Lui, qui avait espéré que ses hôtes resteraient stoïques et placide après une simple transmutation banale de la matière, conversion d’une matière rocheuse en matière cristalline, ce qui était possible chez tout bon souffleur de verre, avait ébahi le Docteur Ursoë, et laissé de marbre le professeur Sekhmet. De fait, il n’était donc qu’à moitié déçu et profita du courant glacé ascendant qui parcouru en un bref zéphyr le sommet du tertre où ils s’étaient établis. Le paysage Tekhan restait sombre et agressif, désertique, parcouru de diverses créatures, véhicules, caravanes, monstres, et autres joyeusetés qui ne manqueraient point le succulent repas que constituait l’ingénieure et la masse de chair non négligeable et comestible que constituait le docteur Ursoë. Pour Sa propre part, in n’aurait pas vraiment intéressé la plupart des êtres, et Il aurait par ailleurs put très bien se faire passer pour une statue ; rien dans l’absolu ne pouvait certifier qu’Il était en vie : Il n’avait ni odeur, et l’absence de battements témoignait de son état cardiaque. La pâleur de Sa peau témoignait aussi de l’état de son corps. Il devait donc expliquer le principe de la transmutation au docteur Sail Ursoë, stupéfié de constater l’existence d’un principe aussi spectaculaire que la conversion de la matière, de la même manière qu’il y a près de soixante ans, il avait été stupéfié d’apprendre au cours d’une cérémonie particulièrement ennuyeuse qu’il pouvait manipuler l’alchimie à un point qui bien supérieur à tout ce qui avait été jusqu’à présent établi. Il se souvenait encore d’une de ces fêtes de nouveau cycle qu’il avait été obligé de présider, comprenant un cortège de prêtresses qui tout en étant habillées de façons très intéressante, avaient la fâcheuse habitude d’ouvrir la susdite fête en déclamant sept-cent-quarante trois mille messes cendrées, douze-mille-quarante-deux paters, autant d’ave, et quinze fois plus de confiteor. C’est en ces moments la qu’il plongeait discrètement sa réflexion sur ses expériences, avant de recevoir sur la tête une eau froide pré-indiquant qu’il était temps pour lui de déclamer un discours engagé auquel il ne croyait même pas.
Et il fallait admettre que Sekhmet ne bougerait pas de ses positions. Elle voulait savoir ce qu’une ingénieure pouvait bien faire, cernée de généticiens d’apparence aussi étranges, et dont l’un avait autant de réactivité qu’une porte de placard. Mais son principal problème était d’expliquer le principe de la transmutation de la matière à son hôte non retardataire. Aussi sirotait t’il son vin, formant dans son esprit, son corps ne bougeant pas, une phrase grammaticalement bien transcrite qui ne laisserait aucuns doutes sur le sujet, aucuns voiles obscurs, et énoncerait en des termes pleinement compréhensible les origines de sa science obscure. Il avait déjà vu une autre forme d’alchimiste : des humains tentant de produire de l’or avec leur tiercé, en inscrivant dans un ordre calculé avec précision des numéros de chevaux. Tandis que ces alchimistes parcouraient leur tiercé, il avait tout simplement transmuté un chariot de pierres brutes en or. Il choisit donc ses mots, ses gestes, qu’il planifia. Il devrait néanmoins les initier aux plus obscurs recoins de la transmutation pour leur faire percevoir la mystique obscure de cette pratique qui avait valu la mention « au bûcher ! » à plusieurs alchimistes incapable de transmuter, et donc incinérés pour une raison aussi sombre que leurs pratiques, lors du règne sans partage de l’Inquisition, laquelle avait par ailleurs tenté de l’envoyer lui-même rejoindre les flammes de l’enfer, sinon d’un monticule de bois recouvert de pétrole. Mais l’ordre sacré avait du se rendre à l’évidence, suite à la destruction de leur quartier général, que certains alchimistes devaient bénéficier soit de l’approbation divine, soit d’un visa diplomatique. Enfin, l’alchimiste immobile, mais en tenue idoine posa avec une extrême lenteur son verre de vin, de sorte à ce que ne résonne point le bruit du verre sur le support archaïque, et ouvrit la bouche pour déclamer un discours relativement long, didactique, et proclamant sur le principe de transmutation de la matière et de l’équilibre de la nature à un Sail Ursoë stupéfié :
« Comme il vous plaira, le tutoiement me conviens tout-à-fais. Je vais donc vous expliquer le principe de la transmutation. Il est admis que dans l’univers règne de nombreux flux, que nous ne pouvons naturellement pas voir. Ensemble, ces flux forment ce qu’on appelle « monde », ou « dieux », ou « temps », ou « destin », ou autres … Le principe de la transmutation de la matière se résume en trois étapes. La compréhension de ces flux, l’assimilation de ce courant invisible, sa destruction – ou dans certains cas, nous dirons sa déstructuration – et sa reconstruction en une autre matière, un autre flux. C’est ainsi que de par la compréhension de la structure du gré, sa destruction et sa restructuration, l’on obtient du cristal. »
