souhaitait clairement pas flétrir, encore moins salir, celle qui lui confiait sa loyauté. Il s’empara soudain de son petit menton, y joignant son pouce et son index, afin qu’elle puisse lire, dans ses yeux, toute sa détermination. “Tu es celle dont moi, Vittorio Vulcano, Gouverneur de la Reggia de Chesaltan, a besoin. Les imbéciles de ta tribu n’ont jamais pu concevoir ton potentiel et préféré faire de toi la vulgaire esclave d'un mari vieux, gras et laid. Avec moi, la donne change. J’aspire à te doter d’un rang associé à de nouvelles responsabilités ; aussi, tu revendiqueras la chaire de Haute Prêtresse lorsque ta formation sera achevée.” Ainsi parla le Titanide qui prophétisait un avenir glorieux pour cette charmante jouvencelle à la magnifique peau d’ébène. La prosodie du Demi-Divin était tranchante, vibrante comme un trait de foudre zébrant les canopées alentour lors des orages tropicaux, mais elle n'était nullement menaçante.
Puis voici qu’il lâche un soupir, de soulagement bien évidemment, tandis que sa main droite - sa main de sabre et de pistole - dévoilait ses doigts fins et graciles. Cette main noua une étreinte langoureuse avec celle de Shaya, celle-ci put alors ressentir toute la chaleur inouïe que produisait constamment le Néréide, son immense énergie vitale, inhumaine, qui menaçait d’exploser en toutes circonstances, d’irriguer la chair de la mortelle. Une sensation de profonde plénitude immergea les sens de la donzelle ; chaque marche qu’elle gravissait sur cet immense escalier en présence de son supérieur naturel lui procurait quelque extrait d'une prestigieuse vision prémonitoire ; un nouvel avenir s’offrait à ses yeux, un avenir doré faisant la part belle à la dévotion, au culte dont elle serait la garante, une liesse permanente dans une débauche de joie profonde. Une volupté de tous les instants. Le bellâtre se mordit les lèvres, tandis qu’il menait la belle dans son antre royal, menant à un couloir marbreux, d’un incarnat vif et frais, tapissé de beaux tableaux classicistes mettant les quatre saisons à l’honneur : l’Automne lascif, l’hiver chaleureux, le printemps sensuel et l’été volcanique… “À propos du roi et de la loi, c'était, en passant, juste une expression pour te signifier que tu prends un nouveau départ à bord de mon navire, tout simplement.” sussura-t-il en la gratifiant d'un simple clin d'oeil. Demi-Dieu ou non, il restait un jeune homme dans toute sa splendeur potache, précisons le.
Voici un projet très ambitieux, qui consistait à faire de cette belle anonyme originaire d’un obscur trou de verdure lointain une hiérarque de première importance dans le maillage bureaucratique de l’administration coloniale. C’était totalement surréaliste et impensable, voire foldingue, tanceraient les langues serpentines, mais cette perspective amusait énormément notre Néréide. La promotion de l’ascension sociale était essentielle pour tisser des liens de fidélité parmi les futures élites indigènes, au surplus.