[Vérification des données géographiques]…
[Aucun changement, trajectoire maintenue]…
[Vérification des données naturelles]…
[Éruption dans le Sud, formation nuageuse inquiétante à l’Est]…
[Calcul d’une nouvelle trajectoire]…
Mollement avachie dans le large siège du pilote, avec toute la grâce qui sied à une créature aussi fantastique qu’un dragon doublé du grade de capitaine de vaisseau, je me curais l’espace entre deux crocs du bout d’une griffe. L’ennui des longs voyages dans un petit espace c’est justement l’ennui lui-même. Il survient vite, et prend source partout, dans les parois trop proches qui empêchent de se dégourdir le pattes, de s’étirer dans toutes les positions désirées, ou même simplement de se tenir bien droit debout. Courbée pendant plus de vingt-quatre heures ça commence à peser lourd sur l’échine, que ce soit chez les cervicales ou les lombaires. D’ailleurs ces dernières se récriaient activement depuis plus d’une heure, suffisamment pour que je me décide à glisser mon postérieur vers l’arrière, rencognée dans le siège, et fasse supporter l’arrondit de mon corps à ma nuque. Les deux coudes sur le tableau de bord, le regard embué d’un ennui ensommeillé, je regardais les informations élémentaires s’affichant sur le grand écran de mon cockpit. Comme toujours de mornes colonnes de chiffres se promenaient d’un bout à l’autre de l’écran, agrémentées d’images extérieures et de simulations pêchées ici et là dans les ondes en perpétuel mouvement entre les grandes villes. La météorologie n’étant clairement pas l’une de mes passions, et l’arithmétique ne me servant guère qu’à compter mes sous, je m’en désintéressais d’un long bâillement. Il devait bien y avoir un putain de truc à faire pour m’occuper, autre que de terminer mon petit jeu sur console pour la soixante douzième fois en deux mois.
Cherchant à me divertir l’esprit je songeais, encore, aux raisons qui me poussaient à subir ce long voyage en conserve volante. Une histoire de bâton, sceptre, peu importe, un long machin brandit par quelqu’un de puissant pour se donner l’air péremptoire quand il ordonnait de changer le monde selon ses désirs. Un cure dent de plus qu’un peigne cul en mal de gloire rangerait dans une petite pièce trop propre et trop inhabitée pour se rengorger devant trois visiteurs par décennies, trop peureux de dévoiler son trésor plus souvent que cela. Voila pour les raisons économiques. Mais pour d’autres, plus personnelles, je brûlais déjà de me trouver au cœur de l’aventure. Il devait y avoir une créature là bas, une vieille bestiole crevée à qui appartenait la fameuse batte, et c’est sur son cadavre que je comptais mettre la main. Plus que l’argent c’est le pouvoir, sous ses multiples facettes, qui m’a permit de survivre à peu près tranquillement jusqu’au aujourd’hui. Aussi je juge normal de poursuivre le pouvoir de mes assiduités, toujours plus de pouvoir, toujours plus de forces, jusqu’à ce que plus personne ne puisse m’atteindre. Alors seulement, je me reposerais pour l’éternité, où jusqu’à désirer mourir.
Un petit soupir filant entre les crocs je me frottais les yeux comme pour les dessiller de ces rêves irréalisables, puis je tirais d’une tablette de contrôle un petit coussin y traînant. Quelques minutes plus tard je combattais l’ennui par l’inconscience en dormant profondément, bercée par la voix monocorde du moniteur de bord et le ronronnement des diverses parties du vaisseau s’actionnant sans répit.
Une sirène me réveillât, pas le genre qui donne envie de se noyer, mais plutôt de la noyer elle, et je martelais le tableau de bord du plat de la main dans l’espoir de la faire taire. Fort heureusement les détecteurs du cockpit captèrent le mouvement et comprirent que je m’éveillais. De sa voix atone le vaisseau m’informa de l’arrivée à destination, un point encore un peu éloigné de la véritable destination mais je ne désirais pas me planter dessus comme pour y braquer un projecteur. S’il y avait d’autres charognards autant les prendre dans le dos et par surprise.
