Le sable brûlait les peaux nus, alors que le soleil du désert tannait les peaux découvertes. La caravane improvisé rassemblait les âmes égarés en quête d'un oasis accueillant au sein de ces terres sauvages. Le chef de l'équipée menait le groupe, habitué à la longue marche dans un tel environnement. Aucun ne rechignait, préférant la quiétude du silence ou bien les chants aux plaintes éventuels. Serket s'était jointe à la joyeuse bande de saltimbanques lorsqu'elle les avaient aperçus, adossés contre le mur de sable de la Vieille Cité. Elle s'était approchée d'eux, armée de son oud et de son bâton de marche, courbant l'échine afin de montrer le respect vis à vis de ces camarades. Ils ne leur avaient pas fallu plus pour l'accueillir parmi eux. Sans perdre une seconde de plus, les artistes s'étaient mis en route, remplissant leurs gourdes au puits avant de s'enfoncer dans le désert.
Bien entendu, ce n'était pas par simple plaisir que la djinn avait choisi de mêlé ses pas aux leurs. Leur chemin les mènerait, information qu'elle avait recueilli en écoutant leurs discussions, vers sa prochaine destination.
Sa prochaine cible. Songea la jeune femme. Celle-ci ne se trouvait pas au bout de sa route, mais elle s'en approchait au fur et à mesure que les jours passaient. Le soir, les plus curieux tentaient d'arracher quelques secrets appétissants sur la jeune fille mais celle-ci ne laissait rien échapper, préférant les abreuver d'histoires et de récits au son de son oud. Cela sembla les contenter et le sommeil gagna rapidement ses camarades alors que, ses yeux perçant dans la nuit, elle ne pensait qu'aux épreuves qui l'attendraient une fois arrivée. Khosrau n'était plus qu'à un jour de marche et bientôt elle franchirait aux côtés de ses compagnons les portes de la cité érudite.
De loin, on pouvait percevoir cette masse qui s'étirait dans le désert. Entourée de murailles épreuves, on remarquait la grande tour parée d'argent et de bronze qui se reflétait au loin. Lorsque l'on réduisait la distance, on pouvait voir les toits colorés des plus grandes bâtisses. Khosrau n'était pas une ville guerrière, elle aspirait aux arts et aux délicatesses des plaisirs. On y trouvait les plus grands savants et les guérisseurs les plus appliqués. Les plus riches pourvoyaient aux besoins de ces derniers, et celui qui manquait à ce devoir était raillé par ses semblables. On admirait les mécènes les plus pourvus et on rigolait des ignorants qui préféraient conserver leur or. Jouer dans une pareille cité pour un artiste pouvait être synonyme d'espoir d'être pris sous l'aile d'un de ces seigneurs. Bien sur, rares étaient ceux qui accédaient à ce privilège mais les musiciens, chanteurs et danseurs étaient bien payés même si cela n'était que pour un temps.
Lorsque les premiers habitants aperçurent le petit groupe, ils s'empressaient de leur offrir quelques rasades d'eau afin d'apaiser leur gorge sèche. Elle accepta avec politesse le gobelet que lui tendait une jeune femme aux yeux émeraudes et à la chevelure sombre, avec un léger hochement de tête. Leur périple ne s'arrêta pas là. C'était vers la demeure de Cassim, l'homme le plus puissant de la ville, qu'ils se dirigeaient. Chaque jour était l'occasion d'une nouvelle fête et de découvertes pour ses invités. Plus qu'attiser les désirs et l'appétit, il titillait l'esprit avec les performances des artistes et les représentations de ses savants.
Cassim. Cet homme n'était nullement de ceux auxquels elle mettrait impitoyablement fin. Mais il détenait des informations précieuses concernant sa quête. Il savait
tout. Ou presque. Nombres rumeurs courraient sur le savoir qu'il possédait et qui semblait infini. Il était connu pour avoir la réponse à presque toutes les questions et pouvoir lui en poser une était un honneur qu'il refusait à beaucoup. Elle inspira profondément alors que leur caravane s'engouffrait dans la cour du palais.
