Vae Victis [PV]

Attaquer l'ennemi à son point faible, peu importe les moyens qu'il fallait utiliser, tel était la devise de Grak et de sa soeur, un stratégie qui avait fini par payer enfin, après des siècles d'humiliation des peaux vertes. Fara toutefois n'était guère bercée d'illusions, cette union des clans tiendrait tant que Grak aurait la force de se maintenir à sa place, mais même son puissant frère n'était pas éternel, personne ne l'était. Si Grak lui gérait le déroulement de la guerre, Fara avait à son esprit le futur de ce que son frère avait l'ambition de construire. Un royaume orc qui se maintiendrait dans la durée, une imitation des dynasties humaines...du moins dans les grandes lignes, et Anastasia en était la clef de voûte.
Fara fit alors signe à ses gardes d'emmener le jeune garçon en dehors de la cellule, et il s'exécutèrent en fermant derrière eux la porte, qui claqua dans un lourd grondement d'acier.

Ce que je veux, humaine, c'est la continuité de ce que Grak a l'intention de bâtir. Non pas des conquêtes éphémères, qui disparaîtront avec lui, mais un renouveau de notre peuple, profond et durable.
Et la clef, c'est toi, ainsi que tes humains.

Fara commenca alors à marcher dans la cellule, regroupant ses pensées, et comment elle en était arrivée à cette conclusion.

Les orcs ne sont jamais parvenus à vaincre durablement les humains car nous sommes incapables de présenter un front uni dans la durée. Tout aussi divisés que vous soyez, vous avez su mettre de côté vos différents pour nous combattre. C'est cette intelligence là, qui fais cruellement défaut à mon peuple, supplantée par son agressivité et ses instincts.
Grak est parvenu à unir les clans grâce à ça. Même toi qui le hais, tu as pu t'en rendre compte, moi et mon frère nous parlons comme vous, pensons comme vous...et nous vous avons battus car nous agissons comme vous. Mon frère ne l'admettra jamais car il est consumé par la haine, depuis que tes troupes ont massacré nos parents, frères et soeurs, mais il vous considère comme supérieurs à nous en bien des aspects.
Ce qu'il veut, ce que je veut, va bien au delà de nos petites existences, humaine...la création d'un nouveau peuple.

Comprendrait-elle ? Comprendrait-elle où la chamane voulait "vraiment" aller avec son raisonnement ?

Ces orcs que tu as vu se battre, ceux qui servent de garde à mon frère, en sont les premiers membres. Fruits de l'union entre humains et orcs...bâtards diront certains, mais nous y voyons la quintescence de nos qualités respectives. L'intelligence et l'adaptation des humains, mêlée à la force et l'endurance des orcs. Mais ce n'est pas une vision qui se réalisera durant son temps passé sur cette terre, mais durant celui de sa descendance, qu'il veut comme des parangons de sa vision.

Fara s'agenouilla alors devant l'humaine.

Alors ce que je veux est simple...tu va te soumettre à Grak, et porter sa descendance, humaine. Tu va montrer à mon frère, ton roi, que son projet n'est pas aussi fou que ce que certains de ses lieutenants voudraient lui faire croire. Tu va montrer, aux orcs, que les humains peuvent leur être utiles. Non pas comme esclaves, non pas comme nourriture, mais comme moyen de se transcender.
Voilà ce que je veux humaine. Pour notre intérêt à tous.

Silencieuse, Anastasia écouta la femme lui expliquer son projet dément. Elle avait conscience de l’intellect limité des Orcs. C’était indéniable. Les Orcs compensaient par leurs muscles leur absence de matière grise. Ils étaient par nature violents et brutaux, et rien n’avait jamais pu faire pour changer ça. Certains  alchimistes et anthropologues humains avaient pu déterminer, en examinant des cadavres d’Orcs, leurs formations osseuses, et les peintures rupestres observables dans certaines grottes, que les Orcs étaient un héritage préhistorique. Techniquement, ils étaient le peuple le plus vieux du monde, et certains archéologues avaient même développé des thèses, considérées comme hérétiques, où ils soupçonnaient que les Orcs et les humains avaient des ancêtres communs. Des thèses qui n’avaient jamais été publiées, mais dont Anastasia avait entendu parler. Selon eux, originellement, Orcs et humains appartenaient à la même espèce, et les premiers étaient partis dans les montagnes, dans des régions sauvages, où, pour s’adapter aux conditions atmosphériques extrêmes, ils avaient mué.

