Identité : Cora Travers.
Âge : Presque vingt-cinq ans.
Sexe : Féminin.
Race : ESP.er.
Sexualité : Hétérosexuelle.
Histoire : «
Regardes ce que tu fais à ta mère, Cora ! Obligée de boire pour oublier ta pathétique existence. Tu trouves ça normal, toi, de pousser ta mère à boire ? Tu n’aurais jamais dû naître, tu es une écœurante erreur de la nature ! Je ne sais pas ce qui m’a pris de te garder. J’aurais dû avorter avant ta naissance. Non mais regardes-toi ? Même pas fichu de tenir la maison propre. Ingrate inutile ! »
Les vociférations maternelles étaient incessantes. A presque quinze ans, Cora en avait l’habitude. La jeune fille, pourtant pas bête et pas moche, se trouvait continuellement sous les foudres de la rancœur de sa génitrice. Elle ne savait pas pourquoi, avec précision. Au fil des quinze années de sa vie, elle en était venue à déduire qu’elle était la cause de la rupture entre son géniteur et sa génitrice. Elle n’avait jamais connu son père. Soi-disant qu’il était parti avant sa naissance, en apprenant la grossesse de sa compagne du moment.
«
Apportes donc une nouvelle bouteille à ta mère, feignasse, hurla la matrone depuis son fauteuil usé.
—
Il n’y en a plus, répondit la jeunette d’une voix lassée.
Tu as tout bu, encore.—
Ne me parles pas sur ce ton. Et comment ça, y en a plus ? Tu as fait le plein hier, non ?—
Oui. Mais tu as tout bu.—
Eh bien, va m’en chercher d’autres au lieu de rester planter là comme une potiche. »
Levant les yeux au ciel, la jeune fille quitta le confort relatif de son matelas défoncé, et enfonça un vieux perfecto de cuir sur ses épaules graciles. Elle chaussa rapidement une paire de baskets usées, et quitta l’étroitesse de leur petit appartement délabré. Taudis conviendrait mieux, à la réflexion. Elle échappa ainsi aux récriminations permanentes de sa mère, et pourrait souffler un peu.
En sortant dans les rues de Portland, elle marqua un arrêt à la clôture déchirée qui fermait la cour du vieil immeuble de sept étages qu’elles habitaient depuis que la gamine avait vu le jour. Regardant à droite, puis à gauche, elle finit par traverser la route et se faufila dans les bois qui bordaient le coin. Son jean, déchiré aux genoux, se prit dans les ronces quand elle sauta agilement le fossé. Secouant sa jambe droite sans broncher, Cora se défit de l’étreinte végétale avant de continuer son chemin. Après presque un kilomètre de chemin sinueux, elle arriva dans une petite clairière. Les rires l’avaient guidée depuis presque cinq cent mètres, même si elle connaissait le chemin par cœur.
«
Ah, Cora ! On ne pensait pas te voir aujourd’hui. Elle est toujours à cuver, la harpie ? Lança une jeune fille du même âge que la jeunette.
—
Nan, elle s’est réveillée y a une demi-heure. J’ai dû attendre qu’elle m’envoie acheter de l’alcool pour filer.—
Tant mieux, tu vas pouvoir rester un moment avec nous alors. Ça lui fera du bien de dessaouler un peu.—
Du bien, je sais pas. Mais elle va vite ressentir le manque. J’ai intérêt à lui ramener beaucoup d’alcool en rentrant, soupira la jeune fille. »
Avec un sourire entendu, son amie lui fit signe de s’asseoir. Ils étaient sept, autour d’un feu de camp, et ils buvaient tranquillement des bières en discutant. Le soleil déclinait rapidement. Il était déjà caché derrière les arbres quand Cora s’était jointe à eux, et bientôt, il ne fut bientôt plus visible. Assise parmi ses amis, la jeunette oublia pour un instant les difficultés de son quotidien avec sa mère.
La lueur du feu rendait sa courte crinière flamboyante. Teinte en rose pâle à la base, elle irradiait à présent comme les braises qui rougeoyaient à l’intérieur du cercle de pierres. Les mèches indisciplinées venaient caresser ses pommettes hautes. Quelques-unes masquèrent même ses prunelles céruléennes avant qu’elle ne les repousse d’un geste gracieux de la main, les rangeant derrière ses oreilles.
Cora n’était pas moche, au fond. Elle était même plutôt jolie. Bien que pas encore tout à fait telle que la femme qu’elle deviendrait, la jeune fille possédait une grâce indolente et une aura séductrice dont elle ne se rendait pas forcément compte. Sa silhouette svelte était déjà pourvue de délicieuses courbes pleines et alléchantes. Elle ne tenait pas de sa mère pour sa beauté, mais de la famille de son père qu’elle ne connaissait pas. Une poitrine ronde et arrogante, une taille de sirène et de belles hanches pleines constituaient ses principaux attraits physiques.
Oh, bien sûr, on ne pouvait ignorer la profondeur de son regard, ou son petit nez mutin, ni même ses lèvres rosées, pleines et gourmandes. Mais elle ne les mettait pas spécialement en valeur, et le regard se posait plus facilement sur les monts et les vallées de son corps. Surtout qu’elle appréciait porter des vêtements flatteurs, à la limite de l’indécence parfois. En partie pour faire crier sa mère, qui jalousait sa beauté juvénile, mais aussi parce qu’elle aimait qu’on lui porte de l’attention autrement que pour l’agonir d’injures et de reproches infondés.
Avant tout, Cora était une jeune femme très portée sur la provocation et l’esprit de contradiction. Ayant grandi avec une mère très peu aimante, elle n’avait pas connu de réelle affection avant de rencontrer ceux qui étaient encore ses amis à ce jour. Sans le montrer, pourtant, elle recherchait l’approbation des étrangers, comblant le vide que laissait sa génitrice dans son cœur. Elle avait l’air farouche, de prime abord, et n’ayant pas sa langue dans sa poche. Mais elle masquait les douloureuses marques que laissaient les reproches incessants de celle qui lui avait donné la vie. Elle manquait d’ailleurs singulièrement de confiance en elle à cause de ça, mais elle le camouflait bien avec son attitude insolente et provocatrice.
Aimante, sous ses apparences rebelles, la jeunette ne cherche que la simple affection qu’elle voyait autour d’elle. Intelligente, elle n’avait toutefois pas eu la chance de faire l’école maternelle avec les autres, de sortes qu’elle n’avait noué des relations amicales qu’à partir de sa sixième année de vie. Elle a vite su provoquer l’admiration et les encouragements de ses professeurs, mais rien de ce qu’ils pouvaient dire n’apaisait le manque d’amour maternel, et le désintéressement total de cette dernière de ce qu’elle ferait de son avenir.
