« Ah, Mlle Hardy, veuillez me suivre, je vous prie... »
La banque, dix ou quinze minutes avant qu’une femme en tenue blanche ne débarque et n’empoisonne la pièce. La banque était... Et bien, elle était semblable à toutes les banques. Des guichets dans un coin avec des bancs où des quidams avaient des tickets, et attendaient qu’on appelle leurs numéros, des standardistes, des écrans plats dans les coins relatant des offres publicitaires de partenaires commerciaux, ou donnant des instructions. « NE DONNEZ JAMAIS VOTRE NUMÉRO DE CARTE ». « QUAND VOUS RETIREZ DE L’ARGENT ? FAITES ATTENTION AUX ÉLÉMENTS SUIVANTS ». « VÉRIFIEZ RÉGULIÈREMENT VOTRE COMPTE. AU MOINDRE PAIEMENT SUSPECT, CONTACTEZ-NOUS ! ». Elle observait tranquillement l’ensemble de ces informations, assise dans un coin. Étrangement, tout ça lui donnait envie de fumer. Curieux, vu qu’elle n’avait jamais vraiment été une grande fan de la cigarette. Il avait fallu que Morbius lui brise le cœur pour qu’elle se mette à fumer. Quand Peter en avait remis une couche, elle avait retrouvé ses vieilles habitudes, mais ça n’avait jamais duré bien longtemps. Qu’on le veuille ou non, fumer était incompatible avec une femme qui aimait grimper sur les toits dans une combinaison noire moulante.
Elle avait rendez-vous avec son banquier pour solliciter un prêt ambitieux. Depuis qu’elle était à Seikusu, Félicia logeait dans un studio minable, un placard à balais si proche de la ligne de métro que, à chaque fois que les trains passaient, les murs tremblaient. Comme dans ces films américains sur la pauvreté. La chute était rude, pour une femme qui, à New York, vivait dans un bel appartement au sommet d’une des tours de Manhattan. Elle avait donc fait croire au banquier qu’elle avait touché un héritage, et gagné de l’argent aux jeux, afin de convaincre la banque de lui accorder un prêt d’une somme assez vertigineuse pour lui permettre d’emménager dans un penthouse en hauteur. Étant dans un triste état, le vaste appartement n’était pas vendu à un prix particulièrement excessif (il était vendu à un coût très onéreux, certes, mais bien moins que les autres), et Félicia comptait donc, non seulement le louer, mais aussi le rénover...
Le banquier vint la voir en n’ayant que cinq minutes de retard. Costume-cravate impeccable, avec un sourire sincère. Il lui serra poliment la main, et elle le suivit. Félicia portait un tailleur assez serré, et monta avec lui à l’étage, par un escalier se trouvant dans un coin. Main dans une poche, le banquier avait l’air détendu et serein... Et jeune. Rien à voir avec l’image stéréotypée du vieux bonhomme chauve avec de grosses lunettes, ou du gros cochon joufflu avec le cigare sur les lèvres. Les deux s’installèrent dans un bureau très impersonnel, sans la moindre photo. Félicia s’assit malgré tout sur un confortable fauteuil en cuir, croisa les jambes, et ils commencèrent à discuter. Elle avait avec elle un sac à main, qui comprenait, outre un attaché-case comprenant plusieurs documents, comme ses bulletins de paie, sa tenue noirâtre. On ne savait jamais ce qui pouvait arriver. Le sac à main était assez grand, et, en tassant bien, elle avait réussi à caler la combinaison.
« Très bien. D’après ce que j’ai cru comprendre, Mlle Hardy, vous... Désirez obtenir un prêt auprès de notre établissement. »
Il lançait les hostilités. Félicia s’engagea, mettant tous ses atouts avec elle. En contrebas, une femme vêtue de blanc pénétrait dans la banque, et, sans que l’alarme ne soit déclenchée, empoisonna l’assistance. Il fallut à Félicia et au banquier, qui s’appelait Kim, plusieurs minutes avant de commencer à entendre de drôles de cris venant d’en bas. Ils en étaient à observer la situation patrimoniale de Félicia, Kim lui exposant la loi en vigueur, quand elle fronça les sourcils... Et, quand il y eut une explosion, ce fut encore plus évident pour elle.
« Mais qu’est-ce que... ?! s’étonna le brave banquier, perdant un peu de sa superbe.
- Je crois que vous devriez appeler la police, M. Kawagashi.
- Hein ? Mais de quoi est-ce que vous... ?
- La banque est en train de se faire braquer. »
Il pâlit à cette annonce. C’était complètement stupide. Il y avait de moins en moins d’argent dans les banques, maintenant ; tout était virtuel. Mais les coffres-forts faisaient encore rêver les criminels. Félicia sentit la colère monter. Son argent était entreposé dans cette banque, et on venait la déranger pile au moment où elle était en train de solliciter un prêt. Elle se redressa, se dirigeant vers la sortie.
« Mais... Mais où allez-vous ?
