Labyrinthe de mes deux. Je râlais intérieurement tandis que deux hommes du groupe avec lequel je suis venue m’ont suivie. Ils m’ont laissée passer devant, en grands courageux. Ma boule illumine le chemin, et ils ferment la marche avec une torche chacun. Petits joueurs. Mes doigts effleurent les parois du labyrinthe à mesure que nous avançons, et que nous bifurquons. Comme ça, si nous repassons dans ces couloirs, la trace de mes doigts se verra à la lumière de ma sphère.
Je ne sais pas depuis combien de temps on marche à l’intérieur. Ce temple est plus grand que je ne l’imaginais. Plus grand que ce que laissaient supposer les rares mentions qui en ont été faites. Ma veste de cuir commence à me peser. C’est qu’il fait chaud, à marcher comme ça. Les torches accentuent encore cette chaleur qui se fait étouffante, et je retire finalement ma veste comme on arrive à un embranchement. Ma sphère de lumière explore les différentes voies qui s’offrent à nous. L’une d’elle s’illumine de la trace de mes doigts sur ses parois, étant ainsi rayée de suite des possibilités.
L’un de mes accompagnateurs se repose contre le mur. Fronçant les sourcils, je croise les bras sous ma poitrine.
« Tout va bien, Angel, tu veux peut-être une chaise, ou mieux, un lit ?
— Eh bien, écoute, si t’as ça, je suis preneur. Je commence à en avoir assez de déambuler ici. J’deviens claustrophobe.
— Il ne fallait pas venir, dans ce cas. Je suis une grande fille, je sais me débrouiller toute seule.
— Je n’ai pas confiance. »
Un soupir franchit mes lèvres tandis que mon regard passe à l’autre. Si je ne sens aucune hostilité de leur part à tous les deux, je ressens par contre une certaine réserve. De la méfiance, comme il vient de me l’avouer. Haussant les épaules, je resserre distraitement les lacets de mon corset avec un soupçon de magie avant de poursuivre, le bruit de mes bottes étant étouffé sous le sable du chemin.
« Alors bouge-toi, dans ce cas-là. Je ne suis pas ici pour glander. »
Sans un regard pour les deux hommes, je passe devant eux et emprunte la voie juste à côté de celle qu’on a pris la première fois. Pourquoi ai-je accepté ce contrat déjà ? Ah oui, le besoin d’aventure. Pour l’instant, je suis plutôt sur ma faim. Je repose ma main sur le couloir taillé avec soin, et je suis la boule, ne tardant pas à entendre les pas de mes compagnons trottiner pour me suivre. Un petit sourire étire mes lèvres. Même s’ils ne me font pas confiance, même si je sens un soupçon de peur dans leur manière d’être, ils n’osent pas me laisser seule. Ils n’osent pas tenter de retrouver leur chemin sans moi.
Très vite, la lueur des flamme revient derrière moi. Mes cheveux, laissés libre de cascader dans mon dos, ont tendance à friser un peu avec l’humidité et la chaleur. De temps à autre, je passe ma main à travers les mèches qui rebiquent, leur rendant leur souplesse naturelle. J’ignore l’heure qu’il est, si le jour est couché ou non, mais je commence à avoir faim. J’ai l’impression de tourner en rond dans ce fichu labyrinthe. D’ailleurs, on revient pour la énième fois à l’embranchement que l’on a quitté juste avant. Sur les six voies, il n’en reste plus qu’une que l’on n’a pas explorée. J’espère que cette fois c’est la bonne. J’allais d’ailleurs m’y engager quand une main se pose sur mon épaule, arrêtant ma progression.
« Eh, on fait une pause. Ça fait des heures qu’on tourne là-dedans, j’en peux plus.
— A ta guise, Piotr. Moi je continue, je ne veux pas traî-
— Non, tu restes avec nous, intervient Angel en se rapprochant de moi à son tour. »
Angel était aussi musclé que Piotr était grand. Si on prend en compte que ce dernier dépasse aisément les deux mètres, ça fait beaucoup. Mais je ne me laisse pas démonter par son ton rogue. Il ne m’impressionne pas, malgré son visage couturé de cicatrices. Son œil barré de l’une d’elle est intact, et forme ainsi un étrange tableau. Peu rassurant. Ses lèvres, si fines qu’elles en étaient presque inexistantes, étaient pincées en une moue menaçante. Ses cheveux blonds tombaient sur le côté intact de son visage, mais je distinguais assez ses yeux pour voir qu’il en avait assez. Qu’il serait prêt à recourir à la violence si nécessaire.
