"Alice, tu peux passer à la réserve me ramener un paquet d'arabica, s'il te plaît ?""Tout de suite, Boss !""Et toi, sois gentille et refais un tour de salle pour prendre les commandes, la file commence à être longue...""Pas de problème, Boss."L'homme lui fit un signe de tête, avant de passer la porte des cuisines. Il lui avait fait l'habituel sourire qu'il réservait à toutes ses serveuses, paternel à souhait - et sans arrière-pensées. Ce n'était pas le genre de patron à mettre la main aux fesses ou à mettre mal à l'aise ses employées, et c'était probablement grâce à cette attitude professionnelle que son équipe se sentait à l'aise dans leur lieu de travail, détail qui leur permettait d'être performantes et souriantes.
Pourtant, l'ensemble des donzelles qui travaillaient ici présentaient très bien dans leurs
uniformes. Meeruko, en particulier, devait être celle avec le plus de poitrine pour remplir le joli corset marron. Qu'il y ait un lien de corrélation ou non avec ce fait, elle s'était aussi retrouvée le matin même avec une paire de mitaines aux motifs de vache à pis, offert par le patron, justement. Cadeau de bienvenue, lui avait-il dit, et qu'il ait agi de manière consciente ou non, elle avait volontiers gardé ces adorables gants, ironiquement si bien accordés avec sa nature cachée.
La brune rajusta sa coiffe de serveuse, un détail qui cachait à merveille sa couronne qui se serait probablement démarquée de manière négative dans cette tenue. D'un geste vif, elle prit un bloc-notes, un stylo, et quelques menus, et commença à détailler l'entrée, où une file de bonne taille s'était effectivement formée. C'était l'heure du rush, comme on disait en restauration. Pile le moment où les étudiants, leur plus grande clientèle, sortait de leur cours et avaient l'idée de venir prendre un bon café pour se détendre ou pour faire leurs devoirs et être débarrassés en rentrant. On reconnaissait les relaxés au fait qu'ils étaient en bande d'amis ou en couple, et les studieux à leur sacoche d'ordinateur, qui pendait sur leur épaule fatiguée.
La première personne en attente dans la file était une jeune fille qui abordait l'uniforme de son lycée, le même qui attendait sagement dans son vestiaire qu'elle-même finisse son service. Meeruko traversa la salle, sentant quelques paire d'yeux la détailler - soit parce qu'ils attendaient quelque chose d'elle, soit parce que la vue était agréable à regarder. Absorbée par son travail, la ushi n'y accordait pas trop d'attention. Elle avait constaté plus d'une fois l'espèce d'attraction que son apparence semblait posséder et qui inspirait beaucoup de regards à se poser sur elle, dans la rue, dans le métro, et même à l'école, mais la constatation une fois faite, bien que flatteuse, ne lui avait pas inspiré plus de sentiments que cela. En tant que Princesse, il lui était arrivée plus d'une fois de supporter des centaines de regards sur elle pendant une certaine durée. Cela ne lui inspirait aucune gêne ou crainte.
Une fois assez près, la serveuse adressa un charmant sourire à sa future cliente. Elle avait l'air effacée, probablement fatiguée par sa journée de cours, ou peut-être juste d'un tempérament timide. Son regard surprit un instant la vachette, car il fut pendant quelques secondes un peu dubitatif, comme si la cliente se posait quelques questions. Rapidement en reprise de contenance, Meeruko appliqua les traditionnelles manières japonaises qui consistaient en courbettes et politesses excessives, qu'elle avait mis tant de temps et était si fière d'avoir appris correctement.
"Bonjour, bienvenue au Cosy Bear ! Comment s'est passée votre journée ?"La jeune femme lui commanda une table pour une personne. Meeruko observa les alentours d'un œil un peu anxieux, car le café était relativement bondé. Heureusement, un couple venait de partir en libérant une petite table, prés de la fenêtre, au fond de la salle.
"Aucun souci Mademoiselle, je vous invite à me suivre !"Les deux femmes marchèrent vers le fond de la salle, et Meeruko tira la chaise à sa cliente. Après avoir passé un rapide mais efficace coup de serviette sur la surface, et vérifia discrètement que sa poitrine volumineuse ne s'imposait pas trop dans le visage de la jeune fille - fruit d'expériences du genre qui lui étaient arrivés en posant les mets sur la table ou en nettoyant comme dés à présent, et qui étaient toujours un peu délicates. Une fois cela fait, elle tendit à l'adolescente un menu à la couverture cuivrée.
