La Forêt des Toiles était le nom qu’on donnait à l’antre d’Élise. On reconnaissait très facilement cette forêt quand on y entrait, et on comprenait rapidement pourquoi on l’appelait ainsi. De l’extérieur, on ne voyait qu’une forêt normale, une grande forêt au milieu d’une vaste plaine verte avec des hautes herbes, mais, en se rapprochant, et en y entrant, on pouvait voir les toiles. C’était comme si la forêt abritait, en son sein, un vaste et épais réseau de toiles d’araignées. Si elles n’empêchaient pas la photosynthèse et la survie des arbres, elles étaient parfois si épaisses qu’on ne voyait quasiment plus le soleil. En se rapprochant du cœur de la forêt, les toiles formaient même des couloirs épais, qui menaient tous vers le Nid de la Reine, qui s’étalait dans une grotte souterraine. C’était un endroit mal réputé, et peu connu, car peu de gens s’y rendaient... Et ceux qui en parlaient n’étaient pas forcément crus. La Forêt des Toiles était un épais maillage de toiles d’araignées, ce qui faisait que s’y infiltrer sans se faire remarquer était impossible, chaque secousse sur la plus infime des toiles étant envoyée au centre de la vaste toile, soit au Trône de la Reine.
Si on suivait la route principale, avant d’entrer dans la Forêt, on atteignait un village qui semblait abandonné, ou hanté : le Village des Toiles. Toutes les maisons étaient recouvertes de toiles d’araignées, et, pourtant, des gens y vivaient encore. Ceux qui avaient renoncé à vivre dans le monde extérieur, et préféraient vivre sous l’autorité et la protection d’Élise. La redoutable Reine veillait sur son antre avec rigueur, et ne tolérait pas d’intrusion extérieure. Elle savait que, parfois, des chasseurs venaient, missionnés par des esclavagistes, afin de la capturer. Parfois, ils ne revenaient jamais vivants.
La Forêt des Toiles n’était pas vide. Elle était remplie d’araignées, grosses ou microscopiques, les plus grosses araignées se trouvant au centre. On pouvait constamment entendre l’écho de leurs multiples pattes marchant le long du sol, des arbres, ou des toiles. Elles se cachaient dans les feuillages, dans les recoins d’ombre. Quand l’inconnu arriva, il ne lui fallut pas longtemps pour être repéré, et, comme à chaque fois, Élise se déplaça en personne. Elle ne prenait jamais de risques inutiles, car elle connaissait les faiblesses de sa forêt, surtout vis-à-vis du feu. Les flammes pouvaient la détruire, la rendre vulnérable... Et, de manière générale, une araignée était avant tout une prédatrice silencieuse.
L’étranger s’était caché derrière un arbre, regardant devant lui. Il avait entendu les bruits des pattes des araignées en train de se déplacer, et se cachait, ignorant probablement ce qu’il faisait là. Élise ne voyait aucune arme sur lui, rien qui ne puisse indiquer un quelconque chasseur.
*Mais nous ne sommes jamais trop prudents.*
Il était de dos, et elle voulait le voir de face. Elle-même se tenait en hauteur, dissimulée au milieu des feuillages, en appui sur une toile, et siffla bruyamment, afin d’attirer l’attention de l’homme. Lorsqu’il se retourna, deux filaments de toile jaillirent des mains d’Élise, et frappèrent l’homme au torse, le plaquant contre le tronc de l’arbre. La femme-araignée sauta ensuite au sol, et se releva lentement, ses pattes d’araignée remuant dans son dos, son regard rouge croisant celui de l’homme.
« Qui es-tu, étranger, et que viens-tu faire dans ma forêt ? » demanda-t-elle alors.