«
Tiens, chérie, j’ai pensé à toi. Tu n’auras pas besoin d’aller voler, lança l’un des garçons les plus âgés.
—
Oh, merci Ian. En plus, les vigils me filent au train maintenant quand j’y vais… »
Elle adressa un lumineux sourire au susnommé Ian, et elle attrapa les deux bouteilles de Jack Daniels qu’il lui tendait. En retour, elle lui déposa un baiser sonore sur la joue, soulagée de n’avoir pas à aller dévaliser le rayon alcool du wallmart non loin.
* * * * *
Il était plus de minuit quand Cora se sépara à regret de ses amis. Elle avait été détendue toute la soirée, discutant avec animation de ses projets d’avenir avec eux. Elle n’avait aucune illusion sur ce qu’elle ferait après le lycée. Sa mère n’avait pas beaucoup de moyens. Elle en avait eu, fut un temps, mais tout était passé dans l’alcool et les drogues. Cora n’aurait pas les moyens d’aller à l’université, de ce fait. Peu importait le temps qu’elle passait sur ses leçons, l’énergie qu’elle déployait pour être dans les meilleurs de sa classe, rien ne changerait cet état de fait. Pour un peu, elle aurait même pu se décourager et glander toute la journée à zoner avec les caïds du coin. Mais travailler, s’avancer sur ses cours, ça lui permettait d’oublier pour un temps les brimades maternelles.
Franchissant le portail branlant qui marquait la limite de la petite cour de l’immeuble, la demoiselle se rendit d’abord dans ce qui fut autrefois un abri à vélo. Elle souleva l’une des dalles en béton brisée, et y cacha l’une des deux bouteilles de whisky. Elle ne pouvait se résoudre à donner les deux d’un coup à sa mère. En deux heures, il n’y aurait plus rien, et elle serait tout autant désagréable.
Armée de la dernière bouteille, la jeune fille inspira profondément avant de pousser la porte de l’appartement. Les vingt mètres carrés puaient la transpiration, l’alcool et le vomi. Dans le coin où sa mère dormait, une forme bougea sous les draps. Un bras masculin rejeta l’étoffe grise, et Cora leva les yeux au ciel. Sa mère avait encore sollicité la présence d’un de leur voisin
«
C’est à cette heure-là que tu rentres, petite ingrate ? Lança la voix éraillée et ensommeillée de sa mère.
—
J’ai dû aller hors de la ville pour prendre de l’alcool. On me connaît partout, ici, mentit-elle avec aplomb.
Qui c’est, lui ?—
Tu n’es pas concernée par ça. Donnes-moi la bouteille et dégages de ma vue. »
Avec un grognement frustré, la demoiselle lança sans délicatesse la bouteille sur le lit. Elle espérait presque qu’elle tombe par terre et se brise, ou qu’elle assomme sa mère ou bien son amant de passage. Mais non, l’homme rattrapa habilement la bouteille, et elle put voir ses traits mous alors qu’il la dévisageait.
«
Quoi, lança-t-elle hargneuse.
—
T’as un projet d’avenir ?, demanda-t-il après l’avoir reluquée un moment.
—
En quoi ça te concernes, t’es pas mon père.—
Non. Mais tu pourrais être célèbre et ramener plein d’argent pour prendre soin de ta mère. »
Méfiante, la jeune fille fronça les sourcils et retroussa le bout de son nez.
«
C’est quoi l’embrouille ? Hasarda-t-elle finalement. »
L’idée de prendre soin de sa mère ne l’intéressait pas. Mais être célèbre et gagner plein d’argent, ça, oui. A condition que ça ne soit pas une arnaque.
«
Fais-moi confiance. Tu es jeune, et belle, et les hommes feront la queue pour t’apercevoir, lui répondit-il sur un ton mielleux. »
Trop suave pour être honnête. Trop évasif aussi. Et ce regard était trop inquisiteur, trop longtemps fixé sur ses courbes féminines. Non, ça n’inspirait rien de bon à la jeune fille. Pourtant, elle ne put s’empêcher de se demander ce qu’il pourrait lui proposer. Elle ne se faisait guère d’illusion sur son avenir autrement. Elle prendrait sûrement un taff de bas-étage afin de subvenir à ses besoins et correspondant à ses diplômes.
«
Tu n’as qu’à venir avec moi demain, j’irais te présenter à mon boss. »
Sans répondre, elle se contenta de hocher la tête. Elle tira ensuite sur le paravent qui isolait son matelas du reste de la pièce, et se coucha après avoir enlevé son perfecto. Elle restait en jean et en débardeur, n’ayant aucune confiance dans l’amant de sa mère (ou en sa mère elle-même).
* * * * *
Le lendemain, habillée de son sempiternel jean déchiré et débardeur noir, avec son perfecto passé par-dessus, Cora suivait les grandes enjambées de l’homme qui avait sauté sa mère toute la nuit. Elle avait mal dormi, ne pouvant faire abstraction des couinements de celle-ci et des grognements de l’autre. Ils se rendaient dans les quartiers peu fréquentés de Portland, et elle fronça le nez alors qu’un mauvais pressentiment la hantait depuis qu’elle avait quitté l’immeuble. Sa mère dormait encore, ronflant tout son saoul, quand ils étaient partis. La demoiselle avait senti la bouffée familière de dégoût qui l’avait traversée alors qu’elle rejetait le drap souillé sur son corps nu.
«
On va où exactement, questionna-t-elle d’un ton dur.
—
On est bientôt arrivés, se contenta de répondre l’homme. »
Elle avait appris qu’il s’appelait -ou se faisait appeler- Stone. Mais c’était bien tout ce qu’elle avait pu glaner sur lui. Il restait évasif quand elle le questionnait, autant sur lui-même que sur ce travail dont il lui vantait les avantages.
Cora restait méfiante avec les inconnus, mais elle était parfois naïve sur certains côtés. Même en assistant à la déchéance de sa mère, et en se coltinant par-là les pires voyous qui venait tringler sa génitrice, elle ne pouvait pas croire que le mal était absolu. Elle voulait garder de l’espoir pour l’être humain, et côtoyer ses amis l’y aidait beaucoup.