"Voici notre choix en terme de boissons et pâtisseries. N'hésitez pas à me demander conseil si vous avez du mal à choisir... on a parfois du mal à se décider, avec tout ce qu'il y a de proposé !"La liste des mets était effectivement très longue. Meeruko pensa à Alice, qui n'arrêtait pas d'houspiller le patron en lui disant que cette liste était aussi longue qu'un jour sans pin. La vision de cette serveuse assurée et ancienne, qu'elle aimait bien, en train de tapoter le crâne du boss avec le menu la fit rire silencieusement, laissant juste un sourire illuminer son visage, vite masqué par une main gantée se posant délicatement sur sa bouche.
Voyant que la jeune fille n'avait pas d'avis tout fait, Meeruko se décida à se remettre à la tâche.
"Appelez-moi si vous avec besoin de mon opinion, je prends votre commande dans quelques instants !"Et elle tourna les talons, se redirigeant vers la file pour aller placer d'autres personnes. Les allers et retours lui prirent toute sa concentration. Meeruko avait rapidement intégré qu'un boulot de serveuse demandait une dextérité mentale plutôt vive - on ne pouvait pas se permettre de penser à autre chose pendant un instant, et oublier une commande ou ignorer un client. Du coup, toute sa cervelle était concentrée sur le job. Il n'était pas rare que la vachette rentre chez elle avec un épuisement mental conséquent. Elle aimait son job, mais par bien des aspects, il n'était pas aussi simple que ce que les autres humains pouvaient lui avoir dit. Enfin... peut-être était-il simple pour les humains, mais par pour elle... enfin !
Au bout d'un moment, les allers-retours s'arrêtèrent. La vachette se creusa la tête pour effectuer les commandes dans l'ordre, histoire de ne pas brusquer un client ou en vexer un autre. Le visage de cette lycéenne lui revint en tête, et elle la repéra rapidement, se redirigeant vers elle.
La brune était sur le point de demander la commande, quand les choses commencèrent à prendre un tournant inhabituel.
« Eh, mais je vous connais. »Meeruko leva les yeux de son carnet, son sourire professionnel s'effaçant pour laisser place à une expression surprise.
"Excusez-moi ?" répondit-elle, perturbée.
L'explication vint assez vite pour que tout cela ne devienne pas inquiétant : l'adolescente venait bel et bien de Mishima, et comme l’entièreté de la foule où elle était, elle avait dû apercevoir un de ses numéros de pom-pom girl au match de base-ball qui se tenait un samedi par mois dans le stade du lycée. Meeruko y était, effectivement, pleine d'énergie comme à son habitude. Malgré sa grande stature, les filles de l'équipe avaient réussi à la maintenir avec aisance en haut de la pyramide pour le final. Toutes leurs séances d'entraînement avant le match s'étaient concentrées en grande partie sur ce mouvement final, elles avaient été si fières de le réussir ! Oui, vraiment, ça avait été un bon moment, qui avait précédé un excellent match. La brune s'en souvint avec bonheur, et le compliment que lui fit cette inconnue fit encore plus rougir ses joues de plaisir. Elle posa une main sur une de ses joues, mais ne put masquer son gloussement.
"Oh, c'est vrai ? Merci beaucoup, ça me fait très plaisir de savoir que ça vous a plu !"Une réponse très sincère, et cette jeune fille inspirait désormais une franche sympathie à la serveuse, ravie de savoir que ses efforts n'étaient pas vains. La jeune femme confia avoir envisagé de rentrer dans l'équipe, mais n'avait pas estimé être assez jolie pour le faire. La brune pencha sa tête sur le côté, laissant cette phrase l'inciter à la réflexion. Elle avait décerné une certaine envie dans les yeux de cette fille. Pas forcément habituée à la subtilité des humains pour transmettre des messages à caractère séducteur (il faut dire que, chez elle, le concept de séduction était beaucoup plus brut - à base de rentre-dedans littéral et d'opinion directe sur les parties du corps du ou de la partenaire), Meeruko n'avait pas envisagée que l'adolescente puisse avoir envie d'elle. Avec cette réflexion de sa part, elle cru comprendre à quoi ça rimait : la jeune femme était peut-être juste un peu jalouse ?
