Stagma s’évertua à lui expliquer le principe du rituel du poing, et, de ce que Laura comprit, c’était une manière de s’encourager et de se féliciter entre amis. C’était une méthode curieuse, mais Laura lui accordait le bénéfice du doute et de son ignorance. Là d’où elle venait, on la motivait à s’entraîner en l’électrifiant et en la torturant. Au moins, ce n’était pas douloureux. Une chance qu’elle maîtrise à la perfection l’usage de ses griffes. Autrement, ce rituel aurait pu prendre un ton particulièrement gore... Laura, de son côté, sentait bien qu’il y avait chez cette femme quelque chose de particulier, d’atypique par rapport aux autres élèves qu’elle avait rencontré. Félicia lui avait dit que Mishima regroupait de nombreux cas exceptionnels, et qu’elle ne devait pas hésiter à se confier, quitte à aller contre les directives du SHIELD, mais se débarrasser d’un formatage acquis depuis des années n’était pas simple. Laura sentait encore en elle de lourdes digues, des murs épais avec des miradors et des barbelés, qui se refusaient à toute forme de rapprochement. Une véritable forteresse où les poternes étaient aussi rares que les cheveux sur le crâne d’un chauve.
L’épisode des seins étonna à nouveau Laura. Stagma alla d’un seul coup lui pétrir ses deux seins, et Laura cligna des yeux à plusieurs reprises. Elle aurait effectivement pu se sentir agressée, mais, là encore, elle n’avait jamais grandi en voyant une grande sœur mettre du coton dans son soutien-gorge pour que l’homme qu’elle aime puisse l’observer, et elle n’avait jamais vu toutes ces séries et tous ces clips télévisés exhibant fièrement les poitrines. Elle avait une vision affreusement fonctionnelle du corps humain, réduisant les parties et les organes de son corps en deux catégories : ce qui était utile au combat, comme ses bras et ses jambes, et ce qui ne l’était pas. Elle pensait donc que les seins ne servaient à rien, si ce n’est à être encombrant, et qu’ils étaient la preuve que les hommes étaient naturellement appelés à être des guerriers... Mais elle ressentait quelque chose en sentant Valentine les pétrir. Elle n’aurait pas su dire quoi, mais... C’était comme un frisson, une sorte de sensation assez désagréable et dérangeante, qui l’amena à cligner des joues, et à rougir légèrement. Elle vit ensuite Stagma se tripoter, et nota les regards curieux d’un piéton qui passait par là. Sans pouvoir se l’expliquer, elle se sentit légèrement gênée, comme si elles faisaient quelque chose de mal... Même si Laura ne voyait pas trop en quoi se toucher la poitrine pouvait être mal interprétée. Elle écoutait sagement et attentivement les explications de Stagma, qui lui expliqua que la poitrine était un « atout séduction », et qu’elle n’avait pas envie qu’on lui insère « quelque chose » dans... Mystère et boules de gommes. Suivant le fil de la conservation, Laura pensa alors à insérer un objet contondant dans les seins pour les trancher, et grinça des dents.
« Ouais... Ça doit faire mal... répondit-elle, sans trop comprendre qu’elle et Stigma pensaient alors à deux choses différentes. Il faut être suicidaire pour faire quelque chose comme ça ! » renchérit-elle.
Un atout séduction... L’idée la travailla encore alors qu’elle suivait Stagma vers une espèce de roulotte à l’américaine vendant des hamburgers. Laura avait eu l’occasion d’en manger lors de sa traversée des Etats-Unis. Laura avait de l’argent pour payer, et, ça, elle savait comment ça marchait, mais Stagma tenait à payer pour les deux, en refusant que Laura paie sa part. Cette dernière acquiesça en hochant légèrement les épaules. Si elle connaissait l’argent et son fonctionnement, elle n’avait pas grandi dans une famille qui devait faire face à des impayés, à des prêts bancaires, et à toutes les privations que le manque d’argent entraînait. Autrement dit, elle ne connaissait pas encore la valeur symbolique qu’on donnait à l’argent. Pour elle, ce n’était qu’une monnaie permettant de faire des trocs dans une société organisée et civilisée. De plus, son esprit était encore embrumé par cette histoire de poitrine, par ce fourmillement qu’elle avait ressenti... C’était comme si le bout de ses seins, ses tétons, avaient soudain durci, et elle n’arrivait pas à se l’expliquer. Ses tétons ne durcissaient jamais, et, pourtant, elle les avait sentis ! Maintenant, ils étaient redevenus normaux, flasques. Elle se tripotait devant les yeux du vendeur, qui la regardait en clignant légèrement des yeux... Mais sans sembler plus surpris que ça. Quand on travaillait près du lycée Mishima, il fallait s’attendre à tout, même à voir une nana se tripoter les nibards sous ses yeux.