Passant une main fine, agacée, dans ses cheveux roses, la jeune fille entra à la suite de Stone dans l’entrepôt où ils s’étaient rendus. Elle laissa la porte ouverte, préférant se garder une issue de secours au cas où, et posa ses prunelles azurées sur ce qui les entouraient. Il faisait particulièrement sombre, mais la main de Stone se posa sur son épaule pour la guider malgré le frisson de dégoût qui la secoua.
«
Que m’amènes-tu, Stone ? Lança une voix forte en provenance d’un bureau que la jeune fille n’avait pas remarqué. »
Stone la poussa dans la pièce, refermant la porte derrière lui en entrant à sa suite. Une lampe était posée sur un mobilier en acajou, éclairant des papiers noircis de caractères imprimés. Un stylo gisait non loin, de travers, et la dorure du bouchon scintilla à la lueur de la lampe halogène.
«
C’est la gamine de Tara, répondit Stone d’un ton obséquieux en poussant la jeune fille sur un fauteuil en cuir rembourré.
Elle vient pour le taff. J’ai songé pensé qu’elle correspondait à vos critères, monsieur. »
L’homme qu’elle n’avait toujours pas vu fit pivoter son fauteuil pour braquer ses yeux pâles sur elle. Elle se sentit mal à l’aise alors qu’il l’observait intensément, et finit par croiser les bras en prenant un air sombre.
«
Il m’a toujours pas dit en quoi consistait ce job, rétorqua-t-elle sèchement.
Je n’ai rien signé, ni donné mon accord à quoi que ce soit. »
L’homme en face d’elle sourit tranquillement, éclairant ses traits durs sans pour autant illuminer son regard. Croisant les mains sur son ventre, les coudes posés sur les accoudoirs, il leva les index et il les frotta l’un contre l’autre.
«
Méfiante et intelligente, en plus d’être ravissante. Intéressant. Pourquoi penses-tu qu’elle ferait l’affaire, Stone ? Interrogea l’homme sans répondre à la question sous-jacente de Cora.
—
Elle manquera à personne, boss. Sa mère la déteste, elle en sera soulagée.—
Qu’est-ce que ça signifie ? »
La demoiselle se redressa sur le siège, fronçant les sourcils de plus belle. Même si Stone était devant la sortie du bureau, elle réfléchissait sérieusement à un moyen de le neutraliser pour déguerpir. Toute cette histoire puait du coup.
Et sévèrement.
«
Silence, femme. Tu parleras quand tu seras autorisée, pas avant, jeta sèchement l’homme. »
Choquée, la jeune fille ne resta pas longtemps muette. Elle se leva d’un bond et se dirigea vers la porte.
«
Okay, j’me casse. Tires-toi de là Stone. »
Mais le bougre ne semblait pas vouloir bouger. Sans être impressionnée, Cora voulu le pousser d’un coup d’épaule quand il la rattrapa et la serra fermement contre lui. Il avait plus de force que ce qu’elle avait supposé au départ. Avec un grognement rageur, elle se débattit et hurla des injures à son encontre tandis que l’homme assis dans le fauteuil observait la scène. Il n’avait pas bougé, et en semblait même amusé.
«
Bâillonnes-là, tu veux ? Elle me casse les oreilles. On parlera de ton pourcentage après. »
Cora sentit plus qu’elle ne vit que Stone acquiesçait. Elle se débattit de plus belle, et mordit férocement la main qu’il plaçait contre ses lèvres rosées. De stupeur, ou de douleur, Stone relâcha son étreinte. Profitant de cette faiblesse, la jeunette mit en pratique tout ce que lui avait appris ses amis plus âgés pour se sortir des emmerdes de ce genre. Au lieu de forcer pour rien, elle utilisa la force de son adversaire contre lui, et le frappa ensuite entre les jambes d’un coup de pied rageur.
Derrière elle, l’autre homme avait sorti un pistolet à seringue hypodermiques, et la visait. Par chance, elle se baissa au moment où il tira, évitant non seulement le poing de Stone qui s’était ressaisi et la fléchette que ce dernier pris en plein dans son cou. Profitant de ce que le boss rechargeait, elle bondit par-dessus le corps de Stone qui s’était affaissé et ouvrit la porte à la volée. Elle sortit si rapidement qu’elle faillit percuter les hommes de l’équipe d’intervention de la police de Portland qui arrivaient.
Le bureau était insonorisé, aussi n’avait-elle pas entendu les fracas à l’extérieur. A présent, l’entrepôt était illuminé de néons à la lumière agressive, et elle pouvait voir des lits agencés un peu partout, sous des petites tentes, et des hommes et des femmes menottés le long du mur. Une fumée âcre lui chatouilla les narines, alors que le policier l’écartait de sa trajectoire, la confiant à un collègue derrière lui quand une fléchette la piqua impitoyablement sur la peau nue de son cou vulnérable.
Elle ne vit pas l’air effaré du patron de ce sombre trafic quand il se rendit compte que les hommes à la porte de son bureau n’étaient pas les siens, et n’assista pas non plus à son arrestation musclée. Elle était tombée inconsciente très rapidement, en sécurité dans les bras du flic.
* * * * *
Quand elle se réveilla, elle était à l’hôpital. Elle n’avait rien de grave. Elle se sentait encore groggy cependant, et étrangement légère. Le médecin lui expliqua que c’était dû à la forte concentration d’opium trouvée dans les seringues qui restaient sur le bureau de l’homme qui l’avait blessée. Il lui demanda aussi si elle se sentait prête à répondre aux questions des policiers, ce à quoi elle répondit par l’affirmative. Les événements étaient encore frais dans son esprit, bien que ce dernier soit embrumé par la drogue, et elle se sentait comme investie du devoir d’aider les forces de l’ordre à mettre ces criminels au frais pour longtemps.
Deux inspecteurs entrèrent quand le médecin quitta la pièce. L’un d’eux était grand et ses cheveux sombres étaient coupés suffisamment ras pour lui permettre de les hérisser avec du gel. Le second, plus petit, avait les cheveux moins foncés et plus longs que son coéquipier, mais ils étaient néanmoins entretenus assez courts.
«
Inspecteur Rush, se présenta ce dernier.
Et voici mon coéquipier, l’inspecteur McNeill. Comment vous sentez-vous, mademoiselle ? »
La jeunette haussa les épaules, grimaçant quand la seringue plantée dans son bras bougea malgré l’adhésif.
«
On va dire que ça va, lâcha-t-elle d’une voix rauque.
—
Nous allons avoir besoin de vous poser quelques questions. Vous n’y voyez pas d’inconvénients ?—
Aucun.—
Comment vous appelez-vous ? Intervint le second policier.