Mais jalouse de quoi, au juste ? Meeruko l'avait observé par réflexe après qu'elle ait dit ça, et ne trouvait aucune anormalité ou disgrâce physique chez la demoiselle. Certes, elles avaient toutes les deux des physiques bien différents. Mais le côté fragile et frêle de cette fille, qu'elle-même ne possédait pas, rendait son apparence adorable, un physique de poupée. Meeruko n'aurait jamais pu se douter de la perversité qui pouvait être contenu dans cette petite silhouette.
La vachette agita sa main un peu après, comme pour repousser les affirmations de sa cliente.
"Oh non, rassurez-vous, nous sommes toujours à la recherche de nouvelles têtes ! Mmh..."La vachette posa son index sur sa bouche, réfléchissant à comment dire les choses de la meilleure façon.
"La pratique demande surtout beaucoup d'équilibre, de souplesse et d'aisance avec son corps ! Je vous mentirais en vous disant que l'apparence n'est pas un critère, bien sûr, mais si vous voulez mon avis, dés que l'on est dans la chorégraphie, toute cette énergie qui s'en dégage... ça suffit à rendre belles chacune d'entre nous..."Son regard s'était décalé, un peu rêveur, comme à chaque fois qu'elle évoquait un sujet lié à l'humanité et qui la passionnait. Elle aurait pu en débattre pendant des heures, mais elle s'était vite rendue compte qu'ici-bas, ce qu'elle pensait extraordinaire était perçu comme tout à fait banal pour l'humanité toute entière, et que donc, par conséquent, personne ne voyait l'intérêt d'en parler avec autant d'intérêt. D'ailleurs, la brune se reprit vite, ne voulant pas importuner sa cliente, qui venait de la remercier et de passer sa commande.
"...Ah, oui- excusez-moi. Je vous apporte ça tout de suite !.. pouvez-vous me donner votre prénom, s'il vous plaît ?"Le prénom donné, la vachette nota "Mira" sur un coin de la page, et enchaîna ensuite sur quelques autres tables, mais son esprit ne semblait pas avoir quitté celle de cette fille. La pauvre avait semblé si sincère, quand elle avait avoué ne pas se sentir à la hauteur par rapport à son physique... cela lui faisait de la peine. Sur sa planète, on apprenait très tôt aux enfants à être positifs vis à vis de leurs corps et à se sentir magnifiques. Il n'y avait pas vraiment de modèles de beauté imposés, comme sur la Terre, comme elle l'avait constaté avec surprise. Les couples étaient divers et variés, mais toujours bien assortis de part l'amour qu'avaient les partenaires l'un envers l'autre. Cela avait pour léger effet secondaire que les Milkopiens avaient un haute opinion d'eux-mêmes, mais en même temps, ils connaissaient ainsi parfaitement leur valeur !
Cela peinait donc Meeruko - et, comme d'habitude dans ce cas-là, lui donnait envie d'agir, d'aider à la construction de la confiance de cette fille. Même sans qu'elle le sache - surtout sans qu'elle le sache, en fait, vu la solution qui lui venait en tête..
Meeruko passa la porte des cuisines, et s'apprêta à donner la commande à un des employés - avant de se retenir, et de lui répondre :
"...C'est juste un café au lait, je peux le faire, si tu es trop occupé !"Évidemment, le commis ne zappa pas cette occasion de se libérer un peu de temps. Avec son feu vert, la serveuse dénicha une assiette, une large tasse, et retourna sur ses pas pour aller derrière le comptoir, heureusement vide. Elle activa la machine et le café coula à flot, libérant une délicieuse odeur.
La jeune femme saisit ensuite l'assiette et s'accroupit par terre, cachée par le large bois du bar. Avec aisance - ce qui laissait penser que ce n'était certainement pas la première fois qu'elle faisait ça - elle dégrafa son corsage et libéra une partie d'un de ses seins. En appuyant dessus, elle fit délicatement couler le lait dans la boisson. Puis, une fois le corsage rattaché, elle reprit son équilibre et posa la tasse sur le comptoir, se munissant d'une bouteille de chocolat fondu.
Sa cliente fut rapidement servie : devant elle fut bientôt posée une délicate assiette contenant un café au lait à l'odeur appétissante. Tracé avec le chocolat, on pouvait lire "Mira" au-dessus de la tasse, dans une écriture ronde et serrée.
"Voilà pour vous, Mira !"Ce n'était pas vraiment un traitement de faveur, puisque chacun et chacune des client(e)s pouvait avoir son nom demandé et tracé sur son assiette, comme un signe de bienvenue. Mais Meeruko s'était vraiment appliquée pour le tracage, pour le coup !