Rapidement je ramenais mon vaisseau près du sol. Je dénichais sans trop de soucis une cache derrière un groupe de pierres agrémenté d’arbres résineux. Situé en plaine, l’endroit n’offrait qu’un couvert relatif, une butte ici ou là, de loin en loin, et quelques arbres massifs regroupés en bosquets eux même encerclés par une végétation moins imposante. Mon masque sur le museau, des jumelles en mains, je vérifiais au loin l’état de ma future prise. Quelques points se mouvaient dans les premières pièces, certains se discernaient si mal qu’il devait s’agir de petites bestioles, rats et autres nuisibles. Il y avait donc un comité d’accueil, de là à savoir s’il s’agissait de bêtes ou d’être intelligents…
Je ronchonnais alors, pour la forme, en remontant dans mon bolide. Je ne m’attendais pas à un tapis rouge dans un bâtiment immaculé, mais au moins à rien, ou presque, mis à part quelques pierres branlantes et des araignées tissant sur de la mousse humide. La banalité des cryptes oubliées et suffisamment répugnantes d’aspect pour que personne ne désire y séjourner. Maintenant que la compagnie se confirmait je devais prévoir un plan, une suite logique ne débouchant pas sur de graves blessures ou une mort prématurée pour moi. Pour ce faire, il me fallait un QG, un endroit calme et plus spacieux que la carlingue de mon vaisseau.
Je remontais donc dans ses entrailles à la recherche d’un lieu qui ne soit pas à plus d’une heure à portée de mes réacteurs.
C’était mignon, le petit coin que je venais de me dégotter. Une bâtisse en bois, avec de la paille sur un côté, un joli petit toit luisant, et des carreaux pas très propres dans des carrés de bois presque brut. Il s’en dégageait une aura rustique et artisanale, le genre de sentiment que seule une maison faite de bric et de broc par un solitaire peu dégager, un croisement entre sauvage et civilisé. Je dois dire que j’aime bien ce genre de trucs, c’est pittoresque ça incline à imaginer, c’est bon pour l’esprit. Mon vaisseau posé et verrouillé juste à côté de la bicoque, et personne ne se manifestant dans les alentours immédiats, je me décidais à entrer voir l’intérieur. Une exploration qui se promettait presque plus palpitante que celle pour laquelle je m’étais envolée.
C’est d’un bon coup d’épaule que je forçais la porte, braquant ensuite immédiatement le fusil tekhan m’occupant les deux mains dans tous les angles sombres de la pièce. La lumière artificielle de la lampe ne me révéla rien de dangereux, et je relâchais un peu la tension dans mes épaules, sans pour autant baisser le canon principal de mon arme.
Vingt minutes plus tard, toujours rien, enfin, rien de vivant et braillant venu me demander des comptes. Le loquet en bois, tout simple, de la porte s’était remit facilement, comme si je ne l’avais jamais déboîté. Pour ce qui était des trouvailles inertes je pouvais me targuer d’une meilleure chance. De la bouffe ! Plein de bonne bouffe ! De la viande séchée, fumée, salée, tout ce qu’il faut pour se tailler un vrai festin, mis à part une bonne bière ou un alcool sirupeux tekhan. Mon ventre grondant déjà rien qu’en respirant les odeurs engageante de la masse de viande accumulée sur la table après avoir vidé les placards, j’entamais une bonne ripaille, face à la porte, décalée de la fenêtre la plus proche, et mon arme prête à l’emploi directement à portée de main. Même en mâchant un bout de viande et en tenant une tranche dans la main je dézinguerait le premier machin un peu trop brutal qui chercherait à faire des choses malsaines ou engageant possiblement ma mort certaine avec ma tête.