Le soleil venait de poindre timidement à l'horizon, caressant chastement la terre grise de ses rayons tièdes. Il était très tôt, et pourtant, on s'activait déjà, ici. La mer avait été, semble-t-il, particulièrement agitée cette nuit-là ; aussi, il fallait s’atteler rapidement pour réparer les dégâts. C'était une ville côtière, après tout, assez isolée du reste du monde du fait de sa proximité avec la montagne, une région particulièrement stérile. Si on pouvait encore y voir quelques arbres résister au froid mordant, c'était bien là la seule chose qui colorait encore ces massifs imposants. Pour ainsi dire, on pouvait parler plutôt de ville de pêcheurs que de ville côtière. Les dégâts étaient donc, pour la plupart, portés sur les navires de pêche, les étalages primaires de poissons, les cargaisons, mais aussi et malheureusement, sur les habitations de bric et de broc. De nombreuses familles étaient là, sur le bitume, à contempler ce qui avait été leur maison, à présent un tas d'ordures cassées parmi tant d'autres.
Et à travers ce spectacle désolant, dans l'odeur de poisson et de sel, se baladait une petite figure blanchâtre, qui dansait plus qu'elle ne marchait. Elle ne semblait pas se rendre véritablement compte de la situation, et traversait joyeusement les décombres, sans se soucier de quoi que ce soit. Il était tôt, et il faisait déjà terriblement chaud. Et pourtant, cette demoiselle se promenait avec une sorte de cape blanche, sale et usée, ainsi que des habits relativement chauds. Elle était trempée, non pas de la mer qui s'était éveillée durant la nuit, mais d'être tombée nombre de fois dans la neige, qui accrochait ses cheveux et le dessus de sa capuche, et fondait tranquillement sous le soleil matinal. Et puisque celle-ci commençait à peser sur sa pauvre tête, Synthesis la repoussa en arrière, et tira ses cheveux blancs dans son dos. C'était ainsi nettement plus pratique et agréable.
Elle était venue ici pour s'en aller. En effet, elle avait fait le tour de la montagne, après qu'un drôle d'homme soit venu la chercher dans sa maisonnée. La jeune fille avait dormi un peu trop longtemps, et l'avait perdu de vue. Mais ça ne l'affectait pas plus que ça. Pourquoi ? Parce que Syn avait été attirée ici par la douce odeur, sucrée et amère, qu'est celle du regret. Une petite voix chuchotait à son oreille qu'ici, elle allait pouvoir trouver des gens à aider, mais surtout, une personne ici dégageait plus que les autres ce doux parfum, qui l'attirait comme le nectar attirerait une abeille.
Synthesis observait le panorama qui s'offrait à elle. Des ruines, de l'eau, mais rien d'autre. Par où allait-elle passer ? Et puis, elle voyait au loin de drôles d'objets, très gros, qui flottaient et avançaient sur l'eau. A quoi cela pouvait-il bien servir ? Il y avait nombre de personnes, ici, mais elle ne savait pas s'il était possible de quitter cette petite île isolée, pour rejoindre le continent. Mais d'ailleurs, quel continent ? Elle n'avait pas lu grand chose sur la géographie, et n'avait aucune idée d'où elle pouvait bien se trouver. Aussi, la jeune fille se dirigea vers une mère qui berçait son enfant, et lui tapota timidement l'épaule.
« Hm... Excusez-moi, mais pourriez-vous me dire où sommes-nous ? J'entends par là, le territoire..
- Mais d'où sors-tu, ma pauvre fille ? Tout le monde connaît cette pauvre île. Si tu traverses en bateau, tu peux rejoindre ensuite Tekhos en moins de trois jours de marche. »
Bateau ? Tekhos ? Île ? Synthesis était un petit peu perdue, devant tant de mots qu'elle ne comprenait pas. Mais l'odeur des regrets lui fit tourner la tête, vers le pont. Il y avait une petite foule, mais elle ne distinguait pas très bien celui qui dégageait ce doux parfum. Mais un homme semblait regarder une de ces drôles de choses flottantes avec un grand drap, du moins, c'était ce qu'elle en voyait de loin. Alors la demoiselle se glissa dans son dos, et demanda comme si c'était une question courante :
« Ca veut dire quoi, bateau ? Et c'est quoi Tekhos ? Et qu'est-ce que c'est, que ces drôles de bols en bois qui flottent ? On n'étend pas le linge comme ça, vous savez ? Et puis, qui utilise un drap aussi grand ? »
Peut-être avait-elle trop posé de questions à la fois, mais l'individu lui jeta un regard mauvais, qui fit reculer d'un pas Syn. Il y avait tant de colère et de haine, dans des yeux si petits et si clairs, tant de promesses de cruauté et de souffrance, que quelques voix dans sa tête se mirent à rire, à se moquer d'elle.
