Sa dernière phrase était clairement adressée à Angurva... Du moins, c’est ce que tu croyais, sur le coup... Mais qu’est-ce que Flagg savait de toi ? Il savait que tu étais l’Ange de la Pureté, mais n’importe quel individu le savait, vu que tu ne le cachais pas vraiment. Tu déclinais silencieusement sa proposition de t’asseoir, restant devant lui, cherchant comment briser ce sort. La métempsycose était un sort magique particulièrement complexe, mais tu étais convaincue qu’il ne s’agissait pas de ça. C’était plutôt une forme de possession magique, de puissante possession magique, un fort contrôle. Mais l’esprit de ce mage, de cet homme dont Flagg n’avait pas donné le nom, devait sûrement être encore là, prisonnier, captif de son propre corps. C’était une situation horrible, dont les implications te faisaient frissonner. Angurva finit par lui demander de quoi Flagg voulait bien parler. L’homme observait les flammes, sans rien dire, et enfonça un bout de bois, afin de remuer les bûches qui servaient à alimenter le feu. On entendit quelques craquements, alors que des braises s’envolaient dans le ciel. Il porta alors sa main vers une sacoche posée à côté de lui, et en sortit une flasque de vin.
« Cet homme a du bon vin avec lui... Vous en voulez un peu ? Oh, je ne posais pas la question pour vous, Yehaël, la Pureté ne boit pas, non ? »
Il lança cela avec un ton légèrement railleur. Tu croisas les bras, l’observant. Qui était donc cet être ? Il décapsula la flasque avec ses dents, et s’en versa une gorgée dans le gosier, avant de la poser sur le sol, et d’approcher ses mains des flammes.
« Il fait très froid dans cette région... Mais c’est quelque chose que vous ne devez pas nécessairement ressentir, vous deux, non ? Une épée, et une femme qui a pour habitude de vivre dans les nuages. Vous n’avez pas la même conscience du froid que le commun des mortels. »
Tu te mis à grogner.
« Qu’est-ce que vous voulez, Flagg ? A quoi est-ce que tout ça rime ?! » t’emportas-tu.
Il se mit à légèrement sourire.
« La colère vous va si bien sur vos joues, je... »
Il n’eut pas le temps d’achever que tu avais déjà traversé les flammes, sans que le feu ne te fasse rien. Ta main l’empoigna au col, le soulevant.
« Je n’ai pas envie de jouer ! lâchas-tu, excédée.
- La... La violence est très mauvaise conseillère, ma chère... A fortiori quand on a des plumes dans le dos.
- Je t’emmerde, enfoiré !
- J’en prends bonne note » répliqua-t-il.
Tu finis par le relâcher, après quelques hésitations. Le mage grogna légèrement, puis retourna s’asseoir, comme si de rien n’était. Flagg ne parlerait pas, et ce n’était pas son genre de narguer les autres. Alors, pourquoi venir vous voir ? Pourquoi venir vous parler ? C’était incompréhensible, car ce n’était pas conforme au mode de pensée de l’homme.
« Croyez-le ou non, mais je vous apprécie... J’admire votre ténacité, votre passion, ce qui caractérise votre dévotion. Vous êtes une femme très intéressante, Yehaël, un modèle pour n’importe qui aspirant à un peu de droiture et d’honnêteté. Vous êtes un exemple, mais un exemple dans un monde qui, malheureusement, n’aime pas les exemples.
- Épargnez-moi le charabia. Que voulez-vous ?! »
Le mage se frotta les mains, puis regarda Angurva.
« Prendre des nouvelles, quoi d’autre ? répliqua-t-il. Cette épée que vous portez avec vous comme un boulet est une arme fascinante, ma chère... A dire vrai, j’ai rarement rencontré un objet qui soit aussi humain, qui dispose d’autant de sentiments... Vous explorer a été un véritable bonheur, Angurva. »
Il le balança avec un sourire odieux, qui te fit monter la colère. Il avait violé son esprit, s’était immiscé dans les profondeurs les plus lointaines de son esprit, comme il le faisait en ce moment avec cet homme.
« Salopard... » grognas-tu.
L’homme se contenta d’hausser les épaules. Il en avait sûrement vu d’autres, mais tu n’avais pas pu retenir l’insulte.
« Vous êtes vraiment sûres de ne pas vouloir vous asseoir ? demanda-t-il encore. Je ne suis pas un tortionnaire, vous savez... Angurva m’intéressait, car j’ai toujours été fasciné par les objets enchantés. Mais, en toute honnêteté, on ne peut pas me reprocher de lui avoir tripatouillé le corps, vu qu’un objet n’est pas un être vivant... Autrement, on devrait poursuivre pour homicide tous ceux qui brisent leur crayon ! »
Un raisonnement tiré par les cheveux.
« Mais ce serait une analyse fausse... Que pensez-vous être, Angurva ? Une épée qui se transforme en fille ? Allons bon, même dans les contes, un tel scénario paraîtrait comme farfelu ! Oh, n’allez pas me faire dire ce que je n’ai pas dit. On peut rattacher une âme à un objet magique, c’est même très courant, mais, à moins d’avoir été enchantée par un virtuose... Non, que dis-je, par un formidable génie, par un Archimage de renommée internationale, de ceux qui sont le ciment des légendes, un objet enchanté ne peut pas être aussi réussi et aussi parfait que vous... Stern Azilius était un forgeron doué, je n’en doute pas, mais loin d’égaler le niveau d’un Archimage... »
Il continuait à se réchauffer près du feu, avant de lâcher :
« La vérité, ma chère enfant, c’est que vous n’êtes pas la fille d’Azilius, ou une épée qu’il aurait enchanté le Dimanche, afin de s’occuper. Vous êtes sa femme, et il vous a scellé dans une épée pour que sa femme survive. Un tour plutôt habile, et même sacrément bien réussi... Croyez-moi, vous disséquer a été riche en enseignements et en leçons. »