De la petite pochette qu'elle maintenait jusque là contre le obi* de son tomesode**, la japonaise sorti un Iphone d'un noir aussi sobre que sa propre tenue et le tendit dans un sourire léger et poli à la caucassienne bien embarrassée. Elle ramena ensuite ses doigts à la manucure parfaite et discrète contre son petit sac, croisant les mains en signe de patience.
Chize attendait elle aussi, élégante muse drapée dans la tenue qui affirmait l'élégance nippone. Aucune once de vulgarité chez cette femme à l'allure fragile et stricte, dont le chignon serré ne laissait passer que quelques rares mèches contre sa nuque. Une sorte de fantaisie pour celle qui patientait paisiblement sur ce bout de trottoir, assistant sans s'y intéresser au ballet des berlines qui défilaient pour récupérer leur précieuse cargaison.
On aurait pu penser que Chize était une femme fade de par sa discrétion, voire frigide, mais quelqu'un comme la Veuve pouvait déjà y voir plus clair. Une femme qui prenait soin d'elle et de ses charmes reconnaissait ses pairs et il était net que la native de l'archipel avait conscience de la beauté de ses traits et de ses courbes -bien plus généreuses au demeurant que l'image qu'on prêtait au tracé naturel des femmes d'Asie, chose qui n'était qu'à peine effacé par sa tenue. De plus, sa manucure était un signe de coquetterie manifeste. En un mot comme en cent, Chize désirait plaire, mais à sa façon. Qui plus est, pas au premier venu.
Pourtant, elle n'était nullement insensible aux démonstrations étrangères, puisqu'elle laissa son regard glisser sur les escarpins de Catalina.
- Très jolie chaussures, fit-elle simplement.
Poliment, Chize inclina le buste pour saluer son interlocutrice.
- Pardonnez moi, il aurait été plus convenant de me présenter en premier lieu. Chize, Chize Tetsuzaemon. Permettez que je vous propose que l'on vous raccompagne, si vous escomptiez appeler un taxi. Une jeune femme ne devrait pas rentrer seule à une heure si tardive.
Il était clair que malgré le ton poli de la proposition, Catalina n'avait pas vraiment le choix. Oh, cela n'avait rien d'une menace ! Seulement, Chize ne paraissait pas du genre à laisser s'échapper la demoiselle pour lui faire risquer les mauvaises rencontres. Elle enfonça le clou d'un sourire fin, avant que ne s'arrête devant elles une poignée de secondes plus tard une
limousine qui eut le goût d'arrêter sa course de façon à ce que la porte soit placée parfaitement devant Chize.
Un homme à la face abîmée et au crâne tatoué sorti de la place du mort, contourna la carrosserie pour ouvrir la porte tout en saluant révérencieusement la nippone. Il n'adressa même pas un regard à Catalina tandis que Chize échangeait quelques mots avec une autre personne encore dissimulée à l'intérieur de l'habitacle. Elle se redressa ensuite pour sourire à Cata, s'écartant d'un pas pour la laisser poliment passer la première.
- Je vous en prie, tout est arrangé.
Une main ferme et bien suffisamment large pour que sa paume puisse écraser l'entièreté de l'un des seins pourtant généreux de l'invitée se tendit alors pour aider Catalina à pénétrer dans la voiture.
A l'intérieur, une forme massive attendait la caucasienne. Massive ? Ce n'était pas vraiment le bon terme. Dans l'étroitesse de l'habitacle, Jûzô paraissait immense. Un colosse dans une boîte exiguë qui semblait bien assez puissant pour déformer la carrosserie de la limo en se contentant de rouler des épaules. Son corps d'auroch reposait sur la banquette arrière qu'il occupait de sa seule masse, dont on devinait la nature au roulement de ses impressionnants muscles d'acier sous la chemise qui se tendait agréablement contre son buste qui semblait à-même de maintenir les deux femmes ensemble contre lui sans qu'aucune ne soit lésée.
L'oyabun, contrairement à son homme de main, ne se priva pas pour avaler la silhouette de Catalina du regard, en connaisseur avisé. Malgré sa gueule balafrée et son air impitoyable, il adressa un sourire poli et chaleureux à son invitée avant d'aider Chize à entrer à son tour.
Une fois la japonaise installée, la porte se referma. La scène avait-elle pour Taylor des allures de piège mortel ? Peut-être, surtout au vu du regard glouton qu'avait porté sur elle le Buffle. Néanmoins, la présence de Chize relativisait tout. Il n'avait d'yeux que pour elle, et lorsqu'il l'interrogea sur la soirée, il était clair que c'était par réel intérêt et pas uniquement pour se montrer poli. Leurs rapports publics, teintés d'une distance calculée, aurait pu paraître froids ; pourtant une sorte de complicité s'y lisait.
Chize se tourna vers Catalina alors que Jûzô ouvrait de son côté le mini-bar à l'attention des deux femmes. La voiture, elle, ne démarrait pas.
- Nous ne vivons pas loin d'ici, aussi mon mari me déposera-t-il en premier lieu. Ensuite, vous aurez ses services à disposition.
- Nous jouirons de notre compagnie réciproque, lâcha l'homme de sa voix puissante.
Y'avait-il bel et bien une malice palpable dans la voix de Chize, et dans son regard quand elle posa les yeux sur Jûzô qui hocha légèrement la tête ? Peut-être. De toutes façons, Catalina aurait bientôt tout le loisir d'en apprendre plus.
A ses risques et périls.
Mais y'avait-il seulement un mâle que cette femme pouvait craindre ?
--
* : La ceinture large maintenant les kimonos.
** : Type de kimono très formel, souvent utilisé pour les événements un peu solennels.