Cela dit, j’étais une sorcière. Il ne m’impressionnait pas. Enfin, un petit peu quand même. C’était une réaction normale. Mais au cours des derniers mois, j’avais acquis une confiance nouvelle dans mes pouvoirs, dans ma puissance décuplée par mes aïeules. Depuis la confrontation avec Dormin, et la mort de Desmond, j’étais assez sereine.
« Il ne fallait pas me suivre si vous ne pouviez pas assumer, les gars.
— Tu fais une pause, comme nous, siffla Piotr. »
Je posais à nouveau mes prunelles sur lui. Comparé à la masse de muscle qu’était Angel, il avait l’air maigrichon. Pourtant, sa puissance n’était pas négligeable. Ses biceps étaient quand même plutôt bien gonflés. Et sa taille était un atout, pour lui. Obligée de lever la tête pour le regarder dans les yeux, j’haussais un sourcil. Son regard d’obsidienne n’exprimait absolument aucune émotion. Mais ce n’était pas ça qui allait me faire baisser les yeux. J’observais aussi son nez busqué, tordu lors d’une des nombreuses rixes dans lesquelles il avait l’habitude de se fourrer, et sa lèvre inférieure barrée d’une cicatrice. Une moue de défi se dessina sur mes lèvres quand je laissais un petit ricanement franchir la barrière de mes dents.
« Et si je ne le veux pas ? Vous allez faire quoi, franchement. Je peux vous écraser d’une seule pensée, les gars. Vous ne faites pas le poids. »
Ils se regardèrent un instant, et ce fut Angel qui répondit :
« Chienne de sorcière. Je ne comprends pas pourquoi il a voulu travailler avec toi. »
Il se rapprocha encore de moi, espérant me dominer avec son mètre quatre-vingt et ses cent trente kilos. Je reculais légèrement, par instinct, et mon dos heurta le mur. Il posa ses poings fermés de chaque côté de ma tête. Je crus entendre un déclic, mais sa voix rocailleuse vint me distraire, soufflant de pernicieuses menaces à mon oreille.
« Il y a des choses que tu ignores sur moi, sorcière. Je ne suis pas qu’un simple humain, comme tu sembles le penser. Alors je serais toi, je ferais bien attention à mes arrières… »
Un haussement d’épaule salua sa tentative d’intimidation. J’aurais bien répondu, mais Piotr lâcha un cri d’avertissement à cet instant. Juste après, un roulement de tonnerre se fit entendre, et le sol se déroba sous mes pieds. Angel s’agrippa à moi par réflexe. La chute, pas forcément longue, fut brutale. D’instinct, un bouclier se forma autour de moi. Je ne me protège pas seulement, je protège cette petite vie qui grandit en moi. Le bouclier protégea aussi Angel, et je pensais à l’étendre à Piotr juste avant que son corps ne heurte le sol. Nous précédions les gravats, et comme mon bouclier faiblissait légèrement, quelques pierres heurtèrent mes tempes.
Comme j’étais sonnée, le bouclier finit par s’estomper complètement. Angel avait amorti ma chute en plus de ma protection magique. Je tentais de me relever, mais je chancelais, et je m’emmêlais les pieds. J’ignorais où est-ce que l’on avait atterri. La sphère lumineuse s’était éteinte dès lors que le sol avait commencé à s’effriter sous nos pieds. Quant aux torches des deux hommes, elles étaient enfouies sous les roches et la poussière. Essayant de reprendre mes esprits, je réussis finalement à composer cette source de lumière bien pratique.
On était tombé dans une sorte de grotte. J’ignore pourquoi. Un piège, peut-être. Mais je ne m’expliquais pas que ce fut la première fois qu’il s’écroule. Si d’autres étaient déjà venus par-là, ils avaient peut-être évité ce piège par chance, ou en connaissance de cause.
Je me tournais à nouveau vers les deux hommes. Piotr semblait avoir perdu connaissance tandis qu’Angel se relevait doucement. Une pierre avait aussi heurté son front, et du sang suintait de la petite entaille, coulant sur les cicatrices blanchâtres.
« Bordel, c’était quoi ça ?
— Un piège. Je parierais que tu l’as déclenché en essayant de m’intimider, d’ailleurs. »
Un soupir quitte mes lèvres alors que je me résigne à m’asseoir un instant. J’avais la tête qui tournait. La fatigue, la chaleur, le choc… La faim aussi un peu.
« On va faire une petite pause, finalement. De toute façon, Piotr a perdu connaissance. Il a dû s’assommer sur une roche. Mais il est toujours vivant. On cherchera comment se tirer d’ici après. Je pourrais éventuellement nous faire remonter tous les trois en haut, mais si on trouve une issue ici, ce serait peut-être un raccourcis. »