Le malheur des uns faisait le bonheur des autres. Constamment, ce proverbe tenait à montrer sa véracité. Dans l’une des régions profondes d’Ashnard, une belle région boisée, une épidémie de peste avait éclaté. Virulente, la peste avait éclaté depuis une grande ville commerciale, et s’était répandue dans toute la région, contraignant les Impériaux à se déployer pour lutter contre la maladie, incendiant les cadavres et les foyers infectieux. Pris de panique, de nombreux petits villages avaient été progressivement désertés, les habitants fuyant vers les garnisons impériales proches, afin d’éviter la peste. C’est ce qui était arrivé au petit village de Mol Duinne, dont le seul intérêt était un moulin à eau, et un petit hameau agricole, avec quelques vaches, et des champs de blé... Et une tour, qui appartenait à un mage ashnardien, Jubar. Jubar n’était pas n’importe qui, il était un professeur à l’Académie magique d’Ashnard, et un chercheur émérite, qui s’était rendu à Mol Duinne pour étudier, pendant des mois, des singularités magiques, conformément à ce que son statut d’enseignant-chercheur lui permettait de faire.
Jubar avait attrapé la peste, et avait du déserter sa tour, pour se soigner. Il ne mourrait pas, mais il était comateux. Et, naturellement, les autres mages allaient se ruer vers sa tour pour essayer d’obtenir ses trésors, que ce soit ses recherches, ou ses cristaux. Des objets précieux dont Samara était friande. Son poste influent au sein de l’Empire, gagné essentiellement à force de coucher avec les hauts dignitaires, et d’être l’intermédiaire entre les Ashnardiens et la Déesse des Sorcières, la redoutable et désirable Sha, lui avait permis de court-circuiter les lettres officielles annonçant la situation de Jubar, retardant ainsi le moment où la nouvelle éclaterait. Grâce à un Portail de téléportation, elle s’était rendue à proximité de Mol Duinne.
Bien qu’il n’y ait plus aucun humain, la peste était aussi véhiculée par les animaux, et, si les démons étaient bien plus résistants que les humains, ils n’étaient pas non plus insensibles aux maladies. Elle avait donc choisi d’atterrir à bonne distance de Mol Duinne, et, grâce à de rapides tests magiques, elle établit que la peste n’était pas là. Soit elle n’était pas encore venue, soit elle avait contourné Mol Duinne. Samara s’avança donc à travers la silencieuse forêt, contournant une scierie abandonnée, où quelques instruments encore posés ici et là indiquaient clairement que les habitants étaient partis dans la plus grande hâte. Elle vit le moulin à eau, posée près d’un étang et d’une passerelle en bois, permettant d’observer la scène, et poursuivit son chemin, atteignant finalement le petit village isolé.
Il n’y avait aucune fortification l’entourant, car la région était calme. D’un pas lent et sexy, sa queue ondulant de gauche à droite, frottant parfois le sol, Samara s’avança le long des rues ne sentant aucune présence. La place centrale était vide, l’église abandonnée. Même le prêtre était parti, avec ses ouailles et ses assistants, ce qui amena un sourire sardonique à Samara, qui se permit d’entrer dans l’église. Une vieille légende disait qu’aucun démon ne pouvait entrer dans une église sans être foudroyée sur place. Elle y entra donc sans crainte, caressant des doigts les bancs nus.
*Sha doit sans doute influencer mon jugement sur ces courageux prêtres...*
Elle observa la statue de l’Homme-Jésus, hésitant à l’envie de commettre un blasphème. La tentation de rejoindre la tour de Jubar fut la plus forte, et elle sortit, remontant la rue, jusqu’à voir la tour. Elle était dans un coin, et était un ancien grenier, avant que Jubar ne la rachète au bailli local. Le manoir du seigneur local était également vide. La tour avait probablement eu une bonne activité. Les magiciens étaient généralement bien appréciés, car la populace pensait que leurs sorts éloignaient le mauvais œil, protégeant la ville des loups et des brigands. De plus, ils étaient souvent consultés par les agriculteurs, et leurs sorts étaient appréciés des enfants, ainsi que leur magie blanche... Ce qui en faisait généralement les ennemis des apothicaires et des guérisseurs, mais Mol Duinne était trop pauvre pour avoir un dispensaire médical performant. Et Jubar avait de bonnes compétences en magie blanche. Il connaissait notamment un sort miraculeux, permettant de lutter contre les migraines résultant de l’alcoolémie, ce qui en faisait un très grand ami commun.
Se rapprochant de la tour, Samara ressentit alors une présence familière. Un autre démon, ce qui amena sur ses lèvres un léger sourire. Quelqu’un avait réussi à al devancer, mais cette personne n’était là que depuis récemment. Samara s’avança donc, raffermissant son allure, et ferma les yeux, étendant ses cercles de perception magique pour visualiser l’intérieur de la tour, le mobilier, le décor. Une téléportation devait toujours s’accompagner de cet indispensable postulat, afin de ne pas se retrouver dans un meuble, ce qui revenait à une explosion de matières, et à une mort rapide, indolore, et sanguinolente.
Elle repéra le démon, au dernier étage, et se téléporta instantanément.
Samara se téléporta pile devant une magnifique créature noire, qui avait de belles ailes noires. Elle crut même, sur le coup, être tombée sur une Ange déchue, mais son aura n’était pas celle des Anges, mais bien celle des démons... Ou, plutôt, d’une appétissante démone. Elle avait mis le trésor de Jubar dans un lourd sac, et Samara pencha la tête sur le côté, sa queue continuant à remuer autour d’elle.
« Ce sac n’est pas assez lourd pour porter un tel butin, petite démone. Il se déchirera en deux dès que tu tenteras de t’envoler. »
Son ton était doucereux, mielleux, sensuel. Samara était une créature très sensible à la beauté, et cette femme avait un très bon capital beauté, pour être honnête.
« Je m’appelle Samara, se présenta-t-elle alors, un léger sourire amical sur les lèvres. Et toi, belle femme ? »