Dany s’était mise sur son trente-et-un pour cette mission sur Terra, mais rien dans cette élégance forcée ne lui appartenait vraiment. Le banquet réunissait plusieurs figures influentes de la région, des gens trop puissants pour que la moindre erreur ne se paye pas cher. Une compagnie chargée d’organiser l’événement l’avait mandatée pour renforcer la sécurité — elle et son frère, en théorie. Mais Charly était déjà pris sur un autre contrat, et cette fois, Dany devait opérer seule.
La sécurité visible avait été confiée à d’autres : fouilles, entrées, sorties… Le genre de tâches franches, droites, où l’on savait à quoi s’attendre. Son rôle à elle était bien plus trouble. Sous une fausse identité, celle de Dame Jasmine, nouvelle fortune bâtie sur un héritage flou, elle devait errer dans la foule, écouter, observer. Guetter les signes qui ne se voyaient qu’en marge, là où les projecteurs ne portaient pas.
Pour rendre crédible cette façade, on l’avait confiée à un maquilleur. Ses cicatrices, véritables cartes de ses anciennes missions, avaient disparu sous des couches de pigments. Une robe noire, lourde et sertie de pierres dont l’éclat semblait presque menaçant, avait été conçue pour elle. Sous cette apparence fragile, elle portait néanmoins une combinaison moulante, plus digne d’un terrain hostile que d’un salon mondain. Toute cette mascarade lui déplaisait, mais vu ce qu’on la payait, elle ravala son agacement. Ce n’était qu’une soirée… en théorie.
Après un briefing long et pesant, où chaque consigne sonnait comme un avertissement, l’heure de se rendre sur place arriva. Le soleil se couchait lentement, étouffé par les premières lueurs artificielles qui coloraient le chemin menant à l’entrée. Dany avançait dans ses chaussures plates, attentive au moindre son. À l’entrée, un géant aux épaules de taureau examina son invitation avant de la laisser passer, un sourire trop large aux lèvres.
On attendait du monde, beaucoup trop au goût de Dany. Une vaste cour extérieure, un jardin soigneusement entretenu, des activités dispersées comme autant de distractions pour masquer ce qui devait réellement se jouer ce soir-là. Les buffets débordaient, la piscine lâchait une vapeur tiède, presque inquiétante. Au centre, un grand bâtiment sur deux étages se dressait, massif, dominateur. C’était là que se tiendraient les discussions importantes, les accords, peut-être même les trahisons.
Elle avait la liberté de circuler partout. Comme l’événement ne faisait que commencer, elle préféra se mêler à la foule, là où les risques étaient encore faibles… supposément. Elle saluait les groupes avec un sourire poli, trop maîtrisé, une beauté glaciale. Elle présentait sa couverture en quelques mots, puis glissait d’un groupe à l’autre en écoutant les premières conversations. Pour l’instant, tout semblait calme. Les ennuis, les vrais, n’arrivaient jamais au début. Pas assez de monde pour se cacher, pas assez de chaos pour frapper.
Elle profitait malgré tout de ce répit pour analyser les lieux, observer les comportements, reconnaître les visages. On lui proposa des verres, des petits fours ; elle accepta machinalement. Autant profiter des avantages tant que le ciel n’était pas encore tombé. Charly aurait sans doute ricané en la voyant jouer les nobles tandis qu’il poireautait dans un garage humide quelque part. L’un comme l’autre savaient pourtant que leurs missions pouvaient basculer en un battement de cils.
Dany espérait que la soirée se déroulerait sans incident… mais une part d’elle, plus lucide, savait que les nuits trop paisibles avaient parfois un goût étrange. Gagner de l’argent sans rien faire, ce serait agréable. Ce serait même idéal.
Mais elle sentait déjà, quelque part sous la surface lisse du banquet, une tension sourde qui ne demandait qu’à se dévoiler.