La vue de Theorem lui faisait plaisir, et le sérieux qu'il accordait à sa requête également. Il détecta le frisson de Theorem à son contact via la magie, et donc ne fit pas perdurer le contact. Il resta un moment surpris, puisqu'il n'aurait pas pris le temps de le rencontrer en public s'il avait l'intention d'être malhonnête, mais s'efforça de conserver son sourire aimable. En bon diplomate, Serenos lui rendit également le salut militaire propre à sa nation, plaquant son poing droit contre son cœur et l'autre bras le long du corps.
"Le voyage fut agréable. Je me suis longuement préparé pour votre invitation. Mon matelot a ramené une valise scellée avec mon équipement. Je me doute que la femme montée à bord voudra voir son contenu, mais je suis contraint de m'y opposer. Ce serait contre les règles de notre duel. Krieg, venez ici avec la valise."
"Je comprends très bien, le rassura le Roi. Et elle a été informée dès le jour d'envoi de l'invitation. L'inspection protocolaire est pour éviter la contrebande d'objets magiques, qui sont sévèrement taxés, mais vos possessions personnelles sont exemptées exceptionnellement."
Il n'avait aucun besoin de justifier certaines choses. Le contrôle des armes magiques était certes très strict en Meisa, mais si l'objet en question avait été préalablement autorisé par le Roi, personne ne pourrait forcer Theorem à révéler ses cartes avant le duel. Ledit Krieg était se présenta devant lui et Serenos le jaugea de la tête aux pieds d'un bref regard, un geste inquisiteur mais respectueux à la fois. Bien que leurs rangs soit bien différents, Serenos avait un certain respect pour les gens qui respectaient le protocole, et donc, il rendit son salut au jeune homme, sans négliger de lui sourire.
"Peut être pourrions-nous nous diriger vers l'endroit du duel ?"
Devant la grosse valise, Serenos évalua qu'une diligence serait nécessaire pour une partie du voyage jusqu'au Lac Vérité, et il fit sortir un petit miroir rectangulaire de sa poche. Passant les doigts devant en murmurant quelques mots Meisaens, la connexion avec le miroir des écuries royales se forma.
"Hans?"
"Oh! Votre majes- AAAAIEUH!"
Serenos fit une moue de sympathie devant l'incident qu'il voyait se dérouler devant ses yeux. S'ensuivit d'une série de jurons dans la langue locale, et de claquements métalliques qui sonnaient bien agressifs avant que l'homme ne se présente enfin devant le miroir.
"Tout va bien?"
"Oui oui, ne vous inquiétez pas, Sire! Que puis-je?"
"Nous partons immédiatement."
"Ah, très bien, j'ai fait préparer quatre de vos chevaux ce matin."
"Attèle-les à la diligence, on a du bagage."
"Oh... Feu-de-Sylve ne sera pas content... laquelle, de diligence, Votre Grandeur?"
"Je m'excuserai personnellement à ma monture quand je la verrai. Et la diligence royale, évidemment. C'est un invité de marque, après tout."
"Ah, oui oui oui, je m'en occupe immédiatement! Et pour le cocher?"
"Ce ne sera pas nécessaire, merci. Au revoir, Hans."
"Majesté."
Et la communication prit fin. Serenos rangea le petit miroir dans sa pochette puis invita Theorem à le suivre. Les bras croisés dans le dos, le Roi avança dans la ville avec Theorem à son coté. Sur leur passage, de nombreuses personnes s'arrêtèrent pour les saluer. Remarquablement, beaucoup d'hommes s'arrêtèrent pour regarder Theorem. Il n'y avait aucune confusion dans leur regard, puisque les hommes ne développaient leurs caractéristiques sexuelles secondaires qu'après la trentaine, et qu'ils savaient comment reconnaître un garçon par certains détails que d'autres trouvaient moins évident. Cela ne les empêcha pas de se montrer appréciatif en s'inclinant galamment, ou se tenaient bien droit en tendant leurs muscles. C'était une méthode de séduction, appelé "pavanage" à l'extérieur de leurs contrée, bien que les locaux l'appellent une présentation; un homme se présentait ainsi pour montrer qu'il était fort, en santé et digne d'intérêt, se soumettant à l'évaluation des autres. Les femmes avaient d'autres méthodes, mais la subtilité n'existait pas en Meisa; les gens y étaient très francs et honnêtes, mais jamais irrespectueux, bien que leurs façons de faire pouvait mettre certains étrangers mal à l'aise.