—
Cora. Cora Milton.—
Votre âge ? Votre lieu de résidence ? Vous avez des parents à prévenir ? »
Le second inspecteur semblait plus rude, moins sociable. Mais la jeune fille répondit quand même à ses questions tandis que son collègue prenait des notes. Elle mentionna rapidement sa mère, en leur demandant de ne pas la prévenir, arguant qu’elle était très malade et qu’elle n’avait pas besoin de s’inquiéter pour elle, que ça ferait flancher son cœur fragile. Elle n’aimait pas mentir, mais elle ne voulait pas que sa mère vienne à l’hôpital. Elle ne voulait pas la mêler à tout ça, craignant la honte qu’elle allait lui provoquer si elle venait complètement torchée, agonisant sa fille d’insultes.
«
Quels étaient vos liens avec Richard Stone et Andrew Hale ? »
Relevant le regard vers le policier, Cora mit un instant avant de répondre. Et ce n’était pas entière la faute à l’opium dans son système sanguin.
«
Stone était le… En fait, je sais pas trop. Je pensais que c’était un voisin. Quant à l’autre, je ne le connaissais pas avant que Stone m’emmène le voir.—
Pourquoi Stone vous a mené jusqu’à McNeill ?—
Je ne sais pas.—
Pourquoi l’avez-vous suivi ?—
Il disait qu’il avait peut-être une opportunité pour moi, pour travailler quand j’aurais fini le lycée. J’étais curieuse, et j’avais besoin d’avoir un travail après le lycée, comme je ne pourrais pas aller à la fac, soupira-t-elle en se maudissant de n’avoir pas écouté son instinct.
Mais je n’ai rien signé ! S’empressa-t-elle d’ajouter.
—
Vous a-t-il dit en quoi consisterait ce travail ?—
Non. Il a juste dit que ça rapporterait beaucoup d’argent. Et que je serais célèbre. Pas que je veuille être célèbre à tout prix, mais l’argent, j’crache pas d’ssus vous savez. »
Les questions continuèrent encore un moment, avant que l’agent McNeill ne hoche la tête, comme s’il avait ce qu’il voulait. Son collègue reprit la parole.
«
Une dernière chose, mademoiselle Milton. Vous avez dit que votre mère était malade, mais… Avez-vous d’autres parents susceptibles de vous ramener chez vous ? Votre père par exemple ?—
Je ne connais pas mon père. Il est parti avant ma naissance.—
Votre mère a-t-elle un petit-ami ? Ou bien avez-vous d’autre famille ?Insista-t-il.
—
Non, je n’ai pas d’autre famille. Ou je ne la connais pas. Ma mère… Ma mère était trop occupée à boire et à se faire sauter par tous les mâles en manque p- »
La jeune fille s’interrompit brusquement. L’opium lui troublait l’esprit, et la fatigue n’aidait pas. Sans le vouloir, elle venait d’attiser la curiosité des flics.
«
Mademoiselle Milton ? Questionna l’inspecteur McNeill.
Nous avez-vous dit toute la vérité ? »
Se prenant la tête dans les mains, la jeune fille se taxa mentalement de blonde. Ce qu’elle était, sous cette coloration. Ses cheveux étaient d’un blond si pâle qu’elle pouvait les teindre en n’importe quel couleur.
«
Ecoutez, inspecteurs… Non, je n’ai pas dit toute la vérité. Mais ma mère n’a rien à voir avec cette histoire. Elle s’est juste fait sauter par Stone toute la nuit. De toute façon, elle est trop bourrée la plupart du temps pour remarquer quoi que ce soit, alors je doute sincèrement de son implication là-dedans… »
Esquissant une grimace compatissante, l’inspecteur Rush pressa l’épaule de Cora, dévoilée par la blouse de l’hôpital qui avait glissé.
«
Nous avons besoin de toutes les informations que vous pourrez nous fournir, mademoiselle. Je sais que ce n’est pas une partie de plaisir, et que vous souhaitez garder certains détails pour vous, mais nous ne pouvons pas enquêter correctement si nous n’avons pas tous les éléments. »
Cora finit par hausser les épaules d’un air résigné.
«
Ouais, ouais, okay. M’enfin, vous l’aurez voulu. »
Reprenant son carnet, l’inspecteur Rush retira sa paume tiède de l’épaule chaude de la jeune fille.
«
Donc. Quelles étaient les relations entre votre mère et Richard Stone ?—
Je ne sais pas précisément. Je suis rentrée avant-hier soir à la maison et… Et il était là, dans le pieu de ma mère. Ils ont baisé toute la nuit. Ma mère était trop bourrée pour m’expliquer ce qu’il représentait pour elle, mais j’me doute que c’était pas le prince charmant. Ils sont nombreux à défiler, vous savez.—
Nous devrons interroger votre mère. Voulez-vous que l’on vous raccompagne chez vous en même temps ? »
La jeune fille haussa à nouveau les épaules.
«
Si vous voulez. Mais ça risque d’être gênant.—
Que voulez-vous dire par là ? As-t-elle d’autres… D’autres amants réguliers ?—
Elle sera sûrement bourrée, déjà. Sauf si elle n’a pas réussi à lever son gros cul pour aller acheter de l’alcool. Ou droguée, j’crois qu’elle a des réserves de coke. Elle risque aussi d’être en train de se faire sauter, ouais. Mais sinon, c’est surtout qu’elle me kiff pas des masses. Elle ne se sera même sûrement pas aperçue de mon absence. Sauf peut-être si je lui ai manqué pour aller lui acheter de la bière.—
Nous allons voir avec le docteur Halloway si vous pouvez sortir, et nous vous raccompagnerons. Nous en profiterons pour interroger votre mère.—
Reposez-vous un peu en attendant. Il est possible aussi qu’on ait besoin de vous faire venir au poste pour votre déposition, et pour vous montrer quelques photos, si jamais vous reconnaissez d’autres associés d’Andrew Hale. »
Acquiesçant d’un hochement de tête, la jeunette se renfonça dans ses oreillers.
* * * * *
«
Madame Milton ? Inspecteur McNeill, et voici mon collègue, l’inspecteur Rush. Nous aurions quelques questions à vous poser. »
La voix du flic mit du temps à arriver au cerveau de son interlocutrice. La porte resta fermée un long moment, sans qu’aucun bruit ne se fasse entendre. Puis il y eut un raclement de chaise et des bruits de pas lourds approchèrent.
