La pluie rageait depuis plusieurs jours déjà, abreuvant la terre, qui devint boueuse, glissante, tout simplement impossible à parcourir avec un pied certain. Ce n'était pas un climat habituel pour la saison des chaleurs de Nexus, et c'était justement ce qui avait trainé Serenos, le Roi lui-même, aussi loin des frontières de sa contrée natale. Quelque chose se tramait, en Nexus. Lorsqu'on était comme lui un être sensible à la magie, capter les ondes négatives de Nexus était d'une facilité déconcertante, mais ce qu'il avait ressenti, par delà les mers et la distance, c'était quelque chose de sombre.
Ce qui était évident, cependant, c'est que le traffic d'esclaves restait toujours très populaire à Nexus, et du coup, beaucoup de malheur et d'énergie négative émanait de la belle cité d'or. Le malheur, l'inégalité, la colère, la violence, tout existait et tout se propageait, autant à l'intérieur de la cité que dans ses campagnes. L'esclavage, aux yeux de Serenos, était une abomination que seules les nations faibles et sans honneur s'accordaient à apprécier, mais qui restait toujours aussi populaire sur le Continent, et ce n'était malheureusement pas son rôle de libérer les esclaves ou de monter une croisade contre les responsables de ce commerce.
Alors, que faisait exactement Serenos en Nexus? C'est une excellente question. Les raisons diffèrent selon l'histoire qu'il a donné à son entourage. La seule qui comptait pour lui était que depuis quelques jours, quelque chose dans ses tripes voulait qu'il y soit, comme si quelque chose de très important allait se produire. C'était peut-être vrai, après tout, car ce sentiment ne lui était pas étranger, voire même qu'il se produisait tellement souvent qu'il s'interrogeait parfois s'il n'avait pas un certain don de prophétie. Un besoin vicéral d'être exactement là où le destin voulait qu'il soit, pile au bon moment, pile au... ah tiens, non.
-Serenos Sombrechant, Roi de Meisa. Quelle belle surprise.
Serenos aurait pu reconnaître cette voix entre milles. Le templier Samson, une merde de premier plan et une fraude, une insulte au nom des hommes qui consacraient leur vie à lutter contre les maléficiens et les corrompus. Autrefois Chevalier-Capitaine au sein de l'Ordre du Temple Immaculé, Serenos et le Roi Liam Ivory avaient découvert ses "projets personnels"; le traffic de jeunes mages et magiciennes, envoyés contre leur gré dans des camps d'expérimentation magiques clandestins. Les deux Rois avaient depuis convenus que Samson n'était pas digne de son poste, et que les jeunes magiciens, même pour l'époque qui était très réservée sur la qualification des mages, méritaient de grandir en sécurité, et non d'être utilisés comme des objets.
-Je doute que cette surprise n'en soit vraiment une, Samson. Vos hommes sont trop bien positionnés et trop sûrs d'eux pour un coup de brigandage improvisé.
D'un doigt, Serenos pointa les trois sorties possibles, et des hommes se révélèrent, puis se rapprochèrent pour bloquer la moindre retraite, incluant le chemin d'où il venait. Serenos n'était cependant pas nerveux; il avait été formé pour combattre contre des templiers, même des renégats. Avec ou sans sa magie, il serait naif pour n'importe qui de s'approcher de lui.
-Vous savez que nous sommes très près du marché aux esclaves? Une attaque nocturne serait une excellente idée dans les bas-fonds, mais ici... vous êtes soit fou, soit préparé, Samson.
-Par votre faute, mage, j'ai perdu mon poste, mon nom, ma réputation. Un templier reste un templier, qu'il soit ou non au sein de l'ordre, savez-vous pourquoi?
-Parce que votre dépendance à la Pierre Bleue ne vous quitte qu'après des mois de sevrage? Parce que vous êtes trop faible pour vous recycler dans une profession digne? Choisissez, mais disparaissez de ma vue.
-Ce soir, mage, votre sang coulera! Soldats!
Et voilà exactement ce que Serenos attend de chaque confrontation avec un ennemi; le moment où il cesse enfin de placoter et qu'il passe enfin à l'action. La provocation a eu l'effet escompté, et les soldats se jetèrent dans sa direction. Des amateurs. Peut-être une brève carrière militaire, mais aucun n'avait l'entrainement dont il avait bénéficié.
