La sempiternelle arrogance de ce Chevalier était des plus insupportables. Le poing de Diana heurta le vide, ce dont la jeune femme peina à se rendre compte, compte tenu du fait qu’elle n’avait accès à quasiment plus aucun de ses sens. Elle se fia donc à son oreille, car elle ne sentit pas l’impact caractéristique que son poing produit en rencontrant un objet. Elle frappa le vide, et Shaka, qui arriva quelques mètres à côté d’elle, lui expliqua que, en tant que Chevalier d’Or, il pouvait se déplacer à la vitesse de la lumière. Diana, de fait, disposait ici d’une super vitesse, mais sa vitesse n’égalait pas celle de Flash. Shaka continuait à jouer avec elle, mais il cherchait très certainement quelque chose. Diana resta en hauteur, les yeux toujours fermés, se fiant à ses oreilles pour le retrouver. Elle se devait de trouver un moyen d’en finir avec lui avant qu’il ne coupe tous ses sens, et qu’elle soit totalement bloquée.
*
Ces tours d’illusionniste sont lassants !*
Shaka continua à employer ses sorts, et coupa désormais le goût, arguant que ne plus entendre Diana leur ferait le plus grand bien... Une phrase curieuse, compte tenu du fait que c’était surtout lui qui parlait tout le temps. Une véritable pipelette, qui devait adorer s’entendre parler ! Néanmoins, pour Wonder Woman, la situation devint encore plus complexe. Elle resta sur place, en léthargie, utilisant ses oreilles pour repérer les ondes sonores, n’ayant plus que cela pour pouvoir se repérer et se battre. Aussi tendue soit-elle, Diana se refusait à croire que la situation était désespérée. Il y avait encore sûrement quelque chose à tenter, elle n’avait pas encore abattu toutes ses cartes. Il fallait qu’elle comprenne le fonctionnement des attaques de Shaka. Elle avait déjà compris que ces attaques étaient des illusions, ce qui voulait dire que, en méditant, elle pourrait peut-être les surpasser... Ce qu’il ne fallait pas oublier, c’était que Shaka était avant tout un Chevalier d’Or connu pour sa sagesse, et un grand amateur du bouddhisme. Or, le bouddhisme, plus qu’une religion, était une philosophie orientale, une philosophie de la méditation. Diana n’était pas une spécialiste du bouddhisme, mais elle savait que cette philosophie, comme l’hindouisme, visait à atteindre une sorte d’état suprême, transcendantal, le
nirvana. Considéré dans la langue populaire comme une sorte d’état de grande satisfaction, le
nirvana était plus que ça. C’était un état nouveau, où le sujet ne ressentait plus ni souffrance, ni plaisir, mais était au-dessus de ça, dans une sorte de félicité éternelle. La grande théorie de Bouddha, au cœur du bouddhisme, était de considérer que la frustration naissait du désir, et que, pour éviter de souffrir, il fallait arrêter de désirer. En appliquant cela au combat en cours, la leçon à en tirer était d’arrêter de reposer sur ses sens pour se reposer sur autre chose... Car les sens étaient trompeurs. Diana savait que les cinq sens donnaient une appréciation déformée de la réalité. Ainsi, là où un homme voyait vert, un animal avec des pupilles différentes verrait tout en rouge. Les cinq sens du corps humain ne donnaient qu’un
aperçutronqué de la réalité, et, plus Diana perdait l’usage de ses sens, plus elle était fermée, isolée sur elle-même.
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Qu’est-ce que le bouddhisme disait au sujet des cinq sens, déjà ?*
Diana réfléchissait, revenant aux fondamentaux, et aux différences entre la pensée occidentale et la pensée bouddhiste. Pour les Occidentaux, un sens désigne la capacité d’un sujet de percevoir des éléments extérieurs à celui-ci. D’un point de vue bouddhiste, le «
sens » était une notion plus délicate, plus subjective, et parlait, de fait, non pas de sens, mais de «
conscience ». Pour un bouddhiste, la vue n’était pas un sens, mais une conscience, car, dans cette philosophie, pour qu’une information extérieure soit perçue par le sujet, il fallait la réunion de trois éléments : un objet à percevoir, un organe capable de visualiser cet objet, et une conscience capable de traiter l’information. Ainsi, dans le cas de la vue, il faut avoir quelque chose à regarder, des yeux pour le voir, et un cerveau suffisamment constitué pour permettre de comprendre ce qui a été vu. De cette manière, plutôt que de parler du «
sens de la vue », on parlait de «
conscience de la vue ».
