Merde, comment sait-elle ? S'il y quelque chose qui déstabilise notre séducteur, c'est bien les filles intelligentes. On peut jamais savoir comment ça va réagir, ces machines. Les cruches sont bien plus faciles à attraper, de son point de vue. On voit assez vite à quelle catégorie elles appartiennent, et en fonction de ça, on laisse tomber (y'a des poulettes qui ne se laisseront jamais convaincre, de toute manière), ou on applique un rythme et une méthode appropriés à la catégorie sus-nommée.
Et c'est ce qui fait toute la beauté de la drague : l'automatisation. Dire que certains mecs croient dur comme fer qu'il existe approximativement 2 milliards de femmes différentes sur cette planète. Sébastien sait, lui, qu'en France, il en existe une dizaine. Dix sortes, dont quatre seulement sont baisables. Quatre modèles de cibles potentielles, ce qui donne un algorithme de séduction à quatre variantes. C'est beau, quelque part. Le modèle mériterait d'être encore épuré un peu pour avoir l'élégance d'une formule mathématique, mais la moustache de Nietzsche ne s'est pas faite en un jour.
Bon, mais le problème, dans tout ça, c'est les cinglées. Pas les filles mal dans leur peau (qui ont leur propre catégorie), ou celles qui sont exubérantes pour se donner un genre. Nan celles qu'on peine à analyser. Celles dont on arrive pas à prévoir les réactions. Elles ne semblent correspondre vraiment à aucune des quatre catégories (et pourtant elles sont baisables). Quand on tombe sur ce genre de filles, c'est la fin de la tranquillité, on peut en être sûr. On se retrouve pris dans des joutes verbales incertaines, on essaie des trucs incohérents, on sait pas trop ce qu'on fait. Il faut improviser, l'issue est incertaine. Bertrand dit que CA, c'est de la séduction, c'est plus élevé que de la drague à la chaîne sur des nanas interchangeables. Ce à quoi le blond réplique que non, c'est juste la preuve que le modèle n'est pas assez affiné.
Bref, la petite Aya, elle fait chier. Elle ne régit pas comme une fille normale.
"Je marque des points ?" lance-t-il, accompagnant la question d'un sourire indispensable.
Il se détourne et amorce tranquillement la marche en direction du bateau, les mains dans les poches, la demoiselle à son côté. Quelques secondes de silence lui suffisent à se reprendre. Il ne fat aps prendre le problème de travers. Elle est intelligente, certes, mais sa dernière parole suffit à la catégoriser. De toute évidence, Aya appartient au type 4 : les sacro-saintes dévergondées. Les plus savoureuses. "Grils just wanna have fun". Elle est un peu bizarre, et fichtrement perspicace, mais au final, tout ce qu'elle veut, c'est s'amuser. Il est con de s'être laissé déstabiliser par le franc-parler de cette gamine. C'est une joueuse effrontée, tout simplement.
"C'est vrai... ça sera vite réglé, en plus... si tu veux rendre la chose moins ennuyeuse, tu peux t'amuser à lui diagnostiquer n'importe quoi, à son moteur [ndlr : Sébastien est un enculé]. Ah bah tiens, on y est !"
Le matelot, sur son bateau, leur fait signe. En vrai, il doit être vénère d'avoir attendu, mais là il n'en montre rien. Il les attends, appuyé sur la rambarde du pont. Putain, il a trop de classe. Le blondinet zyeute les deux bras aux muscles saillants qui reposent nonchalamment sur la barrière en fer, non sans une certaine jalousie. Si il avait été une femme, il aurait choisit Bertrand.
"Vous avez aussi changé les roues de la voiture ou quoi ?" qu'il balance l'air de rien.
Sébastien se contente de se marrer, sans répondre, et traverse d'une large enjambée l'espace qui sépare le quai du pont. Il se retourne et tend la main à la mécano, histoire de l'aider si besoin est, parce qu'elle est plus petite que lui, et il ne voudrait pas qu'elle tombe. Galanterie oblige. (Bon d'accord, personne n'y croit. Évidemment qu'il veut juste établir un contact physique, et que tous les prétextes sont bons).