C’était une affaire compliquée, soit typiquement le genre d’affaire qu’Alexandre aimait bien, mais qui expliquait pourquoi, ce soir, il était tout seul dans son cabinet. Tous les autres étaient partis, de sorte que l’avocat pouvait travailler au calme. Il était sur un gros dossier, assez compliqué, qui nécessitait de faire des recherches, et de réfléchir. Et c’était bien là tout ce que l’homme aimait. S’il avait choisi de faire du droit, c’était, non seulement pour des raisons pratiques, mais aussi intellectuelles. Il avait une sainte horreur de tous ces petits dossiers ridicules où il fallait discuter le bout de gras avec la partie adverse. Lui aimait l’aspect théorique de la matière, le fait de devoir se renseigner, tirer des théories, interpréter les textes de lois, et même interpréter la jurisprudence, afin de développer une argumentation cohérente et censée, de nature à convaincre le juge de ce qu’il disait.
En l’occurrence, le sujet était difficile, et relevait du droit international privé. Sa cliente, une grosse société japonaise, avait passé un contrat de distribution avec une autre société internationale. Sa cliente fabriquait des produits sur le sol japonais, et sa cocontractante se chargeait ensuite de les vendre à l’international. Simple sur le papier. Dans les faits, la société de distribution recevait sa rémunération par le biais d’un pourcentage prélevé sur le chiffre d’affaires des produits vendus, et prenait à sa charge tous les frais inhérents à la distribution, incluant notamment les taxes fiscales et les droits de douane. Cependant, en faisant un audit de sa société, les experts-comptables avaient réalisé que la société de distribution, par le biais de truchements ingénieux, refacturait à sa cliente les frais de douane et autres impôts, de sorte que, non contente de recevoir sa rétrocession habituelle (la part de pourcentage prélevée sur le chiffre d’affaires), la société de distribution recevait aussi de l’argent en facturant à sa cliente des prestations qui, normalement, ne devaient pas être remboursées.
Le dossier était, comme on pouvait s’y attendre, très compliqué. Mais, avant même d’envisager le fond, il y avait la question, centrale, de la loi applicable. En droit international privé, on était dans un litige opposant des ressortissants d’au moins deux États différents. Dès lors, il se posait la question de savoir auprès de quel juge se tourner, et quelle loi appliquer. Une épineuse question que les parties réglaient souvent en insérant dans leurs contrats des clauses attributives de juridictions et de lois. En l’espèce, leur contrat contenait une telle clause, qui attribuait la compétence juridictionnelle et la compétence législative à Singapour. Cependant, Singapour n’intéressait guère le client de Dowell, car les règles y étaient plus favorables pour son adversaire. Ainsi donc, et avant même d’envisager le fond du dossier, il fallait se battre pour faire sauter cette clause attributive de compétence.
C’était ce que faisait Dowell ce soir, en faisant ses propres recherches, et, surtout, en consultant les notes de synthèse et les rapports que ses collaborateurs avaient fait, en épluchant le contrat, et, surtout, en cherchant de la doctrine et de la jurisprudence. Seul dans son bureau, Alexandre était donc plongé dans ces recherches.
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Comme d’habitude, Elizabeth a fait du bon boulot…*
Sa jeune collaboratrice,
Elizabeth Foster, avait été mise sur ce dossier sensible, et avait passé la journée à éplucher de la jurisprudence, pour lui faire une note finale qui était à la fois complète et agréable à lire. Ce soir, d’ailleurs, Alexandre aurait dû dîner avec elle, et vraisemblablement lui faire l’amour, comme ils le faisaient à chaque fois. Et, même si c’était un homme cultivé, ne pas pouvoir le faire avait tendance à le frustrer un peu.
Personne ne devait venir le déranger ce soir, et pourtant… Alexandre s’interrompit soudainement en sentant une
présence, qui venait de faire irruption dans ses bureaux, et était même très proche de lui.
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Qu’est-ce que ça veut dire ?*
Qui donc osait venir ici ? Et, surtout, quel était ce sang très particulier que l’homme percevait ? Il se redressa donc… Sans se douter que ce mystérieux intrus allait venir de lui-même le voir…