«
C’t’à quel propos, grinça la mère de Cora en entrebâillant à peine la porte, laissant la chaînette de sécurité.
Si c’est pour elle, ajouta-t-elle en voyant sa fille,
j’paierais pas de caution. Elle n’a que ce qu’elle mérite, cette sale délinquante. »
Lui adressant un regard désolé, l’inspecteur Rush se racla la gorge. Cora l’observa faire face à sa mère avec son visage de flic imperturbable.
«
A vrai dire, madame Milton, ça concerne plutôt votre… Ami, Richard Stone.—
Qu’est-ce qu’elle a encore été raconté, celle-là ? T’as été dire quoi de Stone aux flics, saleté ingrate ?—
Votre fille n’y est pour rien dans ces malheureux événements. Mr Stone l’a au contraire entraînée dans une sale histoire. Pouvons-nous entre, afin de discuter plus facilement ?—
Qui m’dit que vous êtes des flics, et pas quelques-uns de ces délinquants avec qui elle traîne ? »
L’agent McNeill présenta sa carte. Il avait une expression dure, comme s’il n’approuvait pas la façon dont Tara Milton traitait sa fille. Etrangement, Cora trouva cette expression rassurante. Jetant un regard soupçonneux à l’insigne qu’il brandissait devant ses yeux, Tara finit par refermer la porte pour enlever la sécurité. L’inspecteur Rush entra en premier. McNeill, lui, s’effaça légèrement pour laisser passer la jeune fille, avant de lui emboîter le pas. Il laissa la maîtresse de maison refermer la porte et posa son regard autour de lui. Si l’inspecteur Rush parut choqué de voir la minuscule pièce où tout s’entassait, et par l’odeur entêtante de sueur, de vomi et de sexe qui planait dans l’air, McNeill garda une expression fermée. Mais la main qu’il avait posée sur l’épaule de la gamine -pour la laisser passer devant lui- resserra son étreinte. La jeune fille sentit le rouge lui monter aux joues. Elle n’avait jamais été le genre de fille à avoir honte de quoi que ce soit, en temps normal. Mais ce simple geste de compassion la rendit gênée face au désordre ambiant, aux cadavres de bouteilles au sol, aux cigarettes consumées dans le cendrier et partout, ou aux draps souillés du lit de sa mère qui traînaient au sol. Tournant légèrement la tête, elle rougit de plus belle. Sa mère n’était vêtue, en tout et pour tout, que d’une vieille chemise d’homme. Autrefois blanche, elle était maintenant jaune et parsemée de tâches non-identifiées, sans oublier les brûlures de cigarettes. Ses seins, autrefois généreux et pointant fièrement vers l’avant, se retrouvait à pendre sous la chemise, pointant désagréablement quand sa mère trouva les deux flics à son goût.
Cora releva les yeux en apercevant la touffe fournie de poils sombre au niveau de son entrejambe, et s’arracha à l’emprise de l’inspecteur McNeill pour aller ouvrir en grand la seule fenêtre de la pièce, espérant atténuer un peu l’odeur. Son regard fut attiré par son lit, qui était sens-dessus-dessous. Elle qui l’avait pourtant refait en partant, et qui prenait un soin presque maniaque à ce que tout soit nickel derrière le paravent qui délimitait son espace personnel… Sa mère avait dû chercher de l’alcool, à en juger par les débris de verres qui jonchaient le sol près du matelas, et par le cul brisé de la bouteille qui trônait sur l’oreiller de fortune de la jeune fille.
«
Madame Milton. Peut-être devriez-vous… Vous habiller un peu ?—
Nan, j’suis bien comme ça, rétorqua la matrone en souriant d’un air suggestif. »
Sa voix qui se voulait suave donna envie de vomir à Cora. Et aux flics, à en juger par leurs mâchoires qui se contractaient violemment.
«
Madame Milton, av-, commença l’inspecteur McNeill.
—
Appelez-moi Tara, l’interrompit-elle.
—
Madame Milton, reprit-il sans tenir compte de son intervention.
Avez-vous de la famille qui puisse prendre votre fille en charge ? Ou de celle de son père ?—
Non. »
Le ton sec de sa mère, et sa réponse brève, intrigua la jeune femme. D’habitude, elle ne se privait pas pour balancer autant d’ineptie à la seconde qu’il y a de relations sexuelles dans le monde. L’inspecteur McNeill devait aussi suspecter quelque chose, même s’il ne la connaissait pas comme elle-même la connaissait, puisqu’il leva un sourcil interrogateur.
«
Comment s’appelle le père de votre fille ?—
Il n’est pas son père, il n’est qu’un donneur de sperme. Il s’est barré avant sa naissance. Il n’a aucun droit sur elle. »
Pour un peu, Cora aurait presque pu croire que sa mère essayait de la protéger. Mais elle avait vécu quinze ans avec elle, et si sa mère avait essayé de de la protéger de son père, elle le saurait. Non, pendant quinze ans, l’adulte avait répété à quel point elle détestait sa fille et qu’elle serait mieux sans elle. Alors pourquoi cette défiance, soudain ? Pourquoi se hérissait-elle de la sorte alors que les policiers posaient des questions, sommes toute, innocentes ?
«
Son nom, madame Milton ? »
L’inspecteur McNeill ne se démontait pas, et il ne lâchait pas l’affaire. Tara l’affronta du regard pendant quelques longues minutes, sans qu’il ne cède un pouce de terrain. Finalement, elle soupira, lassée, et se laissa tomber dans le fauteuil usé. L’unique fauteuil de la pièce, en fait.
«
Douglas Travers, finit-elle par lâcher.
—
As-t-il jamais su avoir une fille ? »
Silence. Cora ouvre de grands yeux en dévisageant sa mère. Elle tourne ensuite ses prunelles claires vers le flic. Puis revient sur sa mère.
«
Maman ? »
L’horrible mégère pince les lèvres, mais ne regarde pas sa fille.
«
Alors, toutes ces années, tu m’as menti ? Il n’est jamais parti à cause de moi ? Il ne le savait pas, c’est ça ? »
Cora a du mal à réaliser ce que ça implique. Si son père n’est pas parti en apprenant la grossesse de Tara, alors… Alors, il était là, quelque part, ignorant son existence. Si ça se trouvait…
«
Ouais, il m’a quitté avant que je sache que j’étais enceinte. Et alors ? La situation reste la même. Tu n’es qu’une ingrate insolente, crache Tara en dardant un regard furieux vers sa fille et les policiers. »
L’inspecteur McNeill hausse un sourcil.