Visiblement, Fara adhérait aussi à cette théorie, et évoqua la création d’une nouvelle race, qui comprendrait les points forts des deux : l’intelligence des humains, et la force physique des Orcs. Silencieuse, Anastasia observait surtout Jonah, qui se forçait à ne pas pleurer, mais claquait nerveusement des dents. Le projet de Fara était finalement qu’Anastasia porte l’enfant de Grak, ce qui amena cette dernière à se crisper.

*Comment ose-t-elle seulement me proposer ça ? Rien que le dire mériterait que je t’égorge, salope !*

Mais pouvait-elle vraiment s’y risquer ? La vie de ses sujets était en vie. Et puis, elle ne croyait pas à ce délire génétique. Grak était une exception. Il arrivait parfois que certains Orcs maîtrisent la magie noire, et disposent d’un intellect avancé. Néanmoins, ils ne représentaient qu’une infime proportion. Porter l’enfant de Grak lui faisait horreur, mais sa priorité était de protéger son peuple.

« Que les Orcs dévorent mes sujets, ou les font travailler dans leurs carrières, ils mourront. »

Elle ne se faisait aucune illusion, elle avait déjà vu des mines orcs. Les prisons des humains étaient de grandes cages sinistres faites d’ossements. Les prisonniers y étaient entassés, et mourraient généralement de froid, les Orcs se souciant fort peu de leur état de santé, et attendant que les prisonniers meurent pour nourrir les autres prisonniers à partir de leurs entrailles. Autant dire qu’Anastasia ne voulait pas de ça pour son peuple.

« Je porterais le bâtard de Grak si ça peut vous faire bander, si mes sujets sont relâchés. »

Sur ce point, elle ne transigerait pas. C’était là une condition sine qua none, d’autant plus que, en son for intérieur, elle était convaincue que le projet de la Chamane était délirant. Et, après tout, l’idée de porter le bébé de Grak était tout simplement à vomir… Mais la vengeance était un plat qui se mange froid. Que Grak tienne à faire ses monstres de foire s’il le voulait, mais, si jamais Anastasia mettait au monde l’enfant de ce dernier, elle le tuerait sous ses yeux.

*La priorité est de protéger mes sujets, mais, ensuite, je mettrais tout en œuvre pour me venger.*

La haine était en effet la seule chose que Grak ne pouvait pas lui ôter. Et elle allait l’entretenir, car la vengeance était un plat qui se mange froid. Tout ce que la Chamane avait dit sur le « respect » que Grak vouait aux humains était entré dans une oreille pour ressortir immédiatement par l’autre. Anastasia ne voyait qu’une brute sadique et cruelle, qui avait humilié et volé la virginité d’Anastasia tout en réduisant son armée en cendres. Jamais elle n’aimerait ce monstre, et, même si cela prenait des années, elle le tuerait.

« Je veux qu’un sauf-conduit leur soit accordé à tous aux frontières des autres royaumes humains, récapitula-t-elle. Voilà mes conditions. »

Fara et Anastasia étaient désormais seules, ce qui leur permettait de parler en toute "sincérité". L'orc s'était bien attendue à ce que cette humaine tente de vouloir poser ses conditions, mais ça avait été justement anticipé par la chamane, qui voulait par ce biais détourné l'amener là où elle voulait. Elle se permit toutefois de sourire, lorsque Anastasia exigea que tous ses sujets soient libérés, afin qu'elle coopère. La prenait-elle vraiment pour un animal dénué d'intelligence ? Peut-être, c'était après tout cette erreur, de les sous-estimer, qui avait coûté à l'humaine son trône, et elle continuait de faire cette même erreur. Mais, pour son propre bien, il allait falloir qu'elle apprenne vite que Fara et Grak ne pouvaient être aussi aisément dupés.