- Appelez la police ! Vite !! »
Elle ne lui donna pas de plus amples explications, refermant la porte de son bureau, alors qu’il y eut une autre explosion. Elle vit deux vigiles dévaler l’escalier à toute allure, les entendit hurler, puis des coups de feu... Et une nouvelle explosion. Elle regarda autour d’elle. Les employés étaient paniqués, regardant par les fenêtres, ou se ruant sur leurs portables, n’osant pas descendre. Félicia, en revanche, n’avait pas cette peur. Elle se dépêcha d’aller dans l’escalier, ôta rapidement son tailleur, puis sortit sa combinaison froissée. Elle n’eut qu’à légèrement se concentrer pour modifier la forme de son corps. Ses muscles s’épaissirent, sa poitrine en fit de même, et ses cheveux blonds devinrent argentés. Elle se faufila dans la combinaison, et mit son masque autour des yeux. Exit Félicia Hardy. Bienvenue la Chatte Noire. Elle continua à descendre, et aperçut les cadavres des deux vigiles, et une grimace. Elle ignorait ce qui les avait tué, mais c’était pas beau à voir. Une partie de leurs corps avaient explosé, s’étalant sur le mur et les marches de l’escalier.
« Messieurs, dépêchez, je vous prie ! entendit-elle.
- On fait quoi de cette nana ? »
Il y avait des cris et des hurlements. En se penchant délicatement, la Chatte Noire vit des hommes armés avec des masques affreux. Ils avaient choisi pour la plupart des masques pour enfants. Elle vit un Shrek, un Scream, un Pikachu, un Spider-Man, un clown, et d’autres types. Les employés et les clients étaient prostrés dans les coins, pleurant silencieusement. L’un d’eux, une femme jaillit dans l’escalier, et glissa sur une marche. La Chatte Noire posa une main sur la bouche de la femme, et vit ses yeux paniqués, ses pupilles dilatées... Elle était terrorisée... Comme si on l’avait drogué.
L’homme à la voix forte, le chef, était un peu plus grand que les autres, et portait un long manteau noir. Son masque était une simple cagoule, et il ne se privait pas pour fumer. Quant à la « nana » qu’ils mentionnaient... C’était effectivement une belle blonde, avec un costume blanc, et une envie de tuer tout ce qui bouge dans le regard. La Chatte Noire s’avança discrètement, filant derrière les guichets, et longea le mur.
« La police est en route, Monsieur.
- Raison de plus pour se dépêcher. Avez-vous mis le virus ?
- Oui, Monsieur... D’ici quelques minutes, tous les comptes bancaires de cet établissement seront transférés vers notre compte. »
Woow... Pour pirater aussi facilement une banque, ces gars devaient avoir un équipement informatique du tonnerre. Félicia, lentement, se rapprochait de la mystérieuse femme blonde.
« Chef, chef, on peut la prendre avec nous ?! »
Le chef considéra la requête de son subordonné, et marcha vers la femme. Il avait de solides bottes en fer, et se mit devant elle, plantant son regard dans le sien. Il leva alors une main, et la femme se sentit soulevée du sol, de manière à ce qu’il puisse l’attraper dans le creux de sa main, la tenant par le menton.
« Je crois qu’elle m’arracherait les yeux si je lui en donnais l’occasion... Les Tekhanes te manqueraient-elles ?
- Il faut bien que je m’exerce ! »
L’homme fit la moue, révélant des dents pointus, puis balança la femme sans difficulté, la faisant voler par-dessus le guichet, où elle heurta le mur, avant de s’écraser devant Félicia, qui posa un doigt sur ses lèvres, lui faisant signe de la fermer.
« Si tu veux t’amuser avec son corps, fais ça ici. Avant que les flics n’arrivent. »
L’homme ricana, et s’approcha du guichet. Félicia ferma les yeux, ravalant sa déception. Au moins, elle neutraliserait l’un des preneurs d’otage. Elle attendit qu’il s’approche, et elle bondit soudain sur ses jambes, utilisant son agilité féline pour l’attraper au col par une main, le soulever, et le renverser par-dessus le guichet. L’homme poussa un cri, et s’écrasa sur le dos, où Félicia mit un terme à ses supplices en le frappant à la tête. Elle en profita pour rapidement retirer son masque, afin de voir à quoi il ressemblait. Il ressemblait presque à un homme normal... Si ce n’est les espèces d’implants qu’il avait à la tempe gauche, et qui lui donnaient à Félicia l’impression d’être face à un type sorti tout droit d’un univers cyberpunk.
*Des Tekhans...*
Grognant, elle attrapa son arme, un pistolet terrien, et se redressa. Toute cette scène avait duré une poignée de secondes, et elle visa leur chef.
« Hey, le gros malin ! Ta mère t’a jamais appris à respecter les femmes ?! »
Elle ouvrit le feu sur lui, et il brandit sa main. Les balles heurtèrent sa main, recouverte par un gant, et semblèrent rebondir. Félicia réalisa alors que l’homme avait une main cybernétique.
« Les Terriennes ont un goût vestimentaire surprenant, commenta l’individu, avant de tendre son bras vers elle. Mais je n’ai pas le temps pour ces stupidités. »
La Chatte Noire vit la main de l’homme se mettre à luire, et n’eut que le temps de bondir de côté avant qu’une espèce de décharge énergétique ne jaillisse. Il y eut une violente explosion qui pulvérisa une partie du guichet, et balança Félicia. Elle décolla du sol comme un fétu de paille, en lâchant le pistolet, et s’affala sur un fauteuil, le renversant, avant de tomber à la renverse. Leur chef n’en resta pas là, et son bras cybernétique se modifia, devenant une espèce de minigun qui se mit à cracher des balles infernales et assourdissantes à destination de la Chatte Noire. Le pistolet, quant à lui, avait atterri à côté de la femme en tenue blanche, lui donnant l’occasion de tirer sur l’artefact qui inhibait ses capacités surnaturelles.