«
Nous allons avoir besoin que vous veniez au poste, afin d’enregistrer vos déclarations. Vous sentez-vous prête, mademoiselle Milton ?—
Ouais, je crois. Vous pourrez retrouver mon père ? »
L’inspecteur Rush hausse les épaules. Ils vont lancer une recherche, le reste, il ne peut pas le deviner à l’avance. Cora se sent pleine d’espoir, pour une fois. Elle a un père, qui ignore qu’elle existe. Un père qui pourrait, peut-être, l’accepter. Elle n’en revient pas.
* * * * *
Six mois plus tard«
Allez, chérie, ne stress pas, ça va aller ! »
Ian lui massa distraitement le dos alors que Cora était assise à côté de lui. Autour d’eux, les autres discutaient. Ils s’étaient réunis dans l’abri à vélo de l’immeuble de cette dernière. Il pleuvait dehors, alors ils étaient mieux là. La jeune fille avait mis ses amis au courant de la possibilité d’avoir un père qui pourrait l’accepter, au début. Par la suite, elle avait suivi avec eux le déroulement des recherches. Parallèlement, l’inspecteur McNeill et l’inspecteur Rush avaient réussi à faire garder emprisonné les détestables Richard Stone et Andrew Hale. Ils avaient démantelé l’intégralité du trafic que ces deux-là menaient depuis des années. Drogues, prostitution, traite d’esclaves… Ils trempaient dans pas mal d’affaires louches subsidiaires, mais les preuves pour celles-là étaient indirectes. Le témoignage de Cora avait été un élément clé qui reliait les affaires de Stone et celles de Hale.
Frissonnant légèrement, la jeune femme se cala contre son ami. Ian, à vingt-deux ans, représentait le grand frère qu’elle n’avait jamais eu. En souriant doucement, il embrassa le sommet de son crâne, calant son nez dans ses racines blondes.
«
Faudrait refaire ta couleur. Tes racines se voient.—
Ouais. J’y penserais. »
Avec un petit rire, il tendit la main sur sa droite, et l’un des garçons de la bande lui tendit la bouteille de Jack Daniels que Cora avait retiré de sa cachette.
«
Tiens, bois un coup, ça ira mieux. Et après, on te raccompagne jusque chez toi, et tu vas te reposer pour demain, okay ? »
Elle hocha la tête en reposant la bouteille par terre après avoir pris une gorgée en grimaçant. Elle n’était pas fan de whisky.
«
Oui, faudrait pas que je ressemble à un cadavre pour rencontrer mon père. »
Les recherches des policiers de Portland avait porté leurs fruits. Ils avaient ensuite contacté Douglas Travers. Celui-ci, marié et père de deux enfants plus jeunes, habitait à présent au Japon. Il ignorait tout de Cora, mais s’était montré positivement ravi d’apprendre son existence. Il n’avait que deux garçons, et sa femme ne pouvait plus avoir d’enfants, la naissance du dernier ayant été difficile. Avoir une fille l’emplissait de joie. Après quelques semaines de correspondance par téléphone entre le père et la fille, pour faire un peu connaissance, il y allait avoir enfin une rencontre en chair et en os. Tara Travers n’était pas apte à s’occuper de sa fille, et si tout se passait bien entre le géniteur et la chair de sa chair, alors il récupèrerait la garde légale de la jeune femme.
«
Allez, chérie, va dormir. Tu as une grosse journée demain. Tu nous tiendras au courant, hein ? »
Cora sourit.
«
Evidemment que je vous tiendrais au courant, répondit-elle en le serrant contre elle.
Bonne nuit Ian. Bonne nuit les gars, ajouta-t-elle en saluant le reste de leur groupe. »
Maria et Dolly vinrent aussi chercher une accolade, alors que le reste se contentait de grands sourires et de signes de la main. Quand Cora referma la porte de l’appartement minable, elle soupira longuement. Elle avait eu le droit de rester là, alors que sa mère était envoyée en cure de désintoxication, cinq mois plus tôt. Tous les jours, un agent du service de protection de l’enfance passait la voir pour l’emmener au lycée et veiller à ce qu’elle ne fasse pas de bêtises. Depuis que sa mère était partie, le studio de vingt mètres carrés ressemblait enfin à un logement décent. Les vieux matelas défoncés avaient été mis à la benne, tout avait été nettoyé de fond en comble, et grâce à une petite somme envoyée par son père, Cora avait pu acheter un vrai lit, et vivre mieux. Il n’y avait plus cette odeur de vomi, de sueur et de sexe en permanence. Maintenant, les murs étaient vraiment blanc, repeints avec soin par la jeune fille pendant ses vacances de Noël, et le sol en lino était nettoyé chaque jour. La fenêtre était ouverte tous les matins pour aérer, et il n’y avait jamais la moindre chose qui traînait au sol. C’était un plaisir, à présent, de vivre ici. Bien que petit, le studio était enfin au goût de Cora.
Se déshabillant dans la petite salle de bain qui avait été remise aux normes, la jeunette se glissa sous la douche avec un plaisir non dissimulé. Auparavant, elle se contentait d’une douche froide, sa mère ne payant jamais les factures à temps. Mais à présent, elle pouvait se permettre de se faire plaisir en restant un peu plus longtemps que deux minutes sous la douche. Elle ne doutait pas que son père accepte de prendre sa garde. Ils s’entendaient bien, au téléphone, et il faisait son possible pour qu’elle puisse vivre convenablement. Il avait été horrifié en apprenant la situation dans laquelle elle était. Plus encore, quand elle lui avait envoyé une photo du taudis dans lequel elle et sa mère vivaient. C’était lui qui payait les factures, depuis quatre mois, et elle lui en était reconnaissante. Plus besoin de vivre dans le noir, de se contenter de plats froids volés au wallmart ou de dormir d’un seul œil. Elle était plus reposée, à présent. Et elle pouvait faire ses devoirs sur une vraie table, avec une vraie lampe de bureau. Elle adorait ce changement.
Sortant de la douche en poussant un soupir de satisfaction, Cora observa son reflet dans le miroir embué. Ses yeux en amande n’étaient plus cernés, et son visage avait cet éclat nouveau de bonheur. Elle ne pouvait croire à tout ce qui lui arrivait, et se croyait presque dans un rêve. Elle allait rencontrer son père demain ! Un sourie ravi aux lèvres, la jeune fille se sécha, et enfila un large tee-shirt qu’elle avait piqué à Ian avant de se glisser entre les couvertures moelleuse de son lit. Elle se cala confortablement, et ferma les yeux avec un air apaisé. La vie était chouette, quand même !