Tu penses être en mesure de poser des conditions, humaine, alors que le sort des survivants de ton peuple ne repose plus entre tes mains, mais entre les miennes.

Elle soupira alors, puis se releva, tournant momentanément le dos à Anastasia, marchant un peu, avant de reprendre.

Des conditions qui plus est inacceptables. Grak paraîtra faible si il relâche tous tes sujets ensemble, d'autant plus que...une fois libérés, quelque chose me dit que tu ne te montrera pas docile. Je ne sais pas...une intuition, ou peut-être ne suis-je pas stupide comme tu sembles le croire ? Un conseil, humaine, ne me prends pas pour idiote...tu joue avec la vie de tes sujets en le faisant, et il suffit d'un mot de ma part pour que ton "Jonas" revienne dans cette cellule, et que je l'égorge face à toi. Une vision qui ne manquera pas de te marquer, j'en suis certaine, mais qui peut-être te fera réaliser véritablement ta place.

Elle revint à elle.

Ais-je été claire ? Mais je ne suis pas fermée à la discussion, humaine, je comprends ton point de vue. Je te proposes donc un compromis. Je libérerais ton peuple...progressivement. Chaque jour qui passera, où tu te sera comportée envers Grak avec la soumission que j'attends de toi, je ferais libérer trois familles de ton peuple. Chaque acte de défiance de ta part en revanche, te vaudra d'assister à l'exécution d'un ou plusieurs des tiens, et je prendrais soin de sélectionner parmi les jeunes de préférence. Si tu souhaites vraiment, réellement, sauver ton peuple, alors tu sera obéissante.
Et si tu venais à tenter quoi que ce soit de stupide...vouloir me tuer moi, mon frère, n'importe quel orc, ou de t'enfuir...alors notre pacte sera annulé, et c'est ton peuple qui en fera les frais.
Ais-je, été, "claire" ?

Prendre en otage Anastasia en mettant en balance la vie de ses sujets était quelque chose qui ne pouvait marcher qu’avec les souverains d’Arman. Contrairement à bien des souverains, les Rois et les Reines d’Arman s’étaient toujours dévoués envers leurs sujets, et avaient toujours estimé qu’il était de leur devoir de mourir en les protégeant. C’était cette éducation qui se retournait contre elle. Bien sûr, elle ne s’attendait pas à ce que Grak accepte de libérer tous les otages d’un coup, mais Anastasia avait posé ses conditions. Fara expliqua qu’elle comptait les libérer progressivement, sous réserve qu’Anastasia se montre coopérative, docile... De quoi la faire enrager, et il suffisait d’ailleurs de voir son regard, plein de braise, pour le réaliser. Mais soit... La vengeance était un plat qui se mange froid, et elle allait devoir attendre, de toute manière, jusqu’à avoir une ouverture pour tuer Grak.

Respirant lentement, elle répondit donc :

« Soit. »

Anastasia déglutit ensuite, ferma les yeux, et reprit son souffle. Elle aussi avait encore des précisions à faire, et enchaîna donc :

« Mais, si jamais vous leur faites du mal, notre accord ne tiendra plus. »

La Reine savait très bien que Fara n’aurait jamais accepté de tous les délivrer d’un coup, mais, tant qu’Anastasia avait la garantie que les prisonniers étaient libérés, le reste importait peu. L’idée de coucher avec Grak était répugnante et lui donnait envie de vomir, mais c’était de la santé de ses sujets dont, en définitive, il était question.

« Maintenant... Qu’est-ce que toi et ton frère attendez de moi ? »