*C’est bizarre... Je n’avais jamais entendu parler d’une telle chose. Est-ce que mes seins peuvent générer des spores aphrodisiaques ?!*
Honnêtement, elle peinait à voir en quoi ils constituaient un « atout séduction ». Pour elle, ce n’était que... Deux bosses avec une pointe rose ! Ils servaient à sécréter le lait maternel qu’on utilisait pour abreuver les nourrissons, mais, mis à part ça, elle n’avait jamais pensé qu’ils pourraient avoir d’autres fonctions... Et, s’ils n’en avaient pas d’autres, ils n’auraient pas durci suite au contact des mains de Stagma, non ? Laura se demanda alors si ce n’était pas une conséquence du fait que toute son ossature était en adamantium, même si, à vrai dire, elle ne voyait pas vraiment la relation. Il n’y avait pas d’os dans un sein.
Les sandwichs arrivèrent alors, chacun avec une serviette pour se protéger de la chaleur.
« Merci, Monsieur » remercia poliment Laura, se rappelant de ce qu’elle savait sur les politesses et les interactions sociales.
Elle suivit Stagma, et s’assit sur un banc, en face d’elle. C’était un cheeseburger à l’ancienne. Elle l’observait silencieusement, s’apprêtant à croquer dedans, quand Stagma la prévint. Elle lui signala que Seikusu était une ville dangereuse, et Laura mordit dans son burger, levant les yeux vers Stagma. À qui le disait-elle ? Dès son arrivée dans cette ville, elle s’était retrouvée mêlée à une opération menée par le SHIELD contre l’HYDRA, qui avait résulté en l’explosion d’un entrepôt par un individu armé d’une combinaison ignifuge, un Pyromancien qui se battait avec un lance-flammes, utilisant ses pouvoirs pour accroître la puissance de son arme.
Laura ne répondit pas à Stagma sur le coup, et reposa son hamburger. Elle allait prendre un risque, mais sa mission initiale était compliquée par beaucoup trop de paramètres inattendus. Stagma avait envie d’aller à la salle d’arcade, et Laura croisa son regard, un air sérieux sur le regard.
« Je vais te le montrer, Stagma, parce que j’ai le sentiment de pouvoir te faire confiance... Tu n’as pas à t’en faire pour moi, je sais me protéger toute seule, et, au cas où... »
Elle avait levé ses deux poings, à gauche et à droite de son visage, et se concentra légèrement. Les griffes poussèrent, déchiquetant sa chair, et deux griffes en adamantium pointèrent sur chacune de ses mains. Les griffes étaient légèrement couvertes de sang, le sien. Elle les brandit devant la femme, et les fit crisser entre eux, les essuyant des gouttes de sang. Elle s’attendait à voir Stagma fuir en hurlant, mais cette dernière semblait relativement calme. Laura replia ses griffes, et tendit ses mains vers Stagma, écartant ses doigts. On pouvait voir, en tout, quatre plaies, qui se refermèrent rapidement, presque comme par magie.
« Je dispose d’un facteur autoguérissant qui me rend pratiquement invincible, expliqua-t-elle. Ainsi que de griffes... Deux par main, et une à chaque pied. Je les fais sortir quand je le veux, ce sont comme des excroissances osseuses. Elles sortent en déchiquetant ma peau, mais, avec mon facteur... Les plaies guérissent bien vite. »
Elle rajouta alors, sur sa lancée :
« Je suis une mutante. »
Laura se disait que, ainsi, Stagma connaîtrait son secret, et ne chercherait pas à en savoir plus... Vu la mauvaise popularité des mutants, l’aveu, qui n’était pas un mensonge, mais plutôt une vérité incomplète, lui semblait bon. C’était une manière détournée de respecter les paramètres de sa mission : ne pas parler de sa mission, de ce qu’elle était avant. Il n’y avait plus qu’à espérer que la curiosité de Stagma serait satisfaite. Et puis, Laura n’avait pas à se sentir coupable. Ce n’est pas comme si elle lui avait menti, non ?