* * * * *
Le lendemain, elle était dans un tout autre état d’esprit quand l’agent des services de protection de l’enfance entra. Stressée, elle ne cessait de changer de fringues, tournant en rond dans le studio.
«
Et s’il décide que deux enfants lui suffisent ? Et si je ne lui plaît pas, finalement ? »
Depuis une heure, elle ressassait ses angoisses malgré la présence apaisante de Marley Stevens. Agrippant son verre d’eau, la jeune fille se rassit à la table. Son père allait arriver d’une minute à l’autre, et elle était dans un état d’anxiété intense. Elle craignait que tout ce qui s’était passé ne soit qu’un rêve, et qu’elle ne se réveille d’un instant à l’autre. Elle ne pourrait pas le supporter. Elle était sûre que son cœur lâcherait, même s’il ne présentait pas de faiblesses.
Tandis qu’elle tapait de ses ongles sur la table avec une main, elle tournait et retournait le verre dans l’autre, le changeant sans arrêt de place. Quand la sonnette de l’entrée retentit, Cora se figea. Ses deux mains agrippèrent le verre comme si sa vie en dépendant tandis que Marley se levait pour aller ouvrir. Relâchant brusquement le récipient, la jeune fille se leva d’un bond et se glissa aux côtés de Marley avec un sourire un peu crispé.
Dans l’encadrement de la porte, il y avait un homme d’une cinquantaine d’année. Les cheveux grisonnant, il n’en restait pas moins impressionnant et semblait empreint d’une bonté radieuse qui se propageait autour de lui.
«
Tu dois être Cora. Tu es encore plus ravissante en vrai ! S’exclama le nouveau venu avec un sourire sincère. »
Timidement, Cora s’effaça de l’entrée pour laisser son père entrer.
Son père. C’était vraiment lui. Il était vraiment là, à lui sourire avec sincérité. Ils s’assirent tous les deux à table, tandis que Marley s’écartait, leur laissant un peu d’espace.
D’abord, Cora ne sut que dire. Elle se contenta de fixer l’homme assis en face d’elle avec stupeur. Elle n’en croyait pas ses yeux. Quand il lui sourit de nouveau, elle baissa les yeux, gênée. Ses prunelles accrochèrent alors les deux verres d’eau qui se trouvaient au centre de la table. Elle en prit un, et but une longue gorgée.
«
Bonjour, finit-elle par lancer un peu timidement.
Vous devez être Douglas. »
Elle eut envie de se frapper le crâne contre la table. Depuis quand était-elle devenue si… Si nulle ? Mais son père ne sembla pas lui en vouloir. Au contraire, son sourire s’élargit. Et, loin d’être moqueur, il était rempli d’une affection qui réchauffa le cœur de la jeune femme.
«
Tu peux m’appeler papa. Enfin, si ça ne te déranges pas. En fait, appelles-moi comme bon te sembles. Et tutoies-moi, aussi, si tu veux, répondit-il. »
Hochant la tête, la jeune fille ne put retenir les larmes qui jaillirent de ses yeux. Immédiatement, Douglas écarta sa chaise, et fit le tour de la table pour venir la prendre dans ses bras. Les pleurs redoublèrent. Toute la tension nerveuse que Cora avait accumulée ressortait à présent, calée dans les bras réconfortants de son géniteur. Elle pleura pendant un moment, et son père ne broncha pas. Il lui murmurait des paroles réconfortantes en caressant ses épaules, protecteur. Marley s’esquiva, allant attendre en bas de l’immeuble en fumant une cigarette.
Une bonne demi-heure plus tard, Cora hoquetait encore un peu, mais elle s’était calmée. Elle se confondit en excuses, que son père balaya d’un geste de la main. Ils commencèrent alors à parler, et très vite, la jeunette se rendit compte qu’elle ne cachait rien à son père. Elle lui raconta tout, des actions de sa mère à ses escapades avec ses amis. Elle lui affirma aussi que ces derniers voudraient le rencontrer, s’il n’y voyait pas d’inconvénient. Il n’en vit aucun. La matinée passa rapidement.
Marley revint vers midi, leur demander s’ils avaient faim. Elle leur proposa de sortir en ville, et leur conseilla même deux ou trois restaurants, selon leurs goûts. Avec joie, Cora se rendit compte que son père et elle adoraient manger des plats mexicains, et ils partirent alors dans un restaurant qui leur conviendraient.
L’après-midi, ils se baladèrent dans Portland. Cora apprit plus de choses sur son père, sur sa vie, et elle ne l’apprécia que plus. Quand le soir arriva, Douglas accepta d’aller prendre un verre avec elle et ses amis. Elle leur envoya alors un texto, et ils furent là dans l’heure.
S’isolant un moment dans la salle de bain, la jeune femme offrit un sourire radieux à son reflet. Elle s’empara de sa brosse à cheveux, disciplinant les mèches rebelles, et la reposa distraitement, sans s’apercevoir que l’objet semblait étrange, se mouvant bizarrement avant de se dupliquer. C’est le bruit de la seconde brosse à cheveux, tombant sur le côté du lavabo, qui l’alerta. Elle ramassa l’objet tombé, et se figea en voyant sa réplique exacte déjà posée sur le rebord du meuble.
Ian l’appela à ce moment-là, et elle laissa tomber la brosse sur le panier à linge sale avant de revenir dans la pièce. Son sourire illumina ses traits alors qu’elle reprenait sa place, entre Ian et son père. Elle était contente. Elle s’entendait bien avec son père, et celui-ci appréciait ses amis. La réciproque était vraie, d’ailleurs, puisque son petit groupe d’amis étaient en admiration devant son géniteur. Il leur avait raconté plusieurs anecdotes de son boulot. Il travaillait dans un labo de recherche biogénétique, et il les faisait rire en leur racontant les péripéties de la mascotte de leur laboratoire, Ganja, un petit ouistiti au foie défaillant ayant reçu des cellules souches d’un autre animal pour régénérer l’organe.
Minuit était passé quand le groupe de ses amis décida de quitter le studio. Avec un sourire apaisé aux lèvres, Cora les salua depuis la fenêtre, son père posté derrière elle, alors qu’ils franchissaient la clôture déboîtée de la petite cour. A nouveau seule avec son père, Cora se retourna. Elle ne savait pas trop comment se comporter. Heureusement, Douglas l’aida. Il la serra dans ses bras pour lui souhaiter une bonne nuit, et il partit pour rejoindre son hôtel.