***
La fête battait son plein. Les musiciens chantaient avec force dans la splendide salle dans laquelle se déroulait le festin. Cassim, le sourire aux lèvres, conversait joyeusement avec l'un de ses invités. Homme fin, dans la quarantaine, il ne restait pas une minute à la même place, se levant soudainement pour aller féliciter un des musiciens ou bien étreindre un ami perdu de vue qui venait d'arriver dans la Cité. Serket ne le quittait pas du regard, détournant celui-ci lorsqu'il s'aventurait à la regarder.
Lorsqu'on appela un chanteur pour une ballade, elle se dépêcha de sauter sur l'occasion. L'auditoire l'écouta avec attention alors que sa voix, douce et chaude, s'élevait dans les airs. L'histoire était simple, parlait de sept hommes, chacun s'était abandonné à un vice, à une faiblesse, et s'étaient perdus. Elle réussit à tirer quelques larmes de ses spectateurs, salua alors que Cassim se leva avant de prendre la parole : «
Belle musicienne, vous avez ravi l'amateur de musique que je suis... laissez-moi vous accorder une réponse à l'une de vos questions. » Les chuchotements bourdonnèrent autour de lui, les faisant taire par un simple geste. Elle s'avança, courba l'échine avant de se relever les yeux brillants «
Si vous le voulez... j'aimerais vous poser cette question dans un endroit plus calme. Je ne souhaite embarrasser vos invités avec quelques sombres réflexions » annonça-t-elle. Il acquiesça, lui fit signe de la suivre et la fête reprit.
Cassim l'amena dans une petite pièce circulaire dans laquelle reposait une pile de parchemins. Au centre se trouvait le chef des saltimbanques. D'un geste le seigneur lui lança une petite poche de tissus, tintant sous son geste, qui vint s'écraser à terre pour en répandre son brillant contenu. Le vieil homme lui jeta un coup d’œil désolé alors qu'il ramassait les pièces d'or qui avaient roulé sur le sol. «
Qu'est-ce que cela... veut dire ? » s'exclama-t-elle en regardant les deux hommes tour à tour. Cassim effectua un léger mouvement de la main et elle se sentit basculer.
Sans demander son reste, il partit en courant de la pièce alors que Serket était plaquée sur le sol par des forces qui la dépassaient. «
Intéressant ce que l'on peut apprendre à travers les rumeurs et les histoires... » dit-t-il calmement alors qu'il tournait le parchemin entre ses doigts fuselés. «
J'ai étudié votre peuple toute ma vie durant... ne croyez pas que j'allais laisser filer une pareil occasion.» termina l'homme sur un ton mutin. Il murmura quelques mots, et il sembla à Serket qu'on lui donnait un grand coup dans l'estomac. «
Votre ami a agit sous ma commande... voyez-vous je suis nettement plus vieux que mon apparence le laisse croire. J'ai sacrifié plaisirs et richesses pour acquérir des savoirs dont vous n'avez même pas idée... le commun me semble si prévisible maintenant... même une créature telle que vous. » s'exclama-t-il avec avidité.
«
Que... » s'étouffa-t-elle. Serket sentit une force invisible l'étreindre alors que des glyphes se dessinaient sur sa peau avant de s'effacer. Soudainement, elle fut aspiré vers le réceptacle de cuivre qui reposait sur la table, tentant vainement de lutter contre la force qui annihilait sa puissance et la forçait vers sa prison... et vers la servitude.
Ses yeux s'ouvrirent alors qu'elle se trouvait dans sa nouvelle demeure. L'intérieur de la lampe était sombre, mais assez de lumière perçait pour lui permettre de voir ce qui se trouvait autour d'elle. Rien, si ce n'était une fumée trouble qui dissimulait les contours des murs. Serket se recroquevilla dans un coin, sa tête dissimulée dans ses bras repliés alors qu'elle tentait de reprendre une respiration normale. La panique la submergeait, alors son esprit voguait ailleurs afin de lui permettre de retrouver son calme. Cassim reviendrait bien assez tôt à elle. Un djinn auquel on ne faisait pas appel était du gâchis. Serket prendrait son mal en patience... et se promettait de lui faire passer un sale quart d'heure pour son audace.