Il n’y avait pas besoin de gardes, et il aurait été dangereux d’inclure des Tekhanes là-dedans. Outre les risques à leur sécurité, les gardes étaient toujours le relais entre la prison et le monde extérieur. Le constat était simple : sans gardes et sans visites, il n’y avait aucun moyen que les prisonniers obtiennent des éléments de contrebande venant de l’extérieur de la prison. Il arrivait parfois que, lors de contrôles, les contremaîtres trouvent des objets de contrebande. Ces évènements donnaient lieu à des enquêtes drastiques, car toute faille, même minime, était une brèche dans la réputation d’inviolabilité de la Prison Eternum. En ce qui concernait le travail forcé, Eternum appliquait une politique stakhanoviste. Du moins, c’est ce que Marius aurait pu dire s’il avait connu la Terre.
La logique était simple : forcer les mineurs à travailler, et à remplir leurs quotas de production. Pour ça, les surveillants faisaient une moyenne de production entre les différents blocs, et, à la fin de chaque semaine, les blocs les moins productifs étaient sanctionnés. Il était impossible de s’assurer de la fiabilité des chiffres annoncés, car aucun bloc ne communiquait entre eux. Il était donc possible que les chiffres soient gonflés sur certains blocs. Le système marchait plutôt bien, car les punitions, comme Dredd le découvrit, portaient sur des restrictions de nourriture ou d’alimentation en eau. Comme quoi, même face à des gens qui n’avaient plus rien, il était toujours possible de les priver davantage. C’était donc un système redoutable d’autocontrôle qui ne pourrait se vriller que si chaque bloc refusait de travailler. Une grève générale. Certains prisonniers affirmaient qu’il y avait déjà eu des grèves générales, des révoltes. Marius ne pouvait qu’observer qu’elles n’avaient jamais pu débouter sur quelque chose de concret.
En une journée, Joe Dredd comprit toutefois le piège que constituait une fuite par les grottes. Les mines étaient un réseau très complexe, avec des galeries éclairées et consolidées. Il existait toutefois de multiples couloirs détournés, des chemins plus sinueux, l’ensemble formant un véritable labyrinthe. Seul un fou oserait s’aventurer là-dedans. Cette journée de minage fut du reste plutôt calme, puisqu’aucun monstre nécrophage ne vint les attaquer. Marius utilisait sa pioche, découpant des morceaux de roches, les évacuant ensuite sur des chariots, à la recherche de précieux minerais. Une vie de labeur, répétitive et abrutissante, qui se termina quand une alarme rouge résonna.
Marius rendit ensuite son matériel, et passa dans l’un des sas permettant de quitter le complexe minier. Ils avaient une demi-heure à compter de la sonnerie pour sortir. Au-delà de ce délai, les sas se verrouillaient automatiquement. C’était là que les gens tentaient de fuir, attendant la sonnerie. Toutes les lumières se coupaient, ainsi que les caméras de surveillance, et ils pouvaient alors tenter la grande aventure. Pour les plus heureux, des mineurs retrouvaient leurs cadavres lors de nouvelles excavations.
« Il faut trouver un accès à l’Outremonde, répétait sans cesse un prisonnier drow, enfermé ici après avoir empoisonné un banquet royal, provoquant de multiples décès. Plus nous creuserons en profondeur, et plus nous avons de chance de trouver un accès. Une fois là, mes frères nous aideront.
- Tu délires ! répliquait alors un autre prisonnier, un nain sanguinaire et psychotique qui, armé d’une hache, avait massacré une auberge. Ces mines que nous creusons ne sont pas des mines naines. Et, si les nains n’ont pas creusé ici malgré les minerais, c’est la preuve que l’endroit est dangereux. Si nous creusons jusqu’à l’Outremonde, on tombera surtout sur un nid de monstres !
- Il faut remonter lors des inondations, avançait plutôt un ingénieur humain, qui avait construit un aqueduc, et s’était retrouvé à Eternum pour avoir volontairement trompé le maître d’ouvrage, installant du matériel défectueux et instable, ce qui avait provoqué l’effondrement de l’aqueduc, et la destruction d’un village entier, englouti sous les eaux et le béton. En suivant les mouvements de l’eau, nous pouvons voir d’où l’eau vient, et ainsi trouver une brèche potentielle. »
Marius avait pour habitude de les laisser parler. Sale et noirci par la suie et le soufre, il s’était lavé sobrement. Il y avait des douches communes, que les prisonniers utilisaient, avec de l’eau qui venait automatiquement. Désormais propre, l’ancien Ashnardien s’était assis sur une table dans un coin de la cour, et sortit de ses pensées quand Dredd s’approcha de lui.
Rapidement, l’homme avait exclu l’idée des mines, et Marius sourit doucement.
« Tu penses encore à t’évader ? Bah, ce n’est que le premier jour, après tout, je peux comprendre cela. »
Lui aussi avait fonctionné comme ça, après tout.
« Tu vois, aux yeux du monde, nous sommes tous morts. Tu sais ce qu’on dit ? On offre le choix au condamné à mort : soit la pendaison, soit une incarcération à Eternum. Neuf fois sur dix, on choisit la corde, et on nous envoie ici. Tu n’as encore rien vu des surprises de cette prison, crois-moi. Mais bon, pour te répondre... »
Marius soupira brièvement, se massant l’arrière du crâne, avant de poursuivre :
« Comme nous ne servons à rien, nos geôlières ont eu la bonne idée d’organiser des jeux télévisés mortels. Il y en a de différents types, mais, en ce moment, ce qui cartonne, ce sont des combats à mort dans des arènes. Si tu veux y participer, il n’y a pas cinquante solutions. Montre que tu es un cogneur. Tu as déjà bien commencé ce midi, hein... Il y a des tournois clandestins, des arènes de combat. Nos geôlières sont au courant, et recrutent parmi les pugilistes. »
Pour le reste, Marius ne savait pas grand-chose des critères précis. On ne les lui avait pas demandés, il avait juste reçu la proposition, et, comme tout un chacun enfermé à Eternum, l’avait évidemment accepté. Qu’avait-il à perdre ? Un changement dans une routine cadenassée et verrouillée, c’était une véritable bouchée d’oxygène. C’était à Eternum, ou plus généralement dans toute prison, qu’on réalisait toute la sagesse de ce vieux dicton populaire...
...L’Enfer, c’est la répétition.