Un des brigands agrippe le manche de son arme à deux mains et tenta de le frapper de sa lame. Un pas et il fut hors de la trajectoire de la masse. Ses pieds bougèrent rapidement et il réduisit la distance entre lui et son premier adversaire, dégainant son épée à une vitesse fulgurante pour trancher le bras de l'homme, lui arrachant un horrible cri de douleur, mais toujours moins strident que celui qu'il émit quand le Roi posa une main brulante sur son moignon sanglant pour cautériser la plaie. Le tuer serait simple, mais le laisser vivre avec sur sa chair le souvenir douloureux des conséquences de ses choix était une punition suffisante. Il le repoussa d'un coup de pied, puis fonça vers l'autre brigand. Un, deux, trois, il réduisit la distance, frappa son épée qui lui glissa des mains et lui porta un coup aux cuisses. Il sentit la chair et les muscles s'ouvrir sous son coup de lame, mais il ne s'arrêta pas pour autant. Il asséna un puissant coup de pommeau au visage du brigand, puis l'enjamba pour se ruer sur Samson.
Samson n'était pas comme ses collègues. Il était un ancien templier. Ses capacités martiales avaient été façonnées pour lutter contre des menaces plus importantes qu'un humain normal, mais il restait tout de même apte à lutter contre un autre avec une lame. Serenos ne perdit aucun temps pour passer à l'attaque, et pas sans renfort. Auparavant, l'exil avait suffit; cette fois, cet homme allait goûter à sa colère. Il jeta sa lame au sol et invoqua son énergie pour la transmettre dans tous ses membres.
-J'ai passé ma vie à prévenir les souverains et la Divine Holy contre les gens de ton espèce, grogna le Roi de Meisa. "Non, Serenos." qu'ils disaient. "Les templiers sont tous vertueux." qu'ils disaient. Et maintenant, misérable chiure d'âne décrépit, quelle vertu invoqueras-tu pour me convaincre de t'épargner?
Il n'eut évidemment pas le temps de répondre avant que le poing du Roi ne s'envole, renforcé par la puissance magique qu'il avait invoquée, et qu'il enfonçait son poing dans son torse et l'expédiait contre le mur. L'impact fit s'effondrer la paroi de mortier et de brique. De l'autre côté, de jeunes femmes aux bains le fixaient, nues.
-Mesdames, je m'excuse du dé...
Il remarqua bien vite leurs bracelets. Des esclaves. Elles étaient attachées au mur, nues, et leurs abdomens avaient été ouverts, leurs tripes tombant sur leurs jambes.
-Oh... Et merde...
***
ALEXANDER TREVELYAN
***
-Vous êtes sûr de votre source, Varric?
-Combien de fois vais-je devoir vous le répéter, Inquisiteur? Il est infaillible!
-Vous m'avez dit la même chose au sujet de votre autre source dans le Navarre!
-Là, vous visez bas, Cuivré. Comment j'étais sensé savoir qu'il était mort depuis des mois et que son meurtrier nous envoyait de fausses informations avec son seau?
-Vous n'êtes pas un auteur? Vous... Oh, et puis, laissez tomber, Varric.
L'Inquisition ne s'occupait pas souvent des cas de meurtre dans les cités où ils n'avaient que très peu de support, mais quelque chose avait piqué la curiosité d'Alexander dans cette histoire de sacrifices rituels, car quand ce genre de pratique était exécuté, les histoires sur la magie du sang ne tarderaient pas à émerger, et la magie du sang était une préoccupation de l'Inquisition, et plus spécifiquement des magiciens comme lui, car les résultats de ces pratiques étaient souvent catastrophiques. Pour leur enquête, Alexander avait demandé à Varric, son fidèle ami Nain, Dorian, le charmant Tévintide et Iron Bull, le puissant Qunari, de l'accompagner à Nexus. Varric était le meilleur camarade à avoir lorsqu'on s'aventurait dans des territoires urbains inconnus; sa facilité à se faire des amis était tout simplement incroyable. En contrepartie, Dorian était un Tévintide, et sa culture encourageait l'étude des magies interdites, ce qui faisait de lui l'expert en matière de magie du sang. Iron Bull était... eh bien, Iron Bull. Un géant qui gardait les ennemis loin, et les amis en sécurités.
Récemment, Varric avait entendu d'une source que le Roi de Meisa, un homme réputé pour son usage de la magie, était récemment arrivé à Nexus. Beaucoup de suspicions pesaient sur lui par rapport à sa pratique parfois non éthique de ses pouvoirs. S'il n'était pas à l'origine de ces massacres, il y avait peut-être un lien entre eux, et il était du devoir de l'Inquisition de s'assurer que personne ne serait blesser dans l'incident possible.
Le Roi se trouvait apparemment dans les quartiers de la hauteville, mais jusqu'à maintenant, leur recherche semblait ne porter aucun fruit.
-Peut-être devrions-nous demander de l'aide à la Reine? proposa Dorian.
-L'idée parfaite pour se retrouver encore une fois dans une intrigue politique à la noix.
-Allons, je ne faisais que proposer.
-Et moi, râler.