Dans les rues faiblement éclairées des quartiers misérables, seul l’écho de mes pas résonnait entre les murs sales et décrépis, éveillant ainsi les rats parmi les tas d’ordures qui fuyaient alors, escaladant quelque clochards ivres affalés dans les cartons. Semblable à un battement de cœur, le tintement sourd d’une boite de nuit lointaine parvenait encore à mes oreilles, alors que je m’enfonçai de plus en plus au cœur de ces ruelles les plus sordides.
De nombreux mois s’étaient écoulés depuis mon arrivée sur Terre, et je me lassai difficilement de l’ambiance sinistre de ces bas-fonds. Bien entendu, ces lieux n’étaient guère recommandables pour les mortels, mais qu’avais-je à craindre pour ma part, moi une démone de premier plan ? Il était évidemment très fréquent que ma route croise quelque brutes et autres coupe-gorges, m’obligeant ainsi à laisser derrière moi une trainée d’hommes ou de femmes brisés et fracturés.
En réalité, je ne tenais pas à me faire vraiment remarquer. Je bridai volontairement mes pouvoirs en vertu de l’accord tacite signé par l’ensemble des démons, d’autant plus que je n’avais pas été invoqué sur Terre. Ma venue était née d’un désir spontané d’explorer l’humanité, et de renouer avec l’époque, après avoir dormi pendant quelques siècles. Quitte à m’aventurer dans le plan des humains, autant déambuler dans les zones les plus distrayantes à mes yeux, tel ce quartier de la Toussaint.
*Les dégénérés et les désespérés sont toujours les plus amusants…* Songeai-je tandis que mes talons claquaient le trottoir sale.
Comme souvent, ma tenue se composait très simplement d’un pantalon noir moulant parfaitement mes formes, de bottines et d’une veste de cuir, le tout évidemment d’un noir profond. Une couleur qui faisait très bien ressortir mes cheveux rouges, très longs, retombant souplement sur mes épaules. Et même si j’avais choisi cette
apparence humaine, la perfection de mon physique attirait sans aucun doute les regards des mortels.
Je trainai de tripots en boutiques étranges, m’attachant parfois à de simples rencontres, comme une ombre passante dans la vie d’un humain pour exécuter un souhait à ma manière. C’était un de mes passe-temps favori. Accorder un service à un mortel qui venait d’attirer mon attention, en tordant bien évidemment les termes de notre contrat pour en faire ce dont je voulais. Et m'en amuser jusqu'à ce que je m'en lasse définitivement.
M’arrêtant à l’entrée d’une ruelle en cul de sac, je fouillai dans la poche de ma veste pour en sortir un briquet et une cigarette achetée au coin de la rue. Je n’étais même pas certaine que cela était du tabac, mais ça n’avait pas grande influence sur mon organisme démoniaque si ce n’était un effet relaxant. Décelant un mouvement dans un angle mort, je m’avançai, clope aux coins des lèvres pour constater ce dont il s’agissait. Très certainement un autre clochard, pensai-je sur l’instant.
En fin de compte, il s’agit d’une jeune femme, avachi à l’angle d’un mur, en train de marmonner je ne sais quoi et de se tenir les mains. Manifestement, elle devait être ivre ou bien droguée, peut-être même les deux à vue de nez. Une pathétique créature qui remua à peine à ma présence lorsque je m’arrêtai devant elle pour l’observer en train d’émerger. Son physique était contre toute attente, plutôt agréable, même si je n’étais pas réellement une grande amatrice des coiffures modernes aux teintures mauves, et je détaillai avec curiosité le singulier tatouage qu’arborait son visage.
« Bien le bonsoir. Joli coin pour s’asseoir et vomir vos tripes, n’est-il pas ? » Lui lançai-je en soufflant nonchalamment un rond de fumée. Je l’observai se démener pour reprendre ses esprits sans faire un geste pour l’aider, ni cacher mon air moqueur.