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C’est là que les tours de Shaka doivent se jouer... Il me retire chacune de mes consciences.*
Il existait ainsi, dans le bouddhisme, non pas cinq sens, mais neuf consciences :
- Les cinq premières consciences, correspondant chacune aux sens classiques : la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, et le goût ;
- La sixième conscience, la conscience psycho-mentale, qui est une conséquence des cinq premières, car elle consiste à donner une appréciation subjective des éléments perçus. Cette sixième conscience consiste à dire « J’aime » ou « Je n’aime pas » en percevant un objet extérieur, et, mis ensemble, ces six consciences forment un tout dont chaque être humain a instinctivement conscience ;
- La septième conscience, la conscience individuelle, est une conscience tournée vers l’intérieur de soi, et concerne l’identité personnelle du sujet. Cette septième conscience se forme par opposition aux autres, car elle désigne l’affrontement du sujet avec son environnement, et sa construction personnelle à partir des choix qu’il fait. Cette septième conscience n’est rien de plus que l’ego d’une personne ;
- La huitième conscience, la conscience-réservoir, correspond à l’inconscient collectif, au sens bouddhiste du terme. Il fallait comprendre par là que cette huitième conscience regroupe la matrice profonde d’une personne, c’est-à-dire une sorte de tronc commun à toutes les réincarnations qu’une personne fait, la vie et la mort étant perçus, au sein du bouddhisme comme un cycle ;
- La neuvième et dernière conscience, la plus profonde qui soit, est la conscience pure. Une sorte de conscience cosmique où l’individu atteint l’état de transcendance, et ne fait plus qu’un avec la vie elle-même, dépassant toutes les pensées et toutes les questions de valeurs.
Shaka était en train de couper toutes les consciences initiales de Diana, et elle pensait comprendre où il voulait en venir.
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Tu me testes, Shaka...*
Diana soupira lentement, même si elle ne put s’en rendre compte. Méditer, elle savait le faire, et, quand elle le faisait, il lui arrivait ainsi de se couper du monde, et de s’enfoncer en elle-même, de disparaître, de rejoindre ce que les bouddhistes appelleraient la «
septième conscience ». Il fallait ici aller encore plus loin, et, si elle rapprochait le concept des neuf consciences au
Cosmos des Chevaliers d’Or, Shaka voulait tout simplement qu’elle atteigne le septième sens du Cosmos. Si Diana en croyait les informations qu’elle savait sur les Chevaliers d’Or, ils étaient tous capables d’atteindre ce septième, à partir de laquelle le Cosmos devenait pur, débarrassé de toute considération humaine... Soit atteindre la neuvième conscience.
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Mais je n’ai reçu aucune formation sur le Cosmos...*
Bah ! Diana avait la réputation d’être une femme extrêmement sage, plus proche d’Athéna que de Zeus. Mais elle disposait encore d’un sens, un sens qui continuait à lui envoyer des informations.
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Bon... Autant pousser Shaka à me le retirer également...*
Elle bondit alors sur lui, filant à toute allure, et frappa à nouveau son armure, faisant preuve de cette super vitesse dont elle était capable, et qui pouvait même surprendre Flash. Le coup frappa le torse de Shaka, et l’envoya défoncer un mur. Shaka s’envola sur une quinzaine de mètres, et atterrit dans une autre grande pièce, un vaste hall avec de multiples colonnes de marbre. Il en défonça plusieurs sur son passage, et Diana, se fiant aux sons que Shaka dégageait, s’élança à sa poursuite...