Jusque là, il avait tenté d’être simple. Il était difficile d’expliquer le principe de l’alchimie, pleinement, à des non-initiés. Sur Eden, l’apprentissage des flux constituait une cause de suicide pour quatre-vingt douze pour cent des professeurs d’alchimie ; c’était une chose qui ne s’apprenait pas du jour au lendemain, et un élève pouvait mettre plusieurs années à déceler le moindre flux. Quelle ne fut pas la joie de son professeur, de découvrir qu’il était d’ores et déjà capable de transmuter, dés sa première entrée à l’Académie … Ce même professeur se suicida deux mois plus tard lorsqu’il tomba sur un élève particulièrement idiot qui ne savait déceler autre flux que celui de son urine inondant sa culotte. Il ne se souvenait pas de telles choses, il les avait occultées dans sa mémoire et ne s’en plaignait en aucune mesure. Lentement, il leva sa main nue légèrement au dessus de sa tête et poursuivit ses explications, en choisissant de religieusement envoyer les lois de l’alchimie aux péripatéticiennes, avec ses salutations les plus amicales, et donc d’effectuer une transmutation interdite, afin de démontrer à quel point l’alchimie directement appliquée pouvait se révéler profondément obscure. Sa voix morne de gardien de cimetière à qui l’on avait supprimé son dernier jours de congé et interdit le repos ses Dimanches résonna avec une infernale neutralité, afin de proclamer et d’achever le cours sur l’alchimie préalablement entamé :
« Mais l’alchimie à ses règles, et des limites qu’il ne faut dépasser, car les conséquences seraient difficilement mesurables, tant pour le monde que pour l’alchimiste ; mais généralement, les alchimistes meurent en enfreignant ces règles. Il s’agit des alchimies taboues : l’alchimie du temps, dont la loi est : les lignes du temps, séparées devront rester. Nulle modification du temps tentée ne doit être. Ensuite vient la loi sur la conservation de la matière, énonçant que pour toute transmutation effectuée, l’objet transmuté, avoir les mêmes caractéristiques élémentaires et la même masse atomique devra. Enfin, la loi la plus stricte : La vie par alchimie ne devra naître. Les morts à jamais nous quittent, ou encore l’envol de la vie au temps et à La Mort incombe. Il y en à d’autre, mais vous avez un aperçu général de ce que cela affirme : les flux permettent de décrypter la vie, la mort, le temps, le monde, et bien plus … Mais n’importe quel alchimiste ne peut tenter une telle transmutation, et ne doit. Je n’ai peut-être pas besoin de vous expliquer les conséquences d’un échec d’une telle entreprise, ni celle d’une réussite … Pour ma propre part, voyez plutôt … »
Les mêmes cercles qu’autrefois apparurent, à la différence qu’ils étaient profondément obscurs ; L’unique formule inscrite était celle de l’oxygène, ou moins scientifiquement parlant, de l’air. Le fait que la transmutation de l’air soit normalement impossible, à moins de changer une matière organique en matière gazeuse, cela n’empêcha guère la formation d’une épaisse brume noire autour de la main alchimique, fumée qui en une fraction de seconde se condensa pour former un corbeau, aux yeux pourpres et dont l’éclat rappelait à s’y méprendre celui du seul œil visible de l’alchimiste immobile, mais en tenue idoine. L’animal ainsi matérialisé apposa ses serres sur les doigts de l’alchimiste statufié et établirent leurs appuis tandis qu’il déployait ses ailes sombres et lançait un sombre et lugubre croassement. L’animal ne semblant pas se rendre compte qu’il était issu d’une triple violation des lois fondamentales de l’univers replaça lentement ses ailes le long de son corps et ne s’offusqua en aucunes façons lorsque l’alchimiste qui le soulevait baissa la main pour le ramener quelque peu plus bas. La vie, le temps et le non-respect de la matière pouvaient ainsi donner un corbeau, en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire. Son regard pénétrant quitta donc le mignon minois à traits félins de la Terranide en s’en alla échouer dans le regard lupin de l’imposant loup-garou qui aurait très bien pu plonger sur lui et tenter de l’occire pour faire disparaître le sorcier hérétique et alchimiste qui se trouvait sous ses yeux. Il fit donc en la direction du loup-garou susmentionné un geste poli, se servant de l’appendice tracteur soutenant le corbeau, pour annoncer en une façon dénuée de toute ambiguïté qu’il s’était efforcé de répondre à la question.