« Beh alors, Syn, on a peur d'un simple matelot ? Il va pas te manger, tu sais ?
- Oh toi ne parle pas de nourriture, il m'a l'air croquant sous la dent, j'en ferais bien mon goûter...
- Aller Synthesis, un peu de courage, et affirme-toi, sinon, il va être méchant avec toi ! »
La dernière voix, qui était celle de Lucie, une adorable petite elfe de huit ans morte égorgée après avoir été volée de sa petite bourse d'enfant dédiée à des bonbons, avait raison, pensait Synthesis. Elle devait affronter un peu l'extérieur, plutôt que de fuir incessamment. Après tout, n'était-elle pas une adulte responsable et autonome ? Capable d'affronter le monde par ses propres moyens ? Si, elle en était persuadée. Aussi, elle retourna voir le bougre, et gronda de sa petite voix qu'elle voulait aller à Tekhos. Il ne l'écouta pas vraiment, et tendit la main vers elle en grommelant quelque chose, à propos d'or et de pièces. Pour quoi faire ? Il veut que tu le payes, Syn! se moqua gentiment Lucie au creux de son esprit. Maladroitement, la demoiselle tira de ses poches un bouton, un petit nœud rose poudré, des lunettes cassées, et enfin, un lot de pièces de différentes couleurs : bronze propre, rouille, argent poli, et quelques unes en or. La pauvre Syn n'avait aucune notion de valeur, aussi, elle ne se rendit absolument pas compte qu'elle venait de payer au moins dix fois plus que ce que le marchand lui avait demandé pour monter à bord de son navire. Et Syn ne savait pas non plus, à ce moment, que la nourriture devait s'acheter, et que pour dormir, il fallait payer aussi, et que des habits, il lui en fallait, et ça s'achetait encore. Mais elle n'avait plus rien, ses poches étaient remplies de bricoles et de babioles, vieilles, usées, cassées, décrépies, sales et souillées.
Après trois jours de voyage en bateau, passés dans le plus grand calme, la petite demoiselle posa enfin le pied sur la terre ferme. Mais n'était-ce pas un peu long, trois jours de bateau, alors qu'on lui avait dit que l'île était toute proche de cette fameuse cité ? Le temps que Synthesis s'en aperçoive, le navire était déjà au large, la laissant toute seule dans un minuscule port inhabité. Par où aller, à présent ? Syn emprunta un chemin de terre sèche, et s'en alla, tout droit, sans vraiment savoir vers quel lieu elle se dirigeait. Drôle de façon de débuter un voyage, n'est-ce pas ? De plus, cela ne ressemblait pas du tout à ce qu'on lui avait décrit brièvement de l'endroit où elle se rendait : elle ne voyait là qu'une étendue aride. Enfin, la nuit tomba. Elle se retrouva seule, au milieu de nulle part, dans le froid et le noir, incapable de se repérer, avec pour seul compagnon son ventre qui gargouillait. Désespérée, elle se laissa choir sur le sol, et renifla comme une enfant par terre.
« C'est pas juste ! Personne veut m'aider, et voilà où on en est, merci ! On arrivera jamais là où je voulais aller... »
Elle ne parlait pas vraiment seule, puisqu'elle obtenait divers râles en guise de réponse. Certains grondaient que c'était de sa faute, qu'elle n'avait qu'à mieux prévoir son voyage, plutôt que s'en aller sur un coup de tête ; d'autres se moquaient simplement d'elle ; et enfin, un petit groupe essayaient de la consoler, et lui indiquer un pseudo-chemin. Mais Synthesis en avait marre, elle ne voulait plus bouger. La volonté, ce n'était pas vraiment son fort. Sauf quand elle vit, tout au loin, une petite lumière, qui attira son regard gris. La curiosité était bien plus sa tasse de thé, aussi, elle se leva, et essaya de suivre cette petite lumière, qui semblait si proche et si lointaine à la fois. Si elle ne pouvait l'atteindre, peut-être au moins celle-ci allait la mener quelque part, non ? La lumière ralentit progressivement, jusqu'à s'abaisser au sol. La jeune fille pouvait presque la toucher, quand elle se heurta de plein fouet à quelque chose de dur et massif, et sa petite carrure tomba sur le sol, en arrière, dans un bruit ridicule. Impossible de distinguer ce contre quoi elle venait de se cogner. Un autre être vivant ? Une quelconque plante ou roche de ce lieu ? En tout cas, la lumière, elle, était bien posée sur le sol, bien que la source émettrice était peu distinguable pour Synthesis, toute sonnée par sa chute.