* * * * *
Son père est resté une semaine à Portland. Le lendemain de ce premier jour, Cora a rencontré sa femme et ses deux garçons. Ensemble, ils ont passé une semaine riche en émotions, et la jeune fille a été attristée quand ils ont dû repartir au Japon. Cette semaine était passée excessivement vite. Mais Marley rassura Cora. Son père était d’accord pour qu’elle vienne vivre avec lui si elle le désirait. La jeunette hésitait. D’un côté, elle rêvait d’avoir enfin une famille fonctionnelle. Mais de l’autre, ce changement lui fit peur. Et puis, elle avait toute sa vie ici, tous ses amis, etc…
Le soir de ses quinze ans, accompagnée de tout son petit groupe d’amis, Cora alla au cinéma. Ils passèrent au restaurant ensuite, commander des pizzas, et ils rentrèrent les manger dans le studio de la jeune femme. Ian lui demanda des nouvelles de son père, et Cora leur avoua ce qui la tourmentait. Elle leur évoqua ses craintes de les perdre si elle allait vivre au Japon, celle de ne pas s’intégrer, celle de tout faire foirer, etc.
C’est Ian qui, parlant au nom de tous, réussit finalement à la convaincre. Il lui affirma qu’ils pourraient toujours s’écrire. Qu’il existait nombre de médias propre à la réunion d’amis lointains, et qu’ils étaient heureux pour elle qu’elle ait trouvé une vraie famille.
Le mois suivant, Cora faisait ses maigres bagages et Marley la conduisit à l’aéroport. Ses amis étaient venus la veille pour lui souhaiter un bon voyage, et lui faire promettre de leur écrire souvent. La réunion avait été à la fois triste et joyeuse. C’était la dernière soirée qu’ils passaient ensemble, et ils en avaient profité un maximum.
A présent, dans l’avion, Cora s’interrogeait. Pas sur sa décision de rejoindre son père et sa nouvelle famille -elle avait fini par dépasser ses craintes avec l’aide de Ian- mais sur cette chose bizarre qui se passait quand ses émotions étaient trop fortes. Tout ce qu’elle touchait se dupliquait, devenant une réplique exacte de la première. C’était trop étrange, et Cora croyait même halluciner jusqu’à ce que Marley lui demande pourquoi elle avait acheté une seconde brosse à cheveux. Elle n’en avait parlé à personne. Pas même à Ian. Mais ça l’inquiétait. Elle ne voulait pas que des ennuis gâchent sa chance de vivre normalement.
* * * * *
Dix ans après, Cora avait pris le nom de famille de son père. Elle n’avait que de bref contact avec sa mère qui n’avait pas quitté la désintox. En fait, si, elle avait essayé. Elle s’était enfuie plusieurs fois, replongeant de plus belle, avant que les flics ne la ramènent. Le juge avait en effet ordonné à ce qu’elle ne puisse pas quitter la désintox avant d’être complètement guérie, et lui avait interdit tout contact avec sa fille entre temps.
Le procès de Stone et Hale avait eu lieu, et grâce au témoignage de Cora, ils avaient pu être incarcérés pour crime organisé, entre autre. Après ces longues années de procès, ils étaient finalement hors d’état de nuire.
Cora s’était bien intégrée dans sa nouvelle famille. Elle s’entendait vraiment bien avec eux, et elle en est très vite venue à les aimer. Apprendre le japonais fut long, et fastidieux, aussi lui avait-on prit des professeurs particuliers pour les cours du lycée, en même temps qu’elle apprenait le japonais. Elle avait fini par réussir toutefois. Elle avait aussi eu son diplôme, et elle avait même pu faire des études. La jeune fille avait voulu prendre une filière scientifique, espérant ainsi comprendre ce qui se passait pour elle. Elle n’en avait toujours parlé à personne, de son étrange pouvoir.
Elle était parvenue à contrôler ses aptitudes, au fil du temps, comprenant que c’était lié à ses émotions. Elle s’efforçait ainsi de n’être plus aussi impétueuse. Elle avait également découvert que l’obsidienne bloquait ses aptitudes, et elle allait régulièrement acheter des bijoux avec une pierre d’obsidienne dessus afin de ne pas se trahir. Il y avait peut-être une extraordinaire explosion de la population étrange à Seïkusu, où son père était installé, mais ce n’était pas pour autant qu’elle était prête à ce que tout le monde le sache.
Elle avait aussi mûri. Elle était devenue une femme très belle, comme la jeune fille ravissante qu’elle était. Malgré son statut de
gadji, elle était quand même assez sollicitée par la gent masculine. Elle préférait le type occidental, évidemment, mais ça ne l’empêchait pas de sortir avec des personnes de diverses origines. Elle était toutefois certaine d’une chose : Les filles ne l’attiraient pas. Certes, elle en trouvait certaine jolies, voire sexy à se damner ! Mais ce n’est pas pour autant qu’elle avait envie de passer une nuit de folie avec.
A présent diplômée, Cora travaille dans un des nouveaux laboratoires ouverts à proximité de la ville. Un laboratoire de recherches pour des remèdes, pour des greffes d’organes et pour des cultures de cellules souches. Du moins, c’est la face qu’ils présentent au public. Cora ignore les activités illégales menées par
Neo-Genetic. De plus, elle admire le Docteur Marvin Pearson dont elle est l’assistante (et dont elle a été l’amante, pendant une nuit). Elle ne pourrait pas croire qu’il soit responsable des disparitions inquiétantes de nombreuses personnes dotées de capacités surnaturelles dans la ville, pas plus qu’elle ne pourrait croire qu’il est au courant pour ses pouvoirs et qu’il l’étudie en secret, cherchant à s’approprier le pouvoir qu’elle détient pour le greffer sur des militaires et en faire des armes.
Naïve et innocente, n’est-il pas ?
Autre : Cora détient la capacité de dupliquer ce qu’elle touche. Son pouvoir réagit surtout avec ses émotions, aussi se contrôle-t-elle au maximum. Elle utilise l’obsidienne qui, étrangement, bloque ses pouvoirs.
Concrètement, la jeune fille est capable de dupliquer des objets inanimés, du bouton de manchette au réfrigérateur-congélateur combiné en passant par le Hummer ou le Monster-Truck. Plus l’objet est conséquent, et plus la dépense d’énergie est grande.
Ce qu’elle ignore, c’est qu’elle pourrait parvenir à dupliquer des organismes vivants aussi. Avec de l’entraînement.