Le Roi tourna la tête vers le jeune homme et étira un sourire taquin.
"Eh bien, Vice-Amiral, vous êtes extrêmement populaire."
Ils marchèrent encore quelques minutes avant de voir enfin les écuries royales, où les attendaient la diligence qui les mènerait jusqu'au lieu de combat. Diligence "royale" était un bien grand mot pour décrire ce mode de transport, mais le confort à l'intérieur y était exquis. Serenos préférait voyager par bateau ou en selle, mais ce n'était pas vraiment possible avec des invités. Lorsqu'ils approchèrent de la chose, Serenos émit quelques sifflements très graves et des tentacules métalliques jaillirent du toit pour agripper la valise et la charger sur la diligence. Serenos fit un petit détour pour d'approcher de Feu-de-Sylve et lui donna une petite galette d'avoine en lui murmurant dans sa langue, avec une certaine tendresse, puis lui donna les directives. Les chevaux Meisaens n'avaient pas nécessairement besoin de cocher, puisqu'ils pouvaient retenir un itinéraire simple. Dans ce cas, Serenos lui avait simplement dit de s'arrêter à la rivière.
"Nous avons quelques heures de voyage devant nous. Pour résumer les préparations; nous avons fait évacuer les animaux locaux pour nous libérer un rayon de trois kilomètres et les spectateurs sont limités à quelques maîtres soigneurs. Sur la circonférence de cette arène naturelle, nous avons mis en place plusieurs protections magiques pour neutraliser toute force magique, cinétique ou physique que tenterait d'en sortir ou d'y entrer. Le terrain est surtout composé de plaines et de collines. Pour résumer les règles, rapidement; tout est autorisé, incluant la force létale. Mes maîtres soigneurs ont pris le temps d'analyser les documents fournis pour choisir le traitement nécessaire si vous veniez à être fatalement touché, et même chose pour moi. Par leur contrat, ils sont également au courant que suite à notre duel, leur mémoire de ces documents seront effacés, selon les procédures des secrets d'états. Comme convenu, la récompense pour me vaincre est un total de deux cent cinquante lingots de platine. En échange de vous vaincre..."
Serenos leva un doigt et le pointa vers Theorem.
"Vous serez ma récompense."
Comment Serenos en était venu à trancher qu'il désirait Theorem comme récompense? Eh bien, c'était très simple; Serenos n'avait pas besoin d'argent. Il n'avait pas besoin de terres. Il n'avait, en fait, besoin de rien. Cependant, la Hyène de Guerre lui avait tapé dans l'oeil assez sévèrement lors de leur première rencontre, mais ils ne s'étaient jamais retrouvé dans un contexte où il pourrait satisfaire ce désir, une occasion que Hadrian lui avait subtilement volée "en bonne fouine", comme disait le dicton local.
Ils continuèrent de discuter un peu, Serenos essayant tant bien que mal de relâcher la tension en discutant normalement. Il n'y avait aucune raison d'être tendu entre eux, après tout, il s'agissait d'un duel sans conséquence pour les royaumes qu'ils représentaient et ils allaient bien assez vite se retrouver dans une situation où la tension serait nécessaire. Au cours du voyage, Serenos s'assura que Theorem mange un peu avant d'arriver à la rivière.
Une fois à la rivière, ils débarquèrent de la diligence et Serenos posa une main sur le sol, qui se mit alors à briller d'une vive lumière bleutée. Serenos tendit une main vers Theorem.
"Bon, la veine tellurique passe d'ici jusqu'au lieu du duel. Une fois sur le lieu du combat, vous aurez vingt minutes pour vous équiper et pour être inspecté par les soigneurs avant que ceux-ci ne prennent leurs distances. Ces règles s'appliquent aussi pour moi. Inspirez à fond avant de prendre ma main, car une fois dans la veine et ce jusqu'à destination, vous ne devez absolument pas tenter de respirer, et quoi que vous fassiez, ne lâchez pas ma main. Ce sera une apnée relativement courte, au maximum d'une trentaine de secondes. Quand vous êtes prêt."
Serenos resta ainsi, la main tendue, maintenant sa concentration sur ce qu'il faisait.