Puis fit-il converger son regard de nouveau sur la sublime Terranide avide de connaître l’objet de son invitation, et inquiète de voir à tout prix débarquer l’élue de son cœur et de son corps, arme en mains, tentant une charmante vendetta avant de se rendre compte que son aimée n’était strictement pas incommodée ; De sa main libre, car le corbeau aurait protesté s’il avait esquissé un geste de ce genre, le soutenant, il mis la main de nouveau à l’intérieur de sa veste et en sortit une autre enveloppe de même facture que la précédente ; épaisse, noire, portant son signe, qu’il ouvrit, en s’attirant les quelques protestations du corbeau, fanatique de son immobilité, mais qui résolut d’aller se percher sur son épaule. Des obscures profondeurs de l’enveloppe, il tira un dossier moins volumineux que celui du projet Nereid, qui constituerait l’intérêt plein du professeur Sekhmet. Le dossier précédemment mentionné portait le nom singulier de « Matériel » et comportait un sommaire qui contenait quatre chapitre : chapitre premier, synthétiseur d’âme, représentant une machine immense dotée d’un tube transparent à l’intérieur duquel résidait une sorte de broyeur, chapitre second, synthétiseur de matière, une immense machine contenant divers tubes, des infinités de conduits, câbles, et autres, chapitre troisième, incubateur, une machine à forme ovale contenant une quantité indescriptible, mais stipulée dans les notes de câbles, conduits, circuits, lesquels formaient à s’y méprendre, des ailes et dotée d’un accélérateur temporel, et chapitre quatrième, convertisseur énergétique, une machine semblable à une immense moteur et fonctionnant par fission énergétique. Chaque chapitre était accompagné de diverses notes, photographies, relevés d’activité, schémas, et détails de fabrication écrits de sa main. Et quelle que soit la machine, la taille atteignait au bas mot trente mètres, hormis l’incubateur qui en faisait quinze, et la quantité d’énergie consommé par chacune d’entre elles était extrêmement élevée.
Il attendit patiemment, toujours patiemment, toujours immobile, que le professeur Sekhmet consulte le « fascicule », qui n’avait de fascicule que le nom étant donné la taille du dossier. La taille était trop importante et la quantité d’énergie que lui demandaient ses machines était trop élevée. Ill avait tenté de les réduire, comme d’en réduire la dépende énergétique, rien n’y avait fait. Il s’était donc lancé ensuite dans une campagne punitive au cours de laquelle il châtia trois quincailliers et un pauvre berger zoophile qui s’adonnait aux plaisirs charnels avec un de ses moutons. Il resta de marbre, attendant la fin de l’analyse du professeur Sekhmet de ses installations électronique qui lui avaient permises de créer Nereid dans un premier temps, et qui lui permettraient à présent de créer une grande sœur à son homoncule, plus parfaite, plus terrible, plus puissante et plus belle. Tels étaient ses principaux objectifs … Pour l’instant. Puis il lui vint à l’esprit une chose : il avait relativement bougé, ces derniers instants. Fichtre, il avait accompli plus de mouvement en présence de ses invités qu’en une année entière. Retournant dans sa parfaite immobilité, il prononça notamment ses ultimes paroles du moment avec un timbre encore plus, si c’était possible, monocorde. Il passa de nouveau la main dans ses cheveux, conscient que sa mèche attirait le regard de Sekhmet, mais il ne s’en inquiétait outre mesure : il avait l’habitude.
« Professeur Sekhmet, si vous ne voyez aucun inconvénient à ce que j’applique le principe du tutoiement, cette réunion n’est pas un torrent dans lequel tu te noierais en considération génétique ; J’ai cru comprendre à quel point ton génie en matière de technique te plaçait haut parmi les plus grands ingénieurs, et je pense donc que tu saurais avec succès réduire les dépenses énergétiques et la taille de ces appareils, ce qui me rendrait un immense service ; service que je ne manquerais pas de rendre à mon tour si l’envie te prend de me le demander … »