Peu importent les masques. Peu importent les déguisements et mensonges. Le parfum d’un infernal est toujours teinté par le soufre.
Nombreux étaient ceux qui disparaissaient du jour au lendemain, dans la cour de Lucifer, mais les démons de la Goétie étaient une espèce à part. Ils étaient plus purs, plus puissants, et leur absence se faisait immédiatement ressentir. Leurs légions devenaient incontrôlables, leur domaine tombait dans le désarroi et le chaos. Et tout cela n’était pas bon pour la stabilité de la cour infernale.
Helel, le bras droit de Lucifer, savait faire preuve d’une subtilité et d’une patience qui manquaient cruellement à son espèce. En cette qualité, il était de ceux que le Déchu envoyait enquêter sur les tenants et aboutissants des disparus. Au même titre, il était chargé de punir ceux qui s’étaient avérés coupables, et d’offrir aux héritiers leurs dus.
Orobas n’était pas le démon le plus influent ou puissant qui soit, mais il l’était suffisamment pour que son absence à la cour se fasse remarquer. Lucifer avait aussitôt dépêché Helel, lui ordonnant de trouver la personne qui viendrait rétablir l’ordre dans le domaine du disparu. La priorité n’était pas à l’enquête, elle était à l’ordre et à son rétablissement le plus prompt.
Tant de contrats, tant d’alliances et d’allégeances. Helel s’informait sur le moindre détail de l’existence de son confrère, scrutant le plus infime petit caractère de sa biographie et de ses contrats, d’un œil de faucon. Il était de coutume pour les domaines d’être réattribués aux descendants et aux plus anciens disciples d’un démon, lorsqu’il disparaissait. Beaucoup des noms figurant sur ces contrats millénaires, n’étaient aujourd’hui plus d’actualité. Âmes damnées, âmes consumées, âmes délivrées.
Un nom piqua la curiosité du beau diable, cependant. Le nom ancien d’une diablesse qu’il n’avait connu que de très loin, lors de sa précédente existence. Saareth. Les yeux du monstre s’attardèrent sur le moindre détail de ce contrat démoniaque. A n’en pas douter, elle était l’héritière légtime d’Orobas. Mais il y avait un léger problème.
« Disparue. » Grommela Helel. Disparue, et depuis quelques temps déjà. Mais Helel n’était pas chargé de traquer les déserteurs pour rien. Personne en Enfer ne possédait un odorat aussi puissant que le sien. Et ce n’était pas juste l’odorat d’un loup en chasse, loin de là. Il pouvait sentir les émotions, de la peur à l’apaisement, aussi certain qu’un humain pourrait inspirer et reconnaître le parfum d’un être cher. Orobas était hors de portée. Mais pas Saareth. « Saareth… » Murmura le beau diable, fermant les yeux comme pour aiguiser ses sens. Il tenait dans ses mains le contrat qui la liait à Orobas, et sa simple signature lui suffisait à la retrouver.
Une auberge qu’il avait autrefois connue, un lieu mythique de Nexus. Un endroit qui avait vu défiler son lot de célestes et d’infernaux, mais même de créatures plus exotiques encore. Helel n’était pas du genre à se laisser passer inaperçu. La grande stature de sa forme physique faisait de lui une attraction pour les yeux vagabonds de la foule, ne cessant d’attirer l’attention que lorsqu’il s’assit enfin, cachant un peu sa carrure de colosse.
Bras croisés sur son torse, il observait la danse de Saareth. Ses yeux ne bougeaient pas comme ceux des humains, inexplicablement aliens. Il suivait ses mouvements avec une précision effrayante, sans jamais cligner ou sourciller, iris rougeoyants figés sur ceux de la diablesse. Il la sentait, l’odeur des enfers qu’elle tentait, volontairement ou non, de cacher à cette foule de mortel. Elle se mêlait au bétail, aux insignifiants. Quelle déchéance, pensa le beau diable. Une diablesse de ses talents ?
Helel croisa ses lourds bras sur son torse musculeux, ne quittant pas le regard de celle qu’il était venu chercher. Il lui laisserait le loisir de terminer ce petit jeu auquel elle jouait, conscient que leur nature les attirerait l’un vers l’autre, comme un magnétisme contre lequel aucun d’eux